Intervention de Jérôme Léonnet

Réunion du mercredi 27 octobre 2021 à 18h15
Mission d'information sur la résilience nationale

Jérôme Léonnet, directeur général adjoint de la police nationale :

Pour la police nationale comme pour la plupart des institutions concernées par la gestion de crise, l'essentiel est l'anticipation. Sur ce point, il faut souligner tout l'apport qu'a représenté la montée en puissance, depuis 2013, du renseignement territorial.

Après la réforme de 2008, la direction de la surveillance du territoire (DST), devenue la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) puis la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), a quitté le giron de la police nationale, qui ne disposait ainsi plus, pour ses capacités propres en matière de renseignement, que d'un service de l'information générale. Pendant plusieurs années, celui-ci a eu des difficultés à maintenir la qualité de recueil de l'information, donc d'anticipation, que l'on pouvait attendre d'un service de renseignement. Les observateurs, notamment les préfets et les élus, déploraient les limites de ce qu'était devenue l'information générale après 2008.

De ce point de vue, la création du service central du renseignement territorial (SCRT) en 2013 a constitué une étape importante. Doté d'un effectif d'environ 1 500 agents, contre 3 500 pour les renseignements généraux (RG) au moment de leur suppression, il a dû progressivement acquérir les moyens humains et la familiarité avec les sujets propres à un service de renseignement placé au plus proche des préoccupations de nos concitoyens et de la police nationale – ce qui constitue le renseignement de premier niveau. Depuis sa création, il n'a cessé de bénéficier d'effectifs supplémentaires, ce qui, en matière de gestion de crise, est un atout pour la police nationale. Rappelons que celle-ci compte 146 000 agents, dont 65 000 chargés de la sécurité publique, qui sont confrontés à des situations de natures très différentes, des crises d'ampleur d'envergure nationale, et parfois même internationale, aux troubles ordinaires et aux violences qui agitent les quartiers de façon récurrente. La remise à niveau du renseignement territorial était donc cruciale pour la sécurité publique.

Pour la sécurité publique, la séparation du renseignement territorial et de la police représenterait selon moi une perte. Concrètement, leurs agents travaillent dans les mêmes bureaux. Les informations que les agents du SCRT recueillent sur le quotidien ou sur ce qui l'est moins, par exemple le risque de subversion et de radicalisation, est pris en compte de façon spontanée par les agents de la sécurité publique, et plus généralement de la police nationale. La revitalisation du renseignement territorial, dont les effectifs sont à 200 personnes près ceux des RG avant leur dissolution, est une donnée importante.

Par ailleurs, il n'y a jamais eu un gendarme affecté aux RG. Parmi les 3 200 agents du SCRT, on dénombre 350 gendarmes, qui lui permettent de mener un véritable travail d'anticipation sur l'ensemble du ressort des départements. Police et gendarmerie se répartissent habituellement le territoire, chacune dans sa zone. Le SCRT, qui est commun aux deux forces, présente l'avantage d'être compétent sur l'ensemble d'un département donné. Il peut gérer une crise sur le territoire de compétence de la gendarmerie nationale, comme cela a été le cas à Sivens ou à Nantes au cours des dernières années, ainsi qu'en milieu urbain.

Outre la capacité d'anticipation, vitale pour gérer les crises, qu'offre le renseignement territorial, celui-ci nous relie au quotidien au reste de la communauté du renseignement. Ayant eu le privilège de travailler à la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme pendant quelques années avant de revenir à la police nationale prendre les fonctions que j'occupe actuellement, j'ai constaté à quel point son intégration dans la communauté du renseignement permet au SCRT d'éclairer la police nationale sur des sujets qu'il ne traite pas habituellement, ce qui fait de lui notre service de liaison avec la communauté du renseignement. Concrètement, les bureaux du SCRT hébergent une antenne de la DGSI, dont les six fonctionnaires partagent quotidiennement leurs informations.

L'anticipation est une chose, le suivi de crise en est une autre. Si le SCRT a un rôle à jouer, ce travail incombe aux états-majors des directions centrales. La DGPN s'est dotée il y a quelques années d'un état-major couvrant tous les domaines de compétence de la police nationale. Auparavant, il fallait collecter les informations avant de les compiler. Le centre d'information de la police nationale (CIPN), qui préfigure nos projets de réorganisation de la police nationale, est le point de convergence de l'information. Il permet au DGPN de disposer d'une information consolidée et de transmettre au ministre de l'intérieur un fil d'information aussi complet que possible.

Ce travail en direction centrale n'est rien sans le recueil de ce qui se passe dans les territoires, que nous devons d'abord au maillage territorial de la sécurité publique. Ce maillage a évolué au cours des dernières années, et singulièrement depuis le début de cette année, en raison de la création des directeurs zonaux de la sécurité publique (DZSP). Auparavant, la sécurité publique était organisée au seul échelon départemental, ce qui correspond au territoire essentiel de gestion de crise, par des services placés sous l'autorité du préfet.

Certes, l'échelon départemental est l'échelon naturel d'évolution de la police nationale dans les territoires. Toutefois, la nécessité de disposer d'une capacité de coordination des services de police entre l'échelon central et l'échelon départemental s'est fait sentir, pour renforcer une ville en difficulté en faisant appel à des effectifs de départements voisins et pour rapprocher les doctrines d'intervention. Tout le travail mené par les directions centrales sur la gestion de crise, ayant abouti notamment au schéma national d'intervention des forces de sécurité, n'a de sens que si nous pouvons décliner une doctrine, une posture et des bonnes pratiques dans les territoires. Tout cela est facilité par l'institution des DZSP.

Cette nouvelle institution préfigure la démarche de réunification dans laquelle nous engageons la police nationale, même si le terme est peu approprié à ce que je m'apprête à décrire. La police nationale est souvent fragilisée par son organisation, qualifiée récemment encore de « silotique ». Les diverses spécialités de la police nationale, telles que la police judiciaire (PJ), la police aux frontières (PAF) et même le renseignement, se sont souvent construites au gré des événements. Nous ressentons le besoin de réunifier les filières métiers sous une seule et même bannière.

Cette idée a été exprimée assez clairement dans le Livre blanc de la sécurité intérieure. En 2020, nous avons bénéficié d'une expérimentation outre-mer. Trois directions territoriales de la police nationale (DTPN) ont été créées en Guyane, à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie. Tous les observateurs – corps préfectoral, magistrats de l'ordre judiciaire – ont dressé un bilan positif de leur façon de fonctionner. Nous avons donc proposé au ministre de l'intérieur de les expérimenter dans l'hexagone, et créé trois DDPN, à droit constant, dans le Pas-de-Calais, dans les Pyrénées-Orientales et en Savoie.

Le premier bilan que nous en avons dressé est plutôt positif – à droit constant, il est difficile d'être définitif. Ce qui est sûr, c'est que cette réorganisation de la police nationale, effectuée dans la foulée de la création des DZSP, permet de placer sous un commandement unique de la police nationale les différentes forces que compte celle-ci dans un département.

À Mayotte, par exemple, les policiers affectés à la sécurité publique étaient confrontés à des crises relevant pour l'essentiel des violences urbaines, tandis que ceux de la PAF géraient la crise migratoire. Chaque force travaillait de son côté, et la marge de progression que pouvait constituer le renfort de l'une par l'autre n'était pas évidente. Les renforts existaient, mais ils étaient insuffisamment réactifs. La création d'une DTPN à Mayotte nous a permis, de façon très automatique, de susciter des renforts quand une crise dominait, pour mieux gérer ces événements, et ce tout au long de l'année 2020.

Dans les trois départements d'expérimentation de l'hexagone, qui eux aussi sont souvent confrontés à des crises migratoires, nous avons le sentiment d'avoir trouvé des marges. En matière d'investigation, la police judiciaire a démontré une capacité améliorée d'animation de la filière. Vous qui êtes élus dans les territoires, vous savez aussi bien que moi que la sécurité publique est confrontée au premier niveau de plaintes, celles du quotidien, qui portent sur des infractions de plus en plus graves. Il est donc indispensable de faire en sorte que la police judiciaire pilote toute la filière investigation. Telle est la vertu de cette réorganisation.

Par ailleurs, la gestion de crise – la présence à mes côtés de M. Alexandre Fouchard en témoigne – est une spécialité à part entière. Nous cherchons à acculturer les effectifs de la DGPN à des domaines dans lesquels nous n'étions pas très bons, tels que la planification. Sur ce point, nous avons beaucoup appris de nos camarades militaires et faisons de grands progrès. Désormais, un commissaire général de police travaille à la coordination auprès du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), ce qui nous permet d'avoir une vision globale des sujets suivis et d'être totalement en phase avec cette institution.

Enfin, les exercices de gestion de crise que nous menons sont bien plus nombreux qu'auparavant. Nous nous inspirons également du SGDSN pour généraliser les retours d'expérience (RETEX) à toutes les crises que nous gérons, avec succès ou non, y compris en matière de sécurité publique.

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