Intervention de Brigitte Jullien

Réunion du jeudi 10 décembre 2020 à 8h30
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Brigitte Jullien, directrice de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) :

Beaucoup parlent de l'IGPN sans la connaître. Peu connaissent la diversité de nos tâches et notre mode de fonctionnement. Depuis sa réforme de 2013, elle remplit une grande variété de missions : contrôle des directions et services de la direction générale de la police nationale (DGPN) et de la préfecture de police ; mission générale d'inspection, d'étude, d'audit et de conseil ; pilotage du contrôle interne et de la maîtrise des risques de la police nationale, par délégation du directeur général et du préfet de police ; contrôle du suivi de la mise en œuvre des sanctions prononcées par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire ; diligenter des enquêtes judiciaires d'initiative ou sur instruction de l'autorité judiciaire ; diligenter des enquêtes administratives sur l'ensemble des agents relevant de l'autorité du directeur général, du directeur général de la sécurité intérieure et du préfet de police  ; analyse, évaluation et propositions d'amélioration des règles et pratiques professionnelles relatives à la déontologie ; service de conseil juridique dans ces domaines et en matière de procédure d'enquête ; mission de conseil en management et en organisation ; participation à des missions conjointes avec l'Inspection générale de l'administration (IGA) et d'autres services d'inspection comme l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) et l'Inspection générale de la sécurité civile.

Notre champ d'action est large et ne saurait être réduit à notre seule fonction d'enquête, bien qu'elle corresponde à une part importante de notre activité. Sur un effectif de 285 agents, soit la plus petite direction de la police nationale, l'Inspection compte 110 enquêteurs répartis entre Paris et huit délégations territoriales (en métropole ou en outre-mer). Sur ces 285 agents, 219 sont policiers, soit près de 70 % des effectifs. Nous comptons également des agents administratifs et techniques, des agents contractuels, notamment des consultants issus du milieu privé, un conseiller de tribunal administratif détaché, un administrateur civil et six apprentis.

Nous nous sommes profondément transformés en nous ouvrant vers l'extérieur. Notre but est de faire en sorte que le fonctionnement du service s'améliore et que la déontologie devienne un facteur de performance. Nous sommes une direction qui sert l'intérêt général et celui des usagers, mais nous ne sommes pas le bras armé de la direction générale, laquelle n'interfère en aucune façon dans la manière dont nous conduisons nos enquêtes. Nous jouons un rôle d'accompagnateur, de facilitateur et de régulateur. Nous contribuons à fortifier le lien entre la police et la population dans la mesure où nous sommes transparents et accessibles pour chaque citoyen, même si cet aspect est actuellement très critiqué.

Nos valeurs ont été choisies par l'ensemble des agents et nous avons publié une charte sur l'exemplarité, l'expertise et l'objectivité, lesquelles guident quotidiennement les pas des agents de l'IGPN.

En 2013, l'IGPN a été fusionnée avec l'IGS, et nous avons créé une coordination des enquêtes avec huit délégations, dont une en outre-mer, et une Mission d'appui et de conseil (MAC) qui vise à améliorer le fonctionnement des services et les conditions de travail des agents. Il s'agit d'un accompagnement pour les responsables de la police nationale dans l'analyse et la résolution des difficultés de nature managériale. Nous proposons également des appuis méthodologiques à la conduite de projet au sein de chaque service.

En matière de management, le cabinet AMARIS (Amélioration de la maîtrise de l'activité et des risques), créé en juin 2016, a pour fonction d'aider l'ensemble des directions et des services à améliorer le contrôle interne et à sécuriser davantage les policiers dans l'exercice de leur métier. Nous exploitons toutes les données issues d'une direction en ce qui concerne les incidents et produisons des fiches mémos, des fiches d'alerte et des fiches de conseils pour tous les policiers dans leur quotidien. Nous avons mis en place une activité du contrôle interne pour laquelle nous travaillons avec l'IGA et nous assurons l'accompagnement des services sur la robustesse des dispositifs de contrôle interne.

En 2013, nous avons créé la plateforme de signalement (PFS), qui est destinée aux usagers ayant des griefs à faire valoir contre la police. Le ministère de l'intérieur avait souhaité ouvrir au public la possibilité de s'adresser directement à l'IGPN pour favoriser la relation entre le service public de la police et l'usager. Cette plateforme est accessible à partir du site internet du ministère de l'intérieur. Grâce à un formulaire en ligne, tout citoyen, quel que soit son lieu de résidence, accède au même service et à la possibilité de signaler un fait dont il est victime ou témoin susceptible de concerner un ou des fonctionnaires de police. La mission des agents de la PFS consiste à orienter au mieux les signalements vers le service de l'administration le plus à même à recevoir des plaintes. Il s'agit d'une mission distincte qui relève de la compétence des autorités et organes judiciaires.

En 2019, l'IGPN a enregistré 4 792 signalements sur la plateforme avec une augmentation de 22 % entre 2018 et 2019. Au 30 novembre 2020, 5 052 signalements ont été effectués malgré la baisse d'activité de la police pendant le confinement. Nous ne prenons pas les plaintes, mais les signalements et nous orientons vers les directions ou ouvrons nous-mêmes des enquêtes judiciaires, par le biais de l'article 40 du code de procédure pénale, auprès du procureur ou des enquêtes administratives si les faits nous semblent particulièrement graves.

Nous disposons d'une plateforme interne d'alerte et d'écoute appelée signal-discri qui permet aux agents de signaler les situations susceptibles de constituer des discriminations résultant d'un comportement humain ou générées par une application de règles de fonctionnement.

Au nom de la transparence et de l'obligation de rendre compte, nous avons développé deux outils. L'outil Traitement du suivi de l'usage des armes (TSUA) est une application déployée dans les services depuis 2012 qui permet aux agents de déclarer les usages de leur arme, y compris accidentels, réalisés à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. Nous gérons cette base de données et l'exploitons à des fins statistiques ou d'étude pour pouvoir proposer des améliorations ou des modifications sur l'usage des armes.

D'autre part, en 2018 l'IGPN a mis en place le recensement des particuliers blessés ou décédés (RBD) pour recenser, sur le modèle du TSUA, les particuliers blessés ou décédés à l'occasion des missions de police. Jusqu'alors, ne procédant pas à ce type de recensement, nous ne disposions pas de ce type d'information. Nous ne jugeons pas les causes de décès, mais les recensons afin de réaliser des debriefings sur les opérations. Par exemple, nous enregistrons le cas des personnes qui se défenestrent lors d'une perquisition, qui se noient ou percutent un arbre lors d'un contrôle de police. Dans ce cadre, pour que les faits soient recensés, il faut qu'une procédure judiciaire soit engagée et, pour les blessures, qu'une incapacité temporaire de travail (ITT) supérieure à 8 jours soit attribuée.

Nous avons une activité de conseil qui est traitée par un cabinet d'analyse de la déontologie et de la règle. Nous répondons aux questions posées par les policiers de la DGPN et de la préfecture de police sur les statuts et la déontologie. Le directeur adjoint de l'IGPN est le référent déontologue de la police nationale. Nous sommes le point d'entrée unique du Défenseur des droits et du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

L'activité judiciaire représente la moitié de notre activité. Nous traitons environ 1 500 procédures judiciaires par an et augmentons cette activité de 25 % régulièrement depuis deux ou trois ans, sans bénéficier d'une augmentation de 25 % des effectifs.

Concernant les procédures sur les faits de racisme et de discrimination, en 2020, l'IGPN a été saisie de quarante dossiers judiciaires dénonçant des faits de discrimination ou d'injure à caractère raciste ou discriminatoire. Leur nombre était de trente-six en 2019 et de quarante-huit en 2018. Certaines plaintes pouvaient faire état de plusieurs discriminations différentes, notamment lorsqu'il s'agissait d'une procédure pour harcèlement (dans le cadre professionnel), ou lors d'un contrôle ou d'une interpellation d'usager. Les discriminations en tant que telles ont été peu nombreuses depuis le début de l'année, douze exactement : deux cas relatifs à l'orientation sexuelle, un cas de sexisme, quatre cas faisant état de l'origine ethnique, un cas concernant la croyance religieuse, un cas portant sur les orientations syndicales et trois cas liés au handicap physique. Les autres affaires concernent des dénonciations d'injures racistes alléguées par des administrés suite à interpellation.

Les plaintes dénonçant des faits de propos discriminatoires sont très difficiles à démontrer du point de vue procédural. En l'absence d'écrit ou d'enregistrement explicite, les faits dénoncés doivent être corroborés par de nombreux témoignages pour être retenus comme probants par les parquets, ce qui conduit à des enquêtes longues et compliquées. Ils sont subordonnés aux sensibilités et aux interprétations de chacun, ce qui confère une certaine subjectivité, surtout lorsque l'allusion est le mode opératoire. La difficulté à établir matériellement les faits procède sans doute d'une certaine loi du silence. À l'inverse, il est parfois constaté que ces plaintes peuvent s'inscrire dans une stratégie de contre-feux procéduraux, de moyen de défense à lancer à l'encontre du supérieur hiérarchique exerçant une autorité de contrôle ou contre des policiers interpellateurs dans des cas de rébellion.

Au cours de cette même période, l'IGPN a conduit des enquêtes administratives mettant en évidence des manquements au devoir de neutralité et d'exemplarité. L'IGPN ne conduit pas que les enquêtes administratives prédisciplinaires, mais elle s'attache aux faits les plus graves. Les directions d'emplois, qui constituent l'autorité hiérarchique des agents à l'instar des directions d'entreprise dans le privé, au titre de leur devoir de protection et de réaction due par l'autorité hiérarchique, en sont les premiers acteurs.

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