EDF utilise les réseaux de télécommunications pour ses équipes de maintenance, dispose de fait de passerelles vers internet, et se trouve donc exposé à des risques vitaux, y compris sur ses systèmes alternatifs. Nous assisterons bientôt au développement des smart grids qui vont conduire à une convergence entre énergie et télécommunications. Progressivement, notre volonté d'optimisation de nos moyens de production va nous rendre moins résilients. Le « plan B » que vous évoquiez est par conséquent absolument nécessaire. On pourrait même parler d'un « plan C » reposant sur l'acquisition d'une certaine autonomie des réseaux de télécommunications.
D'un point de vue politique, cela n'a jamais été envisagé en France ni en Europe, mais il me semble que nous devrions nous poser la question. En travaillant sur certains sujets sensibles, je réalise que parfois, dans des situations de crise, ce que l'on pensait improbable quelques années plus tôt devient inéluctable, à l'image du rétablissement récent des frontières au sein de l'espace Schengen. La question de l'autonomie d'internet mérite donc d'être posée.
À l'échelle des cinq puissances du Conseil de sécurité des Nations unies, qui sont dotées de capacités de dissuasion nucléaire, la Chine travaille sur une isolation de son réseau internet, la Russie y travaille également, et nous pourrions nous rassurer en pensant que nous, les démocraties occidentales, notamment les Américains, les Anglais et les Français, n'avons pas besoin d'y travailler. Cependant, on constate que l'internet français est dépendant. Si je vous demande si le réseau américain est dépendant du réseau français, je pense que vous me répondrez par la négative. Et quand on connaît la stratégie d'alignement des Anglais vis-à-vis des Américains, on réalise que l'on est peut-être le dernier pays du Conseil de sécurité à ne pas se poser la question, dans un contexte où la pression d'un simple bouton, y compris de la part d'un allié, pourrait nous rendre tout à fait serviles. Les relations internationales se tendent et nos alliés les plus proches nous montrent qu'en cas de crise, ou quand l'essentiel est en jeu, ils sont en mesure d'actionner l'ensemble des leviers dont ils disposent. Par conséquent, je pense que cette question de l'autonomie n'est pas complètement en contradiction avec nos autres stratégies. Sinon, quelle est la raison d'être de Galileo ?
Nous avons par ailleurs auditionné les câbliers sous-marins, qui nous ont fait part des tensions sur le marché, notamment avec les GAFA – Google, Apple, Facebook et Amazon – et les BATX – Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi –. J'en conclus que, petit à petit, nous allons assister à une convergence croissante des capacités d'hébergement, dans la mesure où nous allons réduire les coûts de transport de la data, et au développement d'un mode dégradé qui le sera de plus en plus, puisque les hébergements seront de plus en plus centralisés. Compte tenu de l'ensemble de ces arguments, est-il saugrenu de réfléchir à une autonomie stratégique en matière d'internet ?