Intervention de Brigitte Jullien

Réunion du jeudi 10 décembre 2020 à 8h30
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Brigitte Jullien, directrice de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) :

Nous avons 118 enquêteurs qui travaillent en judiciaire avec les procureurs et sous l'autorité des juges d'instruction, et d'autres enquêteurs qui travaillent sur les enquêtes administratives. Nous procédons aux enquêtes sur les faits les plus graves. La hiérarchie gère également un très grand nombre d'enquêtes administratives prédisciplinaires puisque c'est son rôle.

Lorsque nous sommes saisis d'une enquête administrative, nous n'avons pas accès au volet judiciaire en raison de la séparation des pouvoirs. En revanche, l'article 11-2 du code de procédure pénale nous permet de demander à l'autorité judiciaire la copie de la procédure judiciaire pour la verser à l'enquête administrative dès lors que des poursuites sont engagées contre le fonctionnaire concerné. Nous sommes ainsi le lien entre l'administratif et le judiciaire. Il est faux d'affirmer que nous ne disposons jamais des suites judiciaires lorsque nous procédons à des enquêtes administratives.

Lorsque le policier n'est pas poursuivi au plan judiciaire, l'enquête administrative repart de zéro. Nous ne nous interdisons pas de procéder à ce type d'enquête en l'absence de condamnation ou d'infraction pénale puisque nous nous basons sur notre code de déontologie et que nous avons normé notre enquête administrative prédisciplinaire qui se base sur des manquements, lesquels sont au nombre de vingt-deux et se déclinent en soixante-sept items.

En annexe du rapport annuel portant sur l'année 2019 de l'IGPN figure l'ensemble des manquements par année. Ces manquements ne correspondent à aucune infraction pénale puisque l'enquête administrative est dissociée de l'enquête judiciaire. Par exemple, un policier peut être relaxé d'une accusation de vol, mais le manquement au devoir de probité peut être relevé en administratif.

Nous avons connaissance des condamnations puisque les tribunaux nous communiquent les suites judiciaires. Les 1 460 dossiers que nous traitons en judiciaire chaque année ne font pas tous l'objet d'une condamnation pénale. Pour le parquet de Paris, sur les 220 enquêtes judiciaires ouvertes sur le mouvement des Gilets jaunes en 2019, nous avons eu un retour sur 99 classements et nous avons une trentaine de dossiers judiciaires en cours.

Sur les contrôles d'identité, la doctrine relative aux caméras-piéton est en bonne voie. Nous aurons accès à ces images dans le cadre légal. Lors de nos enquêtes judiciaires, nous récupérons l'ensemble des supports vidéo afin de disposer d'un maximum d'éléments émanant de particuliers, de policiers, de journalistes et de réseaux sociaux. Pour certaines enquêtes, nous avons visionné 133 heures de vidéos sur les réseaux sociaux et le réseau parisien « zones de développement prioritaires » (ZDP). Les enquêtes sont très complètes, ce qui explique leur durée. Pour nous, il est particulièrement important d'avoir connaissance de l'ensemble de l'affaire et la vidéo est à cet égard très utile.

Le directeur général de la police nationale est parfaitement conscient de l'augmentation de 25 % et des moyens humains nécessaires pour y remédier.

Sur les modes de saisine et sur les chiffres de l'activité, nous sommes saisis en matière judiciaire par les parquets ou les juges d'instruction, ou en matière administrative par le ministère de l'intérieur, le directeur général de la police nationale, le préfet de police et le directeur général de la sécurité intérieure. Nous pouvons nous saisir de manière autonome lorsque nous avons une enquête judiciaire en cours et que nous relevons des manquements. Dans toutes les enquêtes judiciaires médiatiques, l'IGPN ouvre systématiquement une enquête administrative.

La comparaison entre l'Angleterre et la France est complexe s'agissant des lois qui nous régissent et du statut de la fonction publique, lequel n'existe pas en Angleterre. Je précise que l'IGPN ne sanctionne ni ne condamne les policiers. L'autorité indépendante est le Défenseur des droits. Nous ne sommes qu'un organe interne de contrôle indispensable au fonctionnement et à la mise en œuvre de la déontologie au sein de la police nationale. La police a son Inspection, les médecins, les journalistes et les avocats ont un ordre. Le contrôle interne est indispensable et fondamental.

En France, le statut de la fonction publique fait que l'agent public ne peut être sanctionné que par son autorité hiérarchique. Le modèle d'une autorité indépendante, comme en Angleterre, ne peut être transposé en France. Nous ne sommes qu'un organe de contrôle interne qui formule des propositions de sanctions et de poursuites. L'autorité hiérarchique a le pouvoir de sanctionner conformément au statut de la fonction publique. Si une modification nous rapprochant du schéma anglais est mise en œuvre pour la police nationale, elle doit l'être pour l'ensemble de la fonction publique où la règle est que l'autorité hiérarchique a le pouvoir de sanction. Nous sommes en relation permanente avec le Défenseur des droits, lequel nous a adressé douze recommandations sur des problématiques de sécurité. Nous avons suivi ces recommandations sur six dossiers parmi les huit que nous avons traités. Cela doit être rappelé.

Le tutoiement est contraire à la déontologie. Il n'est pas acceptable qu'un policier tutoie les personnes qu'il contrôle sur la voie publique. Un travail de prise en compte par la hiérarchie intermédiaire, à savoir les brigadiers et les officiers, doit être effectué sur le suivi et les remarques qu'ils doivent adresser à leurs policiers au quotidien. Il faut noter le rôle de la hiérarchie intermédiaire sur le pouvoir de recommandation, de sanction et d'application du code de déontologie où cette recommandation figure explicitement.

L'IGPN a produit plusieurs notes à l'attention du directeur général sur les contrôles d'identité dont l'efficacité et l'efficience sont contestables selon nous. Il s'agit de l'opération la plus pratiquée en France avec plusieurs millions de contrôles par an. Au-delà de la question quantitative, il convient de considérer la finalité et l'utilité. Aujourd'hui, la loi ne répond que partiellement aux besoins des policiers ; les articles 78-2 et suivants du code de procédure pénale ont été détournés de leur finalité. Comment révéler l'identité d'une personne en la contrôlant de manière aléatoire ou sur réquisition du procureur de la République ? Nous invitons à une réflexion sur une réforme globale du contrôle d'identité afin que les moyens soient véritablement donnés aux policiers sur la voie publique d'atteindre les finalités correspondant à leur travail.

En dehors des contrôles aux frontières et dans le cadre de la police de la route, le contrôle d'identité est souvent accompagné de palpations, lesquelles ne sont encadrées par aucun texte mais permettent de révéler une infraction. Comment révéler un usage de stupéfiants ou un vol à l'arraché avec un simple contrôle d'identité ? Nous avons quelques idées en la matière et pouvons être proactifs sur le sujet.

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