Intervention de le contrôleur général Hugues Deregnaucourt

Réunion du vendredi 19 novembre 2021 à 10h00
Mission d'information sur la résilience nationale

le contrôleur général Hugues Deregnaucourt, fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) :

La fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, créée en 1882, est une association qui regroupe aujourd'hui 285 000 adhérents, parmi lesquels des sapeurs-pompiers volontaires et professionnels ainsi que des jeunes sapeurs-pompiers (JSP) et des anciens sapeurs-pompiers (ASP). Au départ, notre association jouait le rôle de caisse d'entraide, de foyer de solidarité, car il n'y avait pas d'organisation sociale et solidaire autour des sapeurs-pompiers. Puis elle s'est organisée, devenant un interlocuteur direct des différentes organisations gouvernementales, dont le ministère de l'intérieur. Il existe en France neuf organisations syndicales de SPP pour seulement 40 000 salariés. En revanche, la fédération représente aussi les 200 000 SPV, les 35 000 JSP et 50 000 ASP, permettant une expression à la fois sociale et politique. L'adoption de la loi Matras, dont nous nous réjouissons, est l'aboutissement d'un travail effectué de concert entre Fabien Matras et la fédération, mais aussi, bien évidemment, avec l'ensemble des acteurs de la sécurité civile.

De nos jours, nous traversons une crise chaque année, de nature différente à chaque fois ; mais finalement, ce sont toujours les mêmes questions que nous nous posons concernant la préparation, la gestion de la crise et le retour à la normale. Lorsque nous avons été confrontés au virus H1N1 dans les années 2000, des retours d'expérience avaient été effectués et des plans nationaux avaient été élaborés. La crise de la covid-19 nous donne l'impression de revivre le même scénario et nous amène à nous poser pratiquement les mêmes questions. Néanmoins, les crises ont tendance à s'amplifier chaque année. Si elles ne sont pas plus fréquentes qu'avant, elles sont beaucoup plus lourdes de conséquences.

Les sapeurs-pompiers représentent 95 % du budget de la sécurité civile, à travers les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), qui se caractérisent par une organisation territoriale. Le bras armé de l'État – à travers le préfet – en matière de sécurité civile, ce sont les collectivités territoriales – départements ou métropoles le cas échéant – qui le portent, avec ces SDIS. L'évolution des crises doit donc être prise en considération dans le dimensionnement de nos SDIS et, demain, dans la préparation et l'organisation des secours.

Le préfet peut compter à tout moment sur l'intervention de la sécurité civile, forte de 240 000 sapeurs-pompiers et de moyens aériens. On peut ainsi se demander pourquoi seul un nombre très limité de pompiers occupent des postes au niveau national. Les sapeurs-pompiers étant des fonctionnaires territoriaux et non des fonctionnaires d'État, ils sont très peu nombreux au sein des différents ministères.

En 2004 a été promulguée la loi de modernisation de la sécurité civile. Elle a permis de stabiliser l'institution des SDIS au niveau départemental mais elle comportait également un volet prévention portant sur l'alerte et sur la formation des populations. Or, force est de constater qu'à ce niveau, dix-sept ans plus tard, nous en sommes toujours au stade des balbutiements. Nous constatons en effet l'absence de politique globale de culture de la prévention des risques au sein de la population.

À l'échelon individuel, lorsqu'une personne se rend quelque part, elle ne se pose jamais de questions quant aux enjeux sécuritaires, elle ne raisonne pas en termes de gestion des risques. Chacun devrait pourtant s'interroger sur les réflexes adaptés au regard des risques répertoriés selon les endroits. Les sapeurs-pompiers ont ainsi été particulièrement interpellés quand, il y a deux ans, un incendie s'est déclaré à Paris, rue Erlanger, qui a fait dix morts. En effet, la moindre action de sensibilisation aurait sûrement permis d'éviter un tel drame, grâce à l'adoption de comportements appropriés. Le constat est similaire s'agissant de la tempête Alex ou des inondations.

Nous constatons en outre l'absence de portage politique fort en matière de protection et de sécurité civiles. Tout le monde s'occupe de la gestion des crises mais ce n'est finalement pas productif. Il existe le principe d'un commandement unique, d'une communication unique et d'une coordination entre forces menantes et concourantes, mais ce sont aujourd'hui des notions qui se perdent. À l'époque de la crise H1N1, cela fonctionnait plutôt bien, mais c'est plus compliqué à l'heure actuelle ; nous l'avons vu avec la catastrophe de Lubrizol et la crise du covid-19. L'organisation en tuyaux d'orgue que nous connaissons aujourd'hui est peu propice à une coordination pourtant nécessaire. En théorie, cette coordination est assurée par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) ou par le Premier ministre. Mais, dans les faits, certaines choses échappent à cette vision centralisée.

Nous pouvons dire que nous savons gérer les crises. Nous réalisons 5 millions d'interventions par an ; quand un problème se produit, in fine, on sollicite les sapeurs-pompiers. Mais ce manque de culture de la gestion des risques, aux échelles individuelle et étatique, entrave notre résilience. Il est primordial de responsabiliser les populations ; cela constitue la pierre angulaire de toute action que l'État ou nous-mêmes pourrions mener.

Forts de ces constats, nous proposons quelques pistes de réflexion. Nous ciblons en particulier le portage politique et le pilotage opérationnel. Face à la montée en puissance des crises, la question d'un ministère dédié à la protection civile et à la gestion des situations d'urgence se pose. Non pas que le ministère de l'intérieur n'ait pas, jusqu'à présent, assumé son rôle, notamment lors des récentes tempêtes ou au cours de la pandémie ; mais l'aspect protéiforme des crises implique une réponse continuellement coordonnée. J'emploie souvent l'image suivante pour illustrer mon propos : lorsque nous intervenons sur un risque chimique, ce n'est pas l'ingénieur sécurité chimiste de la société qui dirige l'intervention, mais un conseiller technique. Un ministère peut piloter la gestion de crise au départ mais on sait très bien que cela touche souvent aussi les acteurs de l'économie, de la société, de l'éducation, voire de la santé. Le pilotage interministériel, tel qu'il se pratique dans d'autres pays, en Italie notamment, apparaît comme une nécessité. Par conséquent, soit le SGDSN et le Premier ministre prennent la tête des opérations, et pas uniquement sur la planification, soit le ministère de l'Intérieur s'en charge, avec la nécessité de renforcer le rôle des territoires, compte tenu de l'importance de l'action du préfet. Quoi qu'il en soit, si l'on souhaite mettre en place une politique globale de sécurité et de gestion des risques, de retour à la normale et donc de résilience, l'implication de six ministères distincts telle qu'elle se pratique aujourd'hui doit être abandonnée au profit d'un système coordonné. Ce premier point pourra être étayé par des propositions en termes de formation de nos cadres, hauts cadres et élus à la gestion des crises, via, par exemple, l'Institut national du service public (INSP) ou l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (ENSOSP), où l'on forme de plus en plus de cadres de préfecture et d'élus.

Nous pourrons également aborder le thème de la réponse coordonnée au niveau inter-frontalier, en Europe. Ce mécanisme a été utilisé plus de cent fois en 2020 et la France, qui dispose d'un réel savoir-faire dans ce domaine, est régulièrement sollicitée.

Nous pourrons encore aborder la question de la formation des élus locaux et de la force de l'implication des collectivités locales. « Penser local, agir global » est un principe qui a toujours existé ; mais une réflexion locale dans la recherche de solutions est également possible. La gestion du covid-19 s'est déroulée en deux phases ; le passage à un fonctionnement local et interservices dans la résolution des problèmes s'est avéré particulièrement efficace.

La question de l'information des populations pourra elle aussi être développée. Dans les heures qui ont précédé les inondations survenues dans l'Aude en octobre 2018, Météo France n'avait émis qu'un bulletin orange, événement tout à fait banal si l'on considère les innombrables bulletins oranges émis chaque année dans ce département. Le passage en vigilance rouge est nécessaire pour alerter la préfecture, qui elle-même avertit les communes. Le directeur du SDIS et le préfet Thirion ont eux-mêmes anticipé le danger et la cellule a été activée à minuit, ce qui a permis d'alerter la population sans attendre six heures du matin, heure où le bulletin rouge a été édité. Cela a probablement permis de réduire l'ampleur de cette catastrophe a fait treize morts. Un évènement de ce type s'est déroulé en Allemagne, récemment, avec plus de trente morts. L'alerte des populations via une politique de cell broadcast – diffusion cellulaire – sur un territoire bien défini, actuellement portée par le ministère de l'intérieur, nous paraît primordiale pour réduire encore les conséquences humaines de ces catastrophes.

Les habitants doivent par ailleurs être mieux préparés. Nous avons beaucoup apprécié la campagne d'information préventive sur les comportements qui sauvent (IPCS), grande cause nationale 2016, qui nous a paru aussi importante que l'apprentissage des gestes de secourisme. Sauver, ce n'est pas seulement pratiquer un massage cardiaque, c'est aussi, par exemple, se demander, si l'on se trouve dans une zone à risque : en cas d'évènement, est-ce qu'il vaut mieux évacuer le bâtiment, rester à l'intérieur, ou encore monter aux étages ?

Il n'existe pas en France de journée du risque, à l'image de ce qui se pratique au Japon. Le certificat prévention et secours civiques de niveau 1 (PSC1) reposait initialement sur une formation dévolue à l'éducation nationale, mais on constate que les moyens de mise en œuvre sont insuffisants. Certains départements prennent parfois le relais. Je suis moi-même directeur du SDIS de l'Ain. Notre département, comme d'autres, forme chaque année 8 000 collégiens aux gestes qui sauvent. Ne pourrait-on pas imaginer, dans le cadre de l'examen du permis de conduire, du baccalauréat ou simplement d'une journée annuelle dédiée, un samedi par exemple, organiser une information à la fois sur les gestes qui sauvent et sur les comportements à adopter ?

Enfin, nous pourrons aborder la loi Matras et l'évolution de notre organisation. Depuis la loi de 2004 sur la modernisation de la sécurité civile, nous n'en avions pas connu de telle. La mise en place du numéro unique pour les appels au secours contribue à développer une vision interservices de la réponse opérationnelle. Cette loi vise en outre une valorisation de notre modèle de sécurité civile fondé sur 200 000 sapeurs-pompiers volontaires, soit 80 % de notre effectif. Ce modèle contribue largement à la résilience de nos territoires. Pendant la crise covid, nos pompiers volontaires étaient plus disponibles que d'habitude en raison des mesures de confinement décidées, ce qui nous a permis de monter en puissance. Nos sapeurs-pompiers, principalement nos sapeurs-pompiers volontaires, participent par ailleurs très largement aux missions de vaccination et de dépistage. La directive européenne du temps de travail représente cependant une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Enfin, la loi Matras élargit les missions des SDIS en incluant des avancées sur les plans intercommunaux de sauvegarde (et pas uniquement les plans communaux). Composée de quarante et un articles, elle constitue une véritable loi de sécurité civile et nous sommes pleinement conscients des avancées dont elle est porteuse.

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