Je vous remercie de nous avoir invités à prendre la parole dans le cadre de votre mission d'information. Je commencerai par vous présenter le service dont j'ai pris la tête il y a un peu plus d'un an.
Le SSA compte aujourd'hui 14 700 personnes, civils et militaires, allant de l'élève infirmier au directeur central, qui accomplissent une mission unique : apporter en tout temps, en tout lieu et en toute circonstance, à tout militaire exposé à un risque lié à son engagement opérationnel, un soutien santé qui lui garantit la prévention la plus efficace et la meilleure qualité de prise en charge en cas de blessure ou de maladie. Cette mission unique s'inscrit totalement dans la stratégie de défense et de sécurité nationale du ministère des armées.
L'évolution des notions de sécurité et de conflit a imposé des réorientations stratégiques dans l'utilisation des moyens de défense au sein de notre pays et à l'extérieur de celui-ci. Ainsi, la stratégie de défense est aujourd'hui définie par ses cinq grandes fonctions : la connaissance et l'anticipation, la prévention, la dissuasion, la protection et l'intervention.
Pour assurer sa mission singulière dans tous les milieux – terrestre, aéronautique et maritime –, parfois extrêmes, dans certains cas au péril de la vie, le personnel du SSA dispose de savoir-faire spécifiques, qu'il exerce au profit du personnel des forces armées. Ces savoir-faire concernent essentiellement la prise en charge de la blessure de guerre physique ou psychique, le domaine NRBC et les pathologies infectieuses.
L'action du service est inscrite dans celle des forces armées – ce point mérite d'être souligné – et elle est marquée par les évolutions géostratégiques. L'émergence de nouveaux modes d'action militaire le pousse à anticiper ses propres modes d'action dans le domaine de la santé. Je pense en particulier à l'accélération des innovations technologiques et thérapeutiques, à l'intégration des nouvelles pratiques médicales, au recours à l'intelligence artificielle, à l'apparition de nouveaux métiers.
Pour relever ces défis, le SSA dispose principalement de trois atouts.
Tout d'abord, il met en œuvre une performance opérationnelle sans équivalent, illustrée par sa capacité à prodiguer des soins de très haute technicité dans des environnements lointains et extrêmement spécifiques.
Ensuite, il s'appuie sur cinq composantes intégrées aux forces armées, interactives et interdépendantes, qui garantissent la réussite de son action : la médecine des forces, la médecine hospitalière, la formation, le ravitaillement médical et la recherche. L'engagement opérationnel du service irrigue l'ensemble des composantes et s'appuie sur des centres d'excellence.
Enfin, le service constitue une capacité de santé réactive – sachant s'adapter à des situations inhabituelles – et permanente – sachant durer en haute intensité d'utilisation de ses moyens.
C'est donc fort de son histoire, de ses compétences et de ses expériences acquises sur le terrain que le SSA a été mobilisé dans la gestion de la crise du covid.
J'en viens aux actions menées par le SSA dans les premières heures de la crise sanitaire. Tout en continuant à remplir sa mission de soutien médical opérationnel, le service a pris conscience très vite qu'il devait se mobiliser en appui de la santé publique et au service de la résilience nationale. Il a mis en place un éventail d'actions qui ont fait appel à l'ensemble de ses composantes.
Dans ses huit hôpitaux d'instruction des armées (HIA), il a participé à l'augmentation des lits de réanimation disponibles et a réorganisé son offre de soins vers l'accueil des patients atteints du covid.
Dans sa chaîne de ravitaillement médical, il a réorienté ses productions pour faire face aux ruptures d'approvisionnement.
Il a conçu de nouvelles capacités médicales. Je citerai deux exemples : l'élément militaire de réanimation (EMR), qui a été déployé à Mulhouse, et la capacité d'évacuation par voie aérienne, dite capacité MEROPE – module de réanimation pour les opérations.
Au sein de la médecine des forces, il a mis en place sa capacité de télémédecine et a reconfiguré ses antennes médicales pour sécuriser l'accueil de patients atteints du covid.
Dans sa composante recherche, il s'est recentré sur son expertise en virologie et en biosécurité et a mené des missions d'investigation épidémiologique sur le terrain. De nombreuses initiatives de recherche et d'innovation intéressant tous les domaines de la crise ont été menées.
Le SSA a également conduit des actions plus connues du grand public dans le cadre de l'opération Résilience déclenchée le 25 mars 2020 – vous l'avez mentionnée. Il a joué un rôle clé dans cette opération en menant des évacuations sanitaires dans les airs, sur mer et sur rail. Il a notamment déployé l'EMR pendant un mois à Mulhouse, avec l'aide du régiment médical, et a fourni du personnel médical et paramédical pour évacuer des malades par voie ferrée entre Paris et Bordeaux.
Le service a envoyé des renforts et déployé d'autres modules militaires de réanimation (MMR) dans des centres hospitaliers à Mayotte, en Guyane, en Guadeloupe, en Martinique et en Nouvelle-Calédonie, ce qui a représenté huit missions. La sollicitation demeure forte, puisque nous venons d'envoyer une équipe en Nouvelle-Calédonie.
De plus, le service a participé de manière intensive à la campagne de vaccination au niveau national, au profit non seulement des militaires mais également de la population civile. Il est encore impliqué dans cette campagne.
Dans le même temps, comme je l'ai dit en préambule, le service a poursuivi sa mission régalienne de soutien des forces en opération, maintenant ainsi leur capacité opérationnelle. Il a adapté les mesures de santé publique aux spécificités du ministère des armées en prenant des mesures de prévention visant à limiter la propagation du virus au sein des forces armées et en menant des enquêtes épidémiologiques. Bien évidemment, il a renforcé son action de conseil au commandement sur tous les aspects relatifs à la protection de la santé des forces armées.
La gestion d'une crise sanitaire d'une telle ampleur nous a amenés à nous interroger sur les modes d'action du service. Ce questionnement a pris la forme d'un retour d'expérience (RETEX). Ne pouvant être exhaustif sur l'ensemble des enseignements tirés, permettez-moi de revenir sur quelques-uns d'entre eux, susceptibles d'intéresser votre mission d'information.
La dimension interministérielle de la gestion de cette crise a eu de fortes répercussions sur les activités du service. C'est l'un de ses enseignements majeurs. En effet, confiée rapidement au ministère des solidarités et de la santé, la gestion de crise, centrée sur le sanitaire, a limité le service dans la liberté d'emploi de ses moyens. À l'avenir, en cas de situation sanitaire exceptionnelle, ce qui se renouvellera sans aucun doute, il est probable que l'on recoure de nouveau aux moyens du service. Dans ce cas, il sera fondamental que la participation du service en matière de résilience de la nation soit arbitrée à un très haut niveau au sein des armées comme au sein du ministère, de telle sorte qu'elle soit utile et temporaire, et non systématique et permanente.
Pour ce qui concerne plus particulièrement la chaîne hospitalière, la crise a permis de mettre en évidence l'importance de la prise en charge des patients lourds. Notre mission au profit des forces armées en opération et de participation à la résilience de la nation impose de disposer de professionnels formés à la prise en charge de patients complexes, relevant de soins critiques, et de disposer d'un spectre capacitaire complet, notamment dans les spécialités sensibles de réanimation et de soins critiques. Ce constat s'est révélé d'autant plus vrai avec la crise que nous venons de traverser.
Par ailleurs, au niveau national, des ruptures de stock ou des difficultés d'approvisionnement ont été rencontrées durant la crise. Elles ont pu concerner à la fois les équipements de protection individuelle (EPI) et les produits de santé. Le SSA a su échapper à ces ruptures de charge. Il l'a fait d'autant mieux que l'essence même de sa mission au bénéfice des forces armées lui confère une autonomie dans sa fonction « achat, ravitaillement, soutien et fabrication ». Il a ainsi su conserver sa liberté d'action durant cette période.
De manière générale, même s'il y a eu quelques échanges techniques, la coopération internationale avec les services de santé partenaires – je citerai les États‑Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni – est restée marginale, d'autant plus que chacun de ces pays était déjà absorbé par la lutte contre la propagation de l'épidémie sur son propre territoire. Je pense que la coopération internationale peut être un élément de résilience en temps de crise si la crise à gérer est strictement intraterritoriale. Elle doit alors être préparée dès le temps de paix.
Pendant cette crise, le service aura montré qu'il est résilient. Néanmoins, cette capacité de résilience peut encore être optimisée. La participation du SSA à la résilience de la nation peut être mieux organisée et mieux encadrée, pour lui permettre de façon plus souple de garantir le contrat opérationnel des forces armées, d'une part, et de participer à hauteur de ses moyens et de son expertise à la gestion d'une crise d'ampleur nationale, d'autre part. C'est tout l'intérêt des réflexions qui ont été engagées à la fois au sein du ministère des armées, de l'état‑major des armées et du SSA à l'issue du RETEX sur cette crise du covid. Je souhaiterais vous en faire part.
La participation du service à la résilience de la nation est encadrée par un certain nombre de textes qui, tous, insistent sur la nécessité de donner la priorité au besoin des armées. Au déclenchement d'une crise, la demande de concours du service à la résilience de la nation doit prendre la forme d'un effet à obtenir, et non pas d'une demande de moyens, l'arbitrage final relevant de la ministre des armées. Il s'agit d'un principe fondamental, car il laisse au service une marge de manœuvre suffisante pour mettre en place les moyens qu'il juge adéquats pour répondre à la crise, tout en maintenant ses capacités au profit du soutien opérationnel des forces armées. Lors de la crise du covid, ce principe a parfois pu être contourné.
La règle des « 4 i » en vigueur dans les armées détermine que leurs moyens peuvent être engagés dès lors que les moyens civils sont « inexistants, insuffisants, inadaptés ou indisponibles ». Une réflexion est en cours au sein du service, car ses impératifs doivent être pris en compte. Avant de parler de l'emploi des moyens, il me paraît indispensable de définir des principes d'utilisation de ces moyens. À mon sens, je le répète, le service doit apparaître comme un recours utile et temporaire en soutien de la santé publique, et non comme un recours systématique et permanent.
Le service dispose de moyens humains comptés. Pour preuve, il ne dispose au total que d'une centaine de médecins anesthésistes-réanimateurs (MAR). À titre de comparaison, le secteur civil en France en compte près de 11 000. Je précise également que nos MAR exercent dans tous les secteurs de leur spécialité – anesthésie, réanimation médicale et chirurgicale, mais aussi anesthésie et réanimation des brûlés –, contrairement aux MAR civils, qui sont hyperspécialisés. Ils sont soumis, par ailleurs, à des contraintes horaires extensibles. À cet exercice polyvalent et très exigeant s'ajoute la nécessité pour les MAR militaires d'assurer leur préparation opérationnelle.
Étant comptés, nos moyens servent avant tout à garantir la résilience des forces armées. Le service n'est donc pas en mesure de sanctuariser des moyens qui permettraient uniquement de répondre à l'impératif de résilience de la nation ; je le dis très clairement.
Je pense que la participation du SSA à la résilience de la nation peut être mieux anticipée, mieux organisée et, ainsi, mieux encadrée. C'est l'objet de la réflexion en cours, dont l'objectif principal est de redéfinir la place du service dans les arbitrages décisionnels, en considérant qu'il doit se situer à un niveau de gouvernance supérieur dès la conception de l'action. Cette réflexion passe également par la définition de principes qui pourraient constituer à terme une grille décisionnelle d'engagement des moyens du service en situation sanitaire exceptionnelle.
Le premier de ces principes serait l'exception : la situation sanitaire ou sécuritaire rencontrée doit être exceptionnelle et, en parallèle, le concours du SSA doit être demandé de façon exceptionnelle.
Le deuxième principe serait la légitimité de son action, garantie grâce à ses capacités et expertises largement reconnues.
Le troisième principe serait l'unicité : si l'emploi du service doit impérativement se concevoir de façon groupée, sa réponse doit revêtir, elle aussi, une forme d'unicité, c'est-à-dire être conçue de façon adaptée pour une situation précise.
Puis viendrait le principe de globalité : la réponse doit être conduite de bout en bout, dans toutes ses étapes, de la conception et la planification jusqu'à la réalisation.
La complémentarité serait le principe suivant : le service ne peut agir en situation dégradée qu'au sein des forces armées et en complémentarité des moyens civils déjà mobilisés.
La responsabilité serait le sixième et dernier principe. Il revient au service d'assurer et d'assumer cette responsabilité dans tous les aspects de son action, d'où la nécessité de participer à la prise de décision et d'exister dans la gouvernance de crise.
Parallèlement aux travaux menés au sein du service, des réflexions ont été amorcées au niveau du ministère des armées et de l'état‑major des armées sur l'enjeu de résilience. Toutes ces réflexions viennent nourrir l'ambition SSA 2030 que je porte pour le service.
Garantir la capacité d'action et la résilience des forces armées est aujourd'hui au cœur de la mission du service ; c'est le respect du contrat opérationnel. Il ne fait aucun doute qu'en 2030, la capacité de résilience des forces continuera d'être mise à l'épreuve. La guerre de demain sera plus diffuse, plus intense, plus dure ; les risques à prendre en compte seront liés à la nature des conflits, avec l'apparition de nouveaux systèmes d'armes – par exemple, les agents NRBC –, et aux conditions d'engagement de nos forces armées. C'est pourquoi l'ambition SSA 2030 se recentre sur la mission de soutien aux forces armées. Elle vise à mieux répondre à leurs besoins et à garantir leur résilience en toutes circonstances.
Mais le service détient aussi des capacités, des savoir-faire et des ressources qui peuvent évidemment être mis à la disposition des autorités civiles en cas de situation exceptionnelle sur le territoire national. Au même titre que les forces armées et avec elles, il est donc en mesure de participer à la résilience de la nation.
Dans les années à venir, les questions sanitaires se multiplieront et les capacités du service continueront d'être mises à contribution. C'est pour cela que l'ambition SSA 2030 accorde une place cruciale à cet enjeu. J'entends maintenir les capacités de veille et d'anticipation du service, qui jouent un rôle majeur en matière de risques sanitaires. Je souhaite que nous orientions nos partenariats dans une logique utile et féconde pour le service. C'est la raison pour laquelle je souhaite réaxer notre coopération à la fois avec la santé publique, avec les autres ministères et avec nos alliés et nos partenaires européens et internationaux.
En ce qui concerne la santé publique, il est impératif de rééquilibrer notre relation avec les partenaires civils afin que les conditions d'emploi de nos soignants et de nos moyens soient pleinement compatibles avec nos priorités opérationnelles. Aujourd'hui centrées sur le ministère des solidarités et de la santé, les crises de demain pourraient, comme cela a déjà été le cas par le passé, concerner d'autres ministères, comme celui de l'agriculture, celui de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation ou encore celui de l'intérieur. Notre action ne doit donc pas demeurer centrée sur le ministère des solidarités et de la santé. Au demeurant, nous coopérons déjà avec le ministère de l'intérieur : des compétences de médecin militaire sont intégrées au sein de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) et du bataillon des marins-pompiers de Marseille (BMPM). Nous devons aujourd'hui préciser nos relations avec ces autres ministères.
S'agissant de nos partenaires européens, les coopérations déjà amorcées avec l'Allemagne telles que les jumelages d'hôpitaux militaires, les coopérations sur les théâtres d'opérations ou la participation aux forces de présence à Djibouti sont à pérenniser.
Dans les années à venir, la chaîne hospitalière militaire sera également refondée. La définition d'un nouveau schéma hospitalier permettra de répondre de façon plus optimale aux exigences de résilience par le renforcement des capacités opérationnelles des HIA. Les pôles d'excellence que sont par exemple les trauma-centers des hôpitaux de Percy et de Sainte-Anne ou les infectio-centers des hôpitaux de Bégin et de Laveran confirmeront leur participation au contrat opérationnel des forces et à la résilience de la nation.
Pour conclure, j'insisterai sur notre raison d'être. Nous avons un contrat opérationnel fixé par le chef d'état-major des armées : garantir le soutien des forces armées. Toute notre organisation concourt à la garantie de ce contrat opérationnel et, quel que soit notre niveau de participation, à la résilience de la nation. La garantie de ce contrat doit demeurer la base de notre réflexion. Ainsi, une participation inconsidérée du SSA pourrait entamer sa capacité à contribuer à la résilience des forces armées ; il importe de le garder à l'esprit. Les principes d'engagement des moyens doivent être partagés, compris, acceptés. Je le redis, dans le cadre de sa participation à la résilience de la nation, le service doit apparaître comme utile et temporaire, et non systématique et permanent.