Je prends ce propos liminaire comme un acte d'humilité et presque d'adhésion à notre mission d'information puisque, finalement, vous nous avez dit en filigrane qu'il ne faut plus croire que l'armée a les capacités de faire face aux situations les plus difficiles. En trente ans, d'armée de masse – au temps de la guerre froide, il y avait 3 millions de réservistes –, elle est progressivement devenue une armée de projection. C'est un discours que nous devons tenir collectivement, car on entend encore parfois que l'on pourra recourir à l'armée en cas de grève de la RATP ou des éboueurs.
Nous avons lancé la mission précisément dans le but de réactiver l'esprit de l'ordonnance de 1959 d'une défense globale qui, outre un volet militaire, donne l'impulsion nécessaire à une politique interministérielle. Nous voulons même aller plus loin en cherchant comment, au-delà de l'action de l'État, associer les collectivités territoriales et les citoyens à l'instauration d'une véritable culture de la résilience. Nous en tirerons des conclusions sur le bon niveau de sollicitation des forces. Dans un rapport sur l'armée de terre, j'ai déjà eu l'occasion de souligner combien le suremploi lors de l'opération Sentinelle avait affecté durablement les niveaux de préparation opérationnelle. Une baisse soudaine de la fréquentation des camps d'entraînement avait été constatée en 2015, qui a pu affecter les capacités sur le long terme.
Vous mettez en exergue la notion de résilience réciproque des armées et de la nation. J'espère que la crise sanitaire nous a tous éclairés sur ces fragilités dont nous n'avions pas forcément conscience, aussi bien à l'échelle de la nation qu'à celle de l'armée. Celle-ci, au gré des décisions prises depuis trente ans, telle la révision générale des politiques publiques (RGPP), est de plus en plus dépendante de son environnement.
Par rapport au concept de défense totale et à l'exemple suédois, la dissuasion nucléaire, au cœur de la conception française, nous a maintenus dans un sentiment de sécurité alors qu'elle ne répond pas à l'ensemble des scénarios. Si les Scandinaves ou les pays de l'est de l'Europe sont un peu réactifs à ce sujet, c'est parce qu'ils n'ont pas la dissuasion et qu'ils doutent de plus en plus du parapluie américain.
Concernant la stratégie française, je m'interroge sur les contrats opérationnels. L'hypothèse d'engagement majeur (HEM) table sur 24 000 hommes en six mois, ce qui montre la faiblesse du dispositif par rapport aux centaines de milliers d'hommes que nous étions en mesure de déployer précédemment. Est-ce qu'un ennemi ou une crise nous laissera six mois pour nous adapter ? Ne serait-il pas temps de concevoir un scénario d'engagement maximum, brutal, si notre pays devait en avoir besoin ?