Intervention de Pascal Blanchard

Réunion du jeudi 17 septembre 2020 à 9h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Pascal Blanchard :

Dans votre question, monsieur Reda, vous avez mentionné la quasi-totalité des causes possibles d'une perte de légitimité. Les paramètres à considérer dans les associations sont en effet l'âge des dirigeants, la méthode utilisée, le style et les moyens de communication employés, en particulier l'utilisation ou non de nouveaux médias. Les jeunes ne sont pas détachés de la problématique du racisme, mais la militance moralisatrice ne les intéresse plus, car elle ne pointe pas d'objectif concret. Quel serait l'objectif ? Faire en sorte que la société ne soit plus raciste ? Eh bien vous ne vous levez pas le matin pour cela.

Vous devez également considérer la légitimité de l'acteur qui se présente. Qui est cette personne qui vient me parler d'un monde sans racisme. J'ai observé à de nombreuses reprises que les historiens sont de bien modestes médiateurs. Je relaie bien plus efficacement les messages que je souhaite porter en travaillant avec Lilian Thuram, Abdel Malik, Jamel Debbouze, Isabelle Giordano ou Audrey Pulvar que quand je viens seul en tant qu'historien. Soprano et Youssoufa ont bien plus d'effet que moi dans une salle de classe. C'est pourquoi ils sont depuis 25 ans nos partenaires dans les petits films que nous réalisons. Quand Jamel Debbouze raconte l'histoire de Do Huu Vi l'aviateur sur Youtube, il obtient 7 millions de vues. C'est aussi une question de moyens. Le monde associatif estimait jusqu'à présent que les intéressés parlaient aux intéressés. À un moment donné, ce modèle ne fonctionne plus.

Nous pourrions débattre longuement de ce que devrait la politique publique par rapport ce qu'est la matrice antiraciste. Je suis moi-même un acteur dans une structure associative avec des collègues. Je travaille beaucoup avec la LICRA et SOS Racisme. De manière générale, le modèle s'essouffle et même si un certain nombre de jeunes s'y retrouvent encore, il doit évoluer. En outre, le modèle territorial de l'association est démodé. Une association doit utiliser l'ensemble des canaux disponibles : les musées, la télévision, les manifestations publiques, internet, etc. Nous venons de produire une série formidable en Bourgogne Franche-Comté. Trente établissements scolaires ont raconté en un petit film de deux minutes l'histoire d'un héros de leur région issu de l'immigration. Nous devons continuer à imaginer de nouvelles manières d'agir. De nouvelles formes d'initiative existent déjà, mais elles ne sont pas incorporées au monde associatif classique. Il devra donc évoluer, ce qu'il a commencé à faire. Il existe à l'intérieur de la mouvance antiraciste une violence difficile à mesurer. J'ai entendu plus de cent fois que j'étais blanc, donc illégitime pour parler de certains sujets. Vous n'imaginez pas la violence qui peut surgir, parce que l'antiracisme et le racisme sont devenus des enjeux de pouvoir. J'aime beaucoup la phrase de Lilian Thuram selon laquelle « le racisme est d'abord un problème de Blanc ». Le musée de la colonisation n'est pas destiné à ceux qui ont été colonisés, mais à ceux qui connaissent mal leur récit, et peut-être en premier lieu à des Blancs. La République se fonde aussi sur l'histoire. Comme l'a dit le Président de la République, les Français sont les héritiers de la révolution, de la Commune et du Front populaire. L'objectif est de rendre toute l'histoire accessible à tous. Si vous emmenez vos enfants dans un grand musée voir une grande exposition d'histoire coloniale, vous n'aurez plus le même rapport à ce passé. Une histoire qui ne rentre pas au musée demeure une histoire polémique. Elle demeure dans la sphère du politique, du danger des mémoires. Dans cette situation, vous continuerez à fabriquer des oppositions mémorielles parce que vous n'avez pas le courage politique d'agir.

En France, il a fallu vingt-cinq ans pour compter un musée de l'immigration et sept ans pour qu'un Président de la République l'inaugure. Il est aujourd'hui difficile de faire vivre ce musée, tout simplement parce qu'il reçoit sept fois moins de budget que le musée du quai Branly. L'action pédagogique ne peut fonctionner qu'avec des moyens, des acteurs et des outils. Obtenez des moyens, organisez de très belles expositions et les gens viendront. Le musée de l'histoire coloniale devra répondre à la question de tous, car il convoque à la fois l'histoire des pieds noirs, des Ultra-marins, de la Polynésie, des enfants qui descendent de l'immigration algérienne. Il inclut aussi l'histoire de ceux dont les grands-parents ont fait la guerre d'Algérie. Il est très possible que ce musée abrite des débats conflictuels, mais je préfère de loin le bruit du désaccord à la violence des mots rageurs que chacun écrit derrière son ordinateur.

Il faudrait qu'un homme ou une femme politique ait un jour le courage de porter le sujet. C'est loin d'être simple. En 2012, lorsque M. François Hollande est arrivé au pouvoir, nous envisagions de proposer un texte sur le rêve d'un musée d'histoire coloniale. Au même moment, nous apprenions que François Hollande choisissait comme personnage tutélaire de son quinquennat Jules Ferry. Nous avons donc renoncé. De même, quand François Mitterrand est arrivé au pouvoir, il a clairement indiqué qu'il n'y aurait jamais d'exposition sur l'histoire coloniale. Il avait pourtant été le plus grand ministre des colonies de la IVe République. Enfin, l'un des premiers discours de campagne de Nicolas Sarkozy à Toulon porte sur la mission civilisatrice et sur la grandeur coloniale de la France. Les Français ne disposent pas d'un contre-modèle leur permettant de déconstruire ces discours politiques.

L'accord de tous pour rêver d'un récit commun n'existe pas. Fort heureusement, nous défendons des points de vue différents, avec des mémoires différentes. La manière d'agir en association ou d'envisager le musée peut également être différente. Les oppositions ne sont pas graves en elles-mêmes, mais il ne faut pas les laisser devenir des conflits de mémoire ou d'identité. À partir du moment où la « race » devient un facteur d'identité, elle est une arme de guerre. Le phénomène prend de l'ampleur aux États-Unis. En France, la notion de « racisé » a émergé dans le discours public. Lorsqu'on vous renvoie à votre identité raciale, vous finissez par en faire un étendard d'une grande violence. Le racisme ne se limite pas à quelques imbéciles qui pensent qu'il existerait des êtres moins intelligents à raison de leur couleur de peau. Il ne se limite pas davantage à la discrimination. Il est une manière de penser l'ordre du monde. Il consiste à penser que la race prime, élément premier de discours et de droit.

Je vous invite à être très vigilants, car nous pourrions tout à fait commettre la même erreur que les Américains, c'est-à-dire, en voulant protéger les personnes dans leur communauté, finir par les enfermer. Ce n'est pas la République. On entend parler aujourd'hui de territoires qui se communautarisent et de séparatismes. Tous ces phénomènes sont liés à l'histoire du racisme. L'antiracisme ne consiste pas simplement à mesurer la discrimination en vue de la faire disparaître. Il faut avoir conscience que le racisme fait partie de notre corps politique. Nous sommes aussi des héritiers de l'empire, non parce que certains de nos grands-parents auraient été des colonisateurs, mais parce que la France a une histoire complexe. Elle a amené à la fois la lumière et les ténèbres. Nous avons hérité des deux. À nous de mener le travail de tri indispensable.

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