Intervention de Julien Nocetti

Réunion du mercredi 22 septembre 2021 à 16h30
Mission d'information sur la résilience nationale

Julien Nocetti, chercheur associé, Institut français des relations internationales (IFRI) :

Je reviendrai brièvement sur la Chine et la Russie, que nous avons parfois tendance à associer, en insistant sur ce qui les différencie. La Chine a rapidement bâti une stratégie d'autarcie technologique physique et logicielle, couplée à une vision précise de l'ordre international et des valeurs qu'elle entend diffuser. Nous en voyons l'illustration dans le projet des nouvelles routes de la soie porté par Pékin, qui comprend le déploiement d'infrastructures numériques et technologiques dans le cadre d'une stratégie d'exportation de son modèle idéologique et politique. La séduction de ce modèle chinois s'étend à de nombreux acteurs, y compris en Europe.

De son côté, la Russie n'a jamais été tout à fait étanche en matière technologique et numérique, malgré la multiplication des lois tendant à garantir la souveraineté de la Russie sur l'internet et des projets spectaculaires de verrouillage interne. En dépit de certaines déclarations de dirigeants russes, Moscou est encore très dépendant de serveurs situés à l'étranger, puisque 55 % des données des citoyens russes sont hébergées hors de Russie. Malgré ces limites, la stratégie russe suscite l'attention, car elle n'est pas sans rapport avec la vision précise qu'ont les dirigeants russes de la place de leur pays dans le concert des nations : la mise en œuvre d'une stratégie numérique autonome permet aussi d'asseoir cette prétention à un rayonnement mondial.

Nos dépendances vis-à-vis des États-Unis sont évidentes, bien documentées et quasiment complètes, sur l'ensemble des couches du cyberespace. Je pense d'abord à notre dépendance vis-à-vis des câbles sous-marins américains, dont nous n'avons que tardivement pris conscience. Le marché câblier mondial est très complexe : sa structuration épouse plus ou moins le réseau télégraphique constitué au XIXe siècle entre la Grande-Bretagne et les États-Unis. Les enjeux capitalistiques que soulève son développement sont étroitement imbriqués avec des enjeux de souveraineté. Google et Facebook conduisent ainsi des stratégies très offensives vis-à-vis de l'Europe et de l'Afrique, mais aussi de l'Asie du Sud-Est, dans des eaux au cœur des rivalités internationales. Notre dépendance s'observe aussi dans la couche logicielle du cyberespace, au vu de la place significative prise par les plateformes systémiques et ubiquitaires des GAFAM. Il existe d'ailleurs un dynamisme de ces acteurs favorisé par leur puissance financière et humaine qui leur permet de capter des ressources. L'extraterritorialité du droit américain sert également leurs intérêts. Tant que nous n'aurons pas trouvé, en Europe, des moyens de lutter contre cette extraterritorialité, notre potentiel d'action demeurera limité.

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