Je vais commencer par l'accès à l'école. Les textes sont clairs : tout enfant, quelle que soit la situation de ses parents, a le droit d'être scolarisé. Ce sont des pratiques, en général municipales, qui entravent fréquemment le droit d'être inscrit à l'école. Le précédent Défenseur des droits a fait des observations sur ce sujet. On exige par exemple le titre de séjour du parent, alors qu'on ne doit pas le faire ; on exige une preuve de la résidence sur le territoire de la commune, que les personnes en situation précaire ne peuvent pas forcément apporter ; parfois, on invoque un manque de place dans les écoles ; ceux qui habitent dans des squats, des hôtels sociaux ou encore les enfants roms sont souvent exclus.
Autre sujet : les jeunes allophones qui souhaitent s'inscrire au collège ou au lycée après 16 ans, alors qu'il n'y a plus d'obligation scolaire à cet âge. Une circulaire prévoit qu'on ne les accepte qu'en fonction de la place disponible. Je vous recommande la lecture du cahier juridique publié par le GISTI, La scolarisation et la formation des jeunes étrangers : nous y faisons le point sur le droit, sur les obstacles existants et sur les façons de les surmonter. Il faudrait aussi, même si ce n'est pas tout à fait notre sujet, parler des mineurs isolés étrangers, qu'on appelle désormais les « mineurs non accompagnés ». La mise en doute de leur minorité est à peu près systématique, ce qui rejoint ce que je disais tout à l'heure sur la suspicion systématique. Les conseils départementaux estiment que cela leur coûte trop cher et chacun essaie de se défausser. Et même lorsque leur minorité n'est pas mise en doute, les mineurs isolés rencontrent des problèmes pour être scolarisés.
S'agissant de la fonction publique, je vous invite à vous reporter à la délibération 2009/139 de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE), l'ancêtre du Défenseur des droits, ou encore au rapport de M. Daniel Goldberg de 2010, qui recommandent une diminution de la part des emplois fermés. On estime ces emplois à environ 4 millions. Quels en sont les effets pervers ? Tout d'abord, il s'agit évidemment d'une discrimination puisque ces gens sont le plus souvent embauchés comme contractuels dans les écoles, dans les lycées ou dans l'administration territoriale, avec un statut moins favorable et une très grande précarité. Certains emplois sont vraiment fermés, ce qui restreint le nombre d'emplois disponibles et accroît le chômage des personnes d'origine immigrée. Pour les enfants, cela limite leurs possibilités, leurs perspectives et leurs ambitions. Il y a donc des effets néfastes pour l'intégration de ces étrangers qui – je vous rassure, Monsieur le président – sont ici en situation régulière.
Je ne vois pas d'obstacle à appliquer aux étrangers, toutes catégories confondues, les critères utilisés pour les ressortissants européens – je parle ici de la fonction publique mais ce serait vrai aussi pour les emplois privés qui leur sont fermés –, par exemple la participation ou non à des tâches de souveraineté. Cela aurait d'ailleurs des effets positifs parce que les personnes employées comme contractuelles n'ont pas passé les concours, par hypothèse : or dans l'enseignement, il est tout de même préférable de recruter des gens sur concours, plutôt que d'embaucher des gens parce qu'il faut bien pourvoir les postes et qui sont sous-payés. Il y aurait donc là un chantier à rouvrir dans un but tout à la fois d'équité et d'intégration.
Concernant la banque, le problème du droit au compte se pose tout particulièrement pour les personnes qui n'ont pas de papiers. Il s'agit souvent de personnes ayant vocation à avoir des papiers mais qui ne parviennent pas à les obtenir. Vous êtes certainement au courant des problèmes posés par la dématérialisation dans l'accès aux préfectures : l'impossibilité d'obtenir des rendez-vous provoque des situations extrêmement dramatiques, non seulement pour ceux qui n'arrivent pas à demander un premier titre de séjour, mais aussi pour ceux qui sont en phase de renouvellement de leur titre et qui, de ce fait, vont perdre leurs droits liés à sa possession. Cela est sans doute marginal par rapport à votre problématique, mais c'est une vraie question, sur laquelle le Défenseur des droits s'est penché dans son rapport en 2019. La dématérialisation dans l'administration touche tout le monde et provoque des effets bien entendu positifs, mais également négatifs, avec une discrimination qui frappe particulièrement les étrangers : en effet, s'ils ne parviennent pas à faire renouveler leurs papiers, ils perdent leurs droits sociaux.
Si vous avez des papiers, vous pouvez ouvrir un compte en banque ; c'est pour les sans-papiers que cela devient compliqué. L'aide médicale d'État montre bien que l'on ne considère pas complètement que ces personnes sont sans droits. Mais comment obtenir un crédit si vous devez renouveler votre titre de séjour tous les ans ? C'est très compliqué. De toute façon, vous savez bien qu'obtenir un crédit, c'est compliqué si vous n'êtes pas riche et bien portant. Il n'y a pas d'intention discriminatoire dans ces inégalités de traitement, mais vous comprenez bien qu'un employeur hésitera à embaucher quelqu'un dont le titre de séjour doit être renouvelé chaque année ; il en va de même pour un bailleur, qui hésitera à lui louer son appartement.
Cela entraîne une précarisation de la situation des sans-papiers, qui subissent aussi d'autres formes d'inégalités en raison non pas de discriminations inscrites dans la loi, mais de difficultés à vivre plus générales, qui se répercutent sur les enfants. C'est cela qui pose problème, puisque l'idée est, en principe, d'intégrer les étrangers présents dans notre pays.