Intervention de Thierry Geoffroy

Réunion du jeudi 10 décembre 2020 à 9h30
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Thierry Geoffroy, responsable des affaires publiques de l'Association française de normalisation (AFNOR) certification :

Je vous remercie de me recevoir et de m'interroger sur le label diversité, dans le cadre des travaux de votre mission d'information. Nous sommes pleinement au cœur de votre sujet puisque le racisme, dans sa définition, caractérise une attitude d'hostilité systématique à l'égard de catégories déterminées de personnes et que ce dispositif a précisément pour vocation de lutter contre le racisme et toutes les formes de discrimination, dans l'entreprise et dans la sphère professionnelle.

Le label diversité est un dispositif de l'État, l'AFNOR n'en étant qu'un opérateur technique, porté par les ministères du travail, de l'emploi et de l'insertion, d'une part, de la transformation et de la fonction publiques, d'autre part, qui s'adresse à tous les employeurs, privés comme publics. La direction générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) a vocation à définir les politiques antidiscrimination menées par les employeurs privés, tandis que la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) concerne les employeurs publics.

Ce dispositif s'intéresse à trois phases de la vie professionnelle des salariés : celle du recrutement, avec une politique antidiscrimination lors de l'embauche ; celle de l'intégration, afin de vérifier la façon dont le salarié sélectionné par l'entreprise est accueilli en son sein ; et, surtout, celle du déroulement de carrière – lors de cette phase des discriminations peuvent apparaître –, l'objectif étant de s'assurer qu'une fois intégré le salarié bénéficie, au fil du temps, d'une égalité de traitement ou, plus exactement, de garanties de traitement non discriminant et que des formes d'antiracisme sont bien institutionnalisées pour éviter qu'il ne soit victime de racisme ou de discriminations.

Créé par l'État en 2008, le dispositif s'articule autour de quatre grandes étapes. La première consiste, pour les candidats à la labellisation, à se mettre à niveau ; nous n'intervenons pas dans cette phase de conseil puisque, pour prendre une image explicite, nous ne pouvons pas être à la fois l'auto-école et la préfecture, c'est-à-dire ceux qui vont évaluer les politiques, d'un côté, et les noter, positivement ou négativement, de l'autre. Les entreprises qui souhaitent obtenir le label se font généralement conseiller – cela représente 80 %, voire 90 % des cas – pour mettre en place toute une série d'actions.

Ensuite, l'entreprise nous contacte et nous diligentons des audits. Il est important de souligner que nous effectuons toujours une visite des sites géographiques où s'exerce l'activité de l'entreprise. Nos spécialistes réalisent cet audit en fonction d'un cahier des charges préétabli, qui comprend trois versions : une destinée aux employeurs publics, compte tenu du statut de la fonction publique ; une s'adressant aux entreprises privées, avec deux sous-versions, si j'ose dire, distinguant les grands groupes des PME/TPE. Je précise, puisque Mme la rapporteure a évoqué ce sujet, qu'une réforme du cahier des charges et du dispositif label diversité est en cours, visant à mieux l'adapter à ces dernières.

L'auditeur, ou l'équipe d'audit, se présente chez le candidat afin de vérifier trois aspects : premièrement, que l'ensemble des dispositions demandées dans le cahier des charges sont bien appliquées par l'employeur ; deuxièmement, qu'elles sont efficaces, en s'appuyant, lorsque c'est possible, sur toute une série d'indicateurs qui vont fournir des données exhaustives et objectives – je dis bien lorsque c'est possible parce que la loi interdit un certain nombre de mesures statistiques ; troisièmement, le label étant attribué pour quatre ans, l'auditeur s'assurera que la situation s'améliore dans le temps en revenant tous les deux ans.

Une fois les missions d'audit finalisées, nous rédigeons un rapport, dont les résultats sont partagés avec l'employeur, et qui est ensuite transmis à une commission nationale. C'est là toute l'originalité de ce dispositif car, à ma connaissance, c'est très peu répandu, y compris sur le plan international – j'ai lu dans vos travaux préparatoires que vous vous intéressiez aux comparaisons internationales. Cette originalité, qui a retenu l'attention de deux institutions majeures, l'Union européenne (UE) et l'Organisation des Nations unies (ONU), tient beaucoup à cette commission qui associe quatre grands collèges : l'État, tout d'abord, représenté par plusieurs ministères dont ceux chargés du travail, de la fonction publique, de l'intérieur ou encore des collectivités territoriales ; cinq grandes organisations syndicales de salariés – Confédération générale du travail (CGT), Confédération française démocratique du travail (CFDT), Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), Force ouvrière (FO) et Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) ; un collège d'employeurs constitué du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), de l' Union des entreprises de proximité (U2P) et de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) ; enfin, une délégation de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH).

Ils se réunissent dans le cadre d'un règlement intérieur, respectant des conditions de quorum et de prise de décision, pour analyser les résultats de l'audit effectué par nos soins. Parallèlement, les organisations syndicales présentes interrogent les représentants de l'employeur candidat à la labellisation et une délégation de ce dernier est entendue par la commission. Celle-ci rendra un avis, favorable ou non, à l'obtention du label, parfois favorable sous réserve de procéder à certaines mesures. Ce n'est qu'en fonction de cet avis que l'AFNOR Certification attribuera ou non le label diversité.

Ce dispositif est assez consensuel et comporte plusieurs barrières, de façon à éviter toutes dérives – il n'y en a d'ailleurs jamais eu –, de favoritisme ou de jugement subjectif quant à l'attribution du label, tous les acteurs associés vérifiant à la fois notre travail, la réalité de l'audit et des résultats tels qu'ils sont perçus au sein de l'entreprise candidate. Il permet d'avoir une vision assez claire de la politique anti-discrimination, et donc antiracisme, mise en place par l'employeur, d'une façon effective et pérenne dans le temps.

Concrètement, en application du cahier des charges, nos équipes vérifient que l'entreprise a effectué un état des lieux objectif en la matière et s'appuient, pour ce faire, sur l'article 225-1 du code pénal qui énonce les vingt-cinq critères selon lesquels des personnes sont habituellement discriminées et dispose que nul ne peut être discriminé en fonction de ceux-ci. Nous demandons à l'entreprise – j'emploie ce terme pour simplifier, mais ce peut être des ministères, des écoles, des théâtres... ou tous types de titulaires du label – de vérifier s'il existe ou non des problèmes au cours des trois grandes phases citées précédemment, à savoir le recrutement, l'intégration et le déroulement de carrière, à l'encontre de certaines populations, non pas déterminées par nous mais par l'article 225-1 du code pénal.

Les partenaires sociaux y sont très attachés ; chaque employeur a ses propres problèmes qu'il faut régler en fonction de sa situation, et non de celle de ses voisins. Le diagnostic est très important puisque c'est en fonction de cet état des lieux que l'employeur candidat affectera des moyens, définira des politiques, des actions, qui seront mesurées lorsque c'est possible, telles que la mise en place d'une cellule d'écoute indépendante, afin de s'assurer que les victimes de racisme puissent le déclarer en toute objectivité et faire l'objet d'un traitement associant la direction des ressources humaines – étant entendu que si cette dernière était impliquée au sens négatif du terme, elle ne pourrait pas bloquer le processus.

Au-delà, il s'agit de vérifier que la politique mise en place s'applique également vis-à-vis des fournisseurs, des partenaires et des clients de l'entreprise candidate au label. Ensuite, une analyse de l'ensemble des indicateurs mis en place est réalisée, des bilans peuvent en être tirés et des actions correctives peuvent intervenir.

Je pense avoir répondu, en quelques mots, à vos questions sur ce label diversité, qui concerne effectivement à peu près le nombre d'entités cité dans votre introduction. Cependant, il ne faut pas s'arrêter à ce chiffre car une entité peut recouvrir aussi bien un site géographique simple – j'ai souvenir d'une TPE dans le secteur de l'élagage, qui employait cinq ou six personnes sur des chantiers de particuliers –, qu'un grand groupe associant plusieurs usines et plusieurs milliers de personnes, tel que le groupe PSA, Engie, BNP Paribas ou Casino. Si l'on prend en considération les installations géographiques dans lesquelles le label est déployé, on peut multiplier ce chiffre par trois, voire quatre. Cela étant, il ne faut pas non plus se leurrer : ce n'est qu'une goutte d'eau et ce chiffre, ramené à la totalité des entreprises en France, est tout à fait modeste et démontre que de très gros progrès restent à faire.

Pour conclure, je voudrais dire que les partenaires sociaux et l'État ont toujours fait preuve de débats très constructifs et de positions convergentes. Il n'y a pas eu de prise de position non justifiée, les débats sont objectifs et ne sont pas empreints de positions préétablies négatives. Le label est attribué au terme d'un consensus entre le patronat, les syndicats, les spécialistes de la gestion humaine et l'État – dès lors qu'il ne s'agit pas de sa propre certification, car cela s'apparenterait à de l'autocertification, ce que nous ne voulons pas. Notre procédure vise notamment à combattre les conflits d'intérêts dans le cadre de ce dispositif.

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