Intervention de Linda Kebbab

Réunion du jeudi 3 décembre 2020 à 14h30
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Linda Kebbab, déléguée nationale d'Unité SGP Police FO :

En tant que policiers, nous abordons le racisme par le code pénal, comme un rejet manifeste de l'autre parce qu'il est considéré comme différent, un abus de la liberté d'expression, une discrimination et des violences. Condamné par la société, il fait pourtant toujours l'objet de débats au sein de l'espace public, comme si cette définition ne faisait pas encore consensus.

En tant qu'organisation syndicale, nous ne sommes pas chargés des programmes ou des orientations en matière de recrutement des personnels, mais nous participons au suivi promotionnel des agents, du moins sur le plan individuel. Depuis 2018, et pour quatre ans, le ministère s'est vu délivrer le « label diversité », synonyme d'un ministère équitable. Si les statistiques ethniques sont proscrites dans la République nous pouvons, au ministère de l'intérieur, nous féliciter de la prise en considération de la diversité professionnelle et de la mixité dans la gestion des ressources humaine, puisque ce même label implique la définition et la mise en œuvre d'une politique de prévention des discriminations qui passe par la création d'une cellule d'écoute (« Allô discri ») et par une démarche de sensibilisation et de formation.

En tant que premier syndicat du ministère de l'intérieur et du corps d'encadrement et d'application de la police, nous estimons que les préjugés sur la base de considérations ethniques et les discriminations doivent être condamnés sans nuance et n'ont aucune place au sein d'une institution dont l'une des missions est précisément la lutte contre le rejet de l'autre.

Grâce à un maillage de délégués serré, nous sommes présents dans l'ensemble des services de la police nationale du territoire français, en métropole comme en outre-mer. De fait, nous enregistrons des remontées, aussi sporadiques et exceptionnelles soient-elles, de comportements déviants, et cela malgré notre obligation d'exemplarité. Des propos, des boutades, des réflexions, que l'on peut retrouver dans l'ensemble des branches professionnelles des secteurs public et privé nous obligent à porter sur ces faits un regard excluant le déni.

Néanmoins, notre vision progressiste ne peut nous laisser nous contenter de la mention « bien » que nous confère le label diversité, dont nous pouvons à juste titre nous enorgueillir ; il nous faut viser l'excellence du « très bien ». Les événements récemment dévoilés au grand public par voie de presse obligent l'institution à regarder ce problème en face.

Si notre refus du déni n'empêche pas notre refus de l'amalgame avec l'ensemble des femmes et des hommes qui composent la police nationale, ces révélations démontrent l'existence d'une faille : l'institution ne parvient pas à endiguer des comportements et des actes qui, aussi rares et exceptionnels soient-ils, jettent l'opprobre sur l'ensemble de notre corps, et participent à la rupture progressive de la confiance entre la police et la population qu'elle protège.

Le ministère de l'intérieur, qui peut se targuer d'être le seul ministère anobli du double label égalité et diversité, souffre. Les éternels renoncements hiérarchiques, les regards détournés et la nonchalance face à des situations exceptionnelles mais graves, l'insuffisance de l'encadrement lors d'interventions à la charge émotionnelle forte, l'indifférence à la souffrance de nos collègues, l'absence de communication de la part du ministère à l'attention des populations, face à des discours militants décrivant la police comme systémiquement et structurellement raciste – ces mêmes militants accusant la police de se rendre coupable de contrôles d'identité liés à l'origine ethnique –, le ministère laissant ce rôle ingrat de communication aux organisations syndicales, font que des leaders d'opinion publique peuvent aujourd'hui se permettre d'injurier, avec un très fort sentiment d'impunité, les policiers d'origine extra-européenne, les traitant de « domestiques », de « nègres de maison » ou d'« Arabes de service » – j'en sais malheureusement quelque chose.

À ce titre, au début de cet été, nous avons publié, en interne et dans un magazine national à forte audience, une lettre ouverte aux policiers, dont je vais vous lire quelques extraits. Voici ce que nous disions à nos collègues :

« Sachez être fiers d'œuvrer au service de l'humain et de la sécurité intérieure. [...]

« Nous aimons notre uniforme et son universalisme républicain. Il nous confère le monopole à faire respecter le contrat social de notre pays. Et puisqu'il impose l'exemplarité, soyons dignes de l'appliquer dans nos vies. Je ne doute pas un instant que l'écart d'un collègue, exceptionnel au regard du nombre de missions effectuées, sera désapprouvé par ceux qui l'accompagnent. Arrêter son geste, taire ses mots sont une obligation. Au risque sinon de le laisser se faire mal et d'entraîner avec lui tous les policiers dans l'abîme des critiques. Si nous n'y prenons pas garde, nous perdrons la bataille face aux ennemis de la paix que nous nous évertuons à garder. Aux chefs, [aux commissaires, par exemple], placez‑vous en avant des agents dont vous avez la responsabilité pour les guider, et derrière pour les soutenir. Votre rôle indispensable doit être cette mesure de bienveillance permanente, et du courage dans l'intérêt collectif, comme la typicité de cette feuille de chêne qui [honore votre épaule et] ne dissocie jamais l'autorité de la justesse. Mes chers collègues, je sais la pression et la violence des injures et des menaces. [...] Votre rôle n'est pas aisé. C'est pour cela qu'en tant que syndicalistes, notre combat pour vous défendre sera permanent. Parce que vous ployez sous le poids des critiques mais jamais vous ne courbez l'échine ». [...]» Malgré tout !

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