Intervention de Roch-Olivier Maistre

Réunion du mardi 3 novembre 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) :

Je rappellerai d'abord que la lutte contre le racisme est placée parmi les premières missions qui ont été confiées au CSA. C'est une mission que nous portons depuis plus de trente ans sur les médias audiovisuels traditionnels, et que nous avons élargie aux nouveaux acteurs qui entrent progressivement dans le champ de notre régulation. Je pense notamment aux plateformes de partage de contenus ou aux réseaux sociaux.

L'idée sous-jacente de la régulation, à la fois en France et en Europe, est que les médias audiovisuels ont des responsabilités particulières à l'égard de la société. Ils ont des responsabilités qui pourraient être qualifiées de « sociétales ». Comme ces médias de masse touchent des millions de personnes, le législateur a traduit dans la loi l'idée qu'ils devaient rassembler et non pas exclure. Ils doivent promouvoir la cohésion sociale et ne pas aggraver les préjugés ou les stéréotypes.

C'est une mission qui prend aujourd'hui un relief très particulier. Un auteur bien connu a parlé récemment de l'archipel français, d'un pays traversé par des lignes de fracture multiples et parfois profondes. Face à cette situation et au regard de la mission qui nous est confiée, le législateur nous a donné deux voies d'action. La première voie est une voie incitative ; la seconde est plus coercitive.

Le volet incitatif correspond à la volonté exprimée dans la loi de favoriser la juste représentation de la diversité de la société française. Si nous voulons répondre aux fractures de la société française et éviter les phénomènes d'exclusion et de racisme, il faut que chacun, quel que soit le territoire où il vit et son positionnement social, puisse se retrouver dans la télévision. Comme l'a bien expliqué l'écrivain américain James Baldwin, il est difficile pour quelqu'un de se projeter dans une société dont aucune représentation ne lui correspond.

Cette diversité ne se limite pas à celle des origines : c'est aussi la diversité des territoires et des classes d'âge, des périphéries et des centres urbains. Il faut également que les personnes en situation de handicap puissent accéder aux médias dans de bonnes conditions et voir leur situation justement représentée.

C'est à ce titre que nous avons bâti, depuis 2009, le baromètre de la diversité qui donne lieu à un rapport adressé chaque année au Parlement et au Gouvernement. Il repose sur l'indexation de centaines d'heures de programmes des chaînes de la TNT et prend en compte sept critères dont le genre, l'origine perçue, le lieu de résidence, l'âge, la situation éventuelle de handicap. L'approche retenue peut être qualifiée d'inclusive. Le baromètre utilise une méthodologie assez robuste, bien acceptée par tous les opérateurs du champ audiovisuel.

À côté de ce baromètre, les chaînes et les éditeurs prennent chaque année des engagements dans des conventions conclues avec le CSA ou dans les cahiers des charges auxquels sont soumises les entreprises de l'audiovisuel public.

Le dernier baromètre a été publié fin septembre en présence de trois ministres, ce qui témoigne de l'importance que le gouvernement accorde à l'action du CSA. S'il contenait des éléments positifs, j'ai néanmoins été frappé par une progression insuffisante ; la société française n'est pas encore représentée dans toute sa diversité. Par exemple, les personnes en situation de handicap sont trop peu présentes dans les programmes de télévision. À l'inverse, certains sujets s'inscrivent dans une dynamique plutôt positive, comme la place des femmes dans la société. Cependant, beaucoup d'éléments du baromètre de la diversité marquent le pas. En conséquence, nous avons décidé de relancer un cycle d'auditions avec tous les éditeurs pour tendre vers des objectifs plus précis et plus quantitatifs. La bonne volonté et l'incantation ne suffisent plus. Il faut désormais des indicateurs d'engagement plus précis pour suivre les progrès à réaliser.

Parallèlement à cette démarche incitative, il existe une démarche plus coercitive. C'est sans doute la plus connue, qui nous vaut cette expression de « gendarme de l'audiovisuel » que je n'apprécie pas particulièrement. Cette dimension donne d'ailleurs souvent lieu à beaucoup de malentendus.

Il doit être très clair que dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse comme dans la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, les propos qui incitent à la haine, à la violence, à la discrimination fondée sur la race, le sexe, les mœurs, la religion ou la nationalité, n'ont pas leur place sur les antennes. Si notre mission première est de protéger la liberté d'expression, cette liberté n'est pas absolue et elle trouve ses limites dans la loi.

Quand des propos excèdent ces limites, la première réponse est judiciaire. Les auteurs de ces propos tenus sur les antennes s'exposent aux peines qui sont prononcées par les juridictions pénales. C'est la raison pour laquelle, depuis l'année dernière, nous avons emprunté cette voie en utilisant l'article 40 du code de procédure pénale pour signaler au procureur de la République les propos qui auraient selon nous franchi les limites posées par la loi. La responsabilité est donc d'abord pénale, et c'est celui qui tient les propos qui l'engage.

En complément, le CSA a la faculté de prononcer des sanctions administratives qui ne visent que les chaînes. Ces dernières ont des obligations au regard de la loi et vis-à-vis du CSA, en contrepartie de la fréquence qui leur est attribuée ; nous intervenons donc régulièrement lorsque nous estimons qu'il y a des dérapages, selon une gradation prévue par la loi : d'abord une mise en garde, éventuellement suivie d'une une mise en demeure puis des sanctions.

Depuis septembre 2019, nous sommes intervenus à une douzaine de reprises pour des propos qui nous semblaient relever du racisme, de l'antisémitisme, de la xénophobie ou de l'appel à la discrimination. Ces interventions sont à mettre en regard des milliers d'heures de programmes qui sont diffusées chaque année à la télévision et à la radio. Il faut donc souligner le fait que les acteurs que nous contrôlons sont responsables et ont bien assimilé les principes dont nous veillons au respect.

Notre activité coercitive est entourée de garanties légales très importantes. Nous ne pouvons intervenir qu'après une instruction contradictoire et ne pouvons prononcer de sanctions qu'à condition d'avoir préalablement prononcé une mise en demeure pour un manquement de même nature. De plus nous agissons sous le contrôle du juge, qui ne se prive pas d'annuler des décisions du CSA s'il les estime infondées.

Le CSA n'est en aucune façon un tribunal de l'opinion. Son rôle est de parvenir à assurer l'équilibre entre la liberté d'expression, très protégée par la jurisprudence du Conseil d'État, de la Cour de cassation, de la Cour européenne des droits de l'homme et du Conseil constitutionnel, et les limites à cette liberté posées par la loi. Cela nous conduit à être attaqués à la fois par les tenants d'une liberté de parole absolue, qui trouvent que nous sommes les garants d'une sorte de « police de la pensée », et par ceux qui s'alarment parfois de notre inaction. Le fait d'être critiqué des deux côtés peut signifier que nous avons trouvé le bon équilibre.

J'ajouterai enfin que cette mission traditionnelle s'étend progressivement aux plateformes de contenu et aux réseaux sociaux, en application de la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information, dite loi « Infox ». Par ailleurs, nous attendons prochainement la transposition de la directive européenne 2010/13 du 10 mars 2010 sur les services de médias audiovisuels (dite directive « SMA ») révisée par la directive 2018/1808 du 14 novembre 2018.

Concernant la haine en ligne, je crois que nous ne pouvons pas transposer au numérique la régulation bâtie en 1986 pour les médias audiovisuels. Nous ne pouvons pas courir après des milliards de contenus ; l'idée de réguler internet me semble n'avoir aucun sens. Par contre, il est tout à fait possible de réguler certains grands acteurs qui interviennent sur internet, en leur imposant des obligations de moyens. C'est néanmoins un chantier compliqué, comme en témoignent les exigences constitutionnelles auxquelles s'est heurtée la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite « loi Avia ».

Un observatoire de la haine en ligne, composé d'environ 70 personnes (représentants de l'administration, des plateformes, des associations, etc.) a néanmoins pu être créé en juillet 2020. Cet observatoire a engagé quatre chantiers sur l'identification des contenus haineux, l'ampleur du phénomène, les mécanismes de propagation, les moyens de les prévenir. Il s'agit d'imposer aux plateformes des obligations de moyens, une obligation de coopérer, et une obligation de transparence, sous la houlette d'un régulateur.

Nous trouvons que le travail en cours au niveau européen, porté au sein de la Commission européenne par Thierry Breton, est très prometteur. La future législation européenne relative aux services numériques, le digital services act, constituera bientôt la nouvelle norme européenne à destination des plateformes en ligne. Elle les responsabilisera sur les thématiques de la désinformation, de la haine en ligne et de la protection de la jeunesse.

Le projet de loi relatif au séparatisme pourrait quant à lui reprendre la seconde partie de la loi Avia sur la responsabilité des plateformes, qui confiait au CSA une mission de contrôle.

Le régulateur est donc en pleine mutation. Il ajoute à une régulation des médias traditionnels une régulation d'un nouveau type en direction des grands acteurs de l'univers numérique.

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