Intervention de Thierry Clair

Réunion du jeudi 3 décembre 2020 à 14h30
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Thierry Clair, secrétaire général adjoint de l'UNSA Police :

. Depuis le début des années 1990, l'IGPN n'a cessé d'être remise en cause. Au fil des ans, cela a fini par lui porter discrédit ; il y a quelques années encore, elle était appelée, en interne mais également en externe, « le cimetière des éléphants ». Depuis, l'IGPN a évolué : désormais, son bilan d'activité fait l'objet d'une communication, reprenant les conclusions de sa fonction d'audit des services. Il y a donc eu des progrès dans la transparence : nous ne cachons pas nos chiffres.

Toutefois, si l'IGPN doit être ouverte, il ne faut pas non plus qu'elle devienne une tribune politique. Nous ne sommes fermés à aucun débat, et notre organisation peut évoluer. Si elle suivait l'exemple britannique, en s'ouvrant à des personnes extérieures à la police, il faudrait toutefois veiller à ce que l'institution puisse continuer à travailler dans la sérénité et non pour faire plaisir à des instances médiatiques. On a bien vu dans « l'affaire Zecler » que, dès le départ, des positions radicales ont été prises sur les décisions à prendre concernant l'ensemble des intervenants, au-delà même des quatre fonctionnaires présents. L'IGPN doit pouvoir travailler sereinement : c'est le propre des services enquêteurs et de la justice de ne pas se prononcer « à chaud », mais après un examen approfondi de l'ensemble des pièces composant le dossier ; dès lors que des fautes graves ont été commises, les sanctions suivent. En cas de réforme de l'IPGN, il faudrait veiller à ce que les personnels composant ses services connaissent bien le métier comme c'est le cas aujourd'hui.

S'agissant du Défenseur des droits, Jacques Toubon avait indiqué un chiffre important à rappeler lors de sa dernière conférence de presse du 1er juillet 2020 : sur cent signalements contre la police, quatre-vingt-dix sont classés sans suite, les dix restants étant confiés à des enquêteurs qui reprennent les dossiers pour établir les faits. Cela signifie que la police est systématiquement attaquée, y compris de façon abusive. Nous sommes aujourd'hui devant une situation dans laquelle les policiers sont ciblés et où la population – du moins une partie d'entre elle – ne comprend pas les actions de la police, quand bien même celles‑ci sont parfaitement légitimes. Les problèmes de communication, que j'évoquais précédemment, creusent encore le fossé.

La formation connaît effectivement des lacunes. La formation initiale d'un élève gardien de la paix en école de police était de douze mois ; depuis le mois de juin, nous sommes passés à huit mois. En outre, il y a certainement des choses à revoir en ce qui concerne le contenu de la formation, notamment s'agissant des mises en situation. La formation initiale a ses limites et je note que, dans nos services, nous n'avons pas du tout la culture ni l'habitude de la formation continue. Depuis des années, l'UNSA Police demande que les policiers puissent s'inscrire dans un parcours professionnel, dont la formation ferait partie intégrante.

La formation continue se résume aujourd'hui aux trois séances de tir obligatoires pour tous les policiers. Les modules de formation annexes sont largement insuffisants et ne concernent que très peu de fonctionnaires. Très souvent, les policiers qui demandent à s'inscrire à des stages de formation se voient refuser l'autorisation, alors que cela leur permettrait d'évoluer. En tout état de cause, les stages qui concernent leur domaine et leur champ de compétence sont peu nombreux, voire inexistants. En la matière, un véritable chantier est à ouvrir. La formation doit pouvoir s'inscrire dans le cadre d'une vie professionnelle normale.

Le contrôle d'identité repose sur l'article 78-2 du code de procédure pénale. Un très grand nombre d'affaires judiciaires partent d'un simple contrôle d'identité. Je me souviens que, lorsque j'étais en école de police, l'un des meneurs d'Action directe, Maxime Frérot, qui était alors l'ennemi public numéro un, a été interpellé à la suite d'un contrôle d'identité. Cela ne signifie pas que tous les contrôles d'identité débouchent sur des affaires judiciaires, mais il est vrai que nous engageons certaines enquêtes – c'est notre doctrine et notre façon de travailler – en nous appuyant sur un contrôle d'identité, notamment quand nous travaillons d'initiative.

C'est pourquoi le contrôle d'identité s'inscrit dans la pratique professionnelle des équipes qui travaillent sur le terrain, et il doit faire à ce titre l'objet d'un apprentissage. Il faut commencer avec l'aide de fonctionnaires aguerris qui savent comment pratiquer et mettre en application sur le terrain ce qui a été appris à l'école, afin de travailler sereinement et ne pas avoir à subir sans cesse des outrages ou des rébellions – mais cela devient de plus en plus difficile.

Nous constatons en effet une évolution au sein de la société : le policier n'est plus respecté ; il doit en outre se justifier en permanence dès lors qu'il procède à un contrôle ou qu'il est amené à intervenir, non seulement auprès des personnes auxquelles il a affaire, mais auprès des personnes alentour. Chacun se fait donneur de leçons et nous interpelle. Nombre de mes collègues estiment que cela devient infernal, que des gens viennent leur reprocher d'avoir mal parlé à telle ou telle personne alors qu'ils n'ont perçu qu'une bribe d'échange. Si l'on ajoute à cela les téléphones portables qui filment en permanence, on rencontre de réelles difficultés sur le terrain. Dès que des policiers interviennent, un attroupement se crée et, si la situation n'est pas réglée en l'espace de quelques instants, les téléphones portables sont sortis et activés pour filmer. Les personnes qui agissent ainsi font montre d'une présomption de culpabilité envers la police. Même s'ils accomplissent leur travail dans le respect des règles et en faisant preuve de beaucoup de discernement, c'est très difficile.

S'agissant des moyens de contrôle des éventuels comportements racistes au sein de la police, je pense que cela requiert un travail collectif car il est vrai que les petites boutades quotidiennes peuvent déraper facilement. Il faut être vigilant à cet égard. L'ensemble des policiers, à tous les niveaux hiérarchiques, doit être concerné ; chacun doit s'impliquer. Il existe, cela a été dit, une plateforme de dénonciation, mais il est également possible de s'adresser aux responsables de service et aux délégués syndicaux. Durant mon parcours syndical, il m'est ainsi arrivé d'intervenir à plusieurs reprises, auprès des chefs de service, pour des faits de sexisme ou de harcèlement au sein des services. Il est de la responsabilité hiérarchique d'évaluer les fonctionnaires, de savoir qui entre dans le cadre, qui tient compte des règles énoncées, qui applique les règles de bonne conduite et qui refuse de s'y adapter.

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