« Le gouvernement américain a le droit à la plus grosse précommande car il a investi dans la prise de risque. » Voilà ce qu'a déclaré Paul Hudson, directeur général de Sanofi, au sujet du futur vaccin contre le covid-19. Face à la pression de l'opinion publique, il a depuis rétropédalé mais ces propos spontanés sont malgré tout extrêmement révélateurs.
La crise sanitaire qui sévit depuis deux mois et demi dans notre pays a mis au jour de façon criante les fragilités structurelles de notre système de santé. Au-delà d'un hôpital public que l'on a depuis longtemps laissé tomber, c'est la production de nombreux médicaments qui se trouve aujourd'hui menacée, révélant ainsi les insuffisances de notre politique industrielle dans le domaine de la santé.
Il ne faut pas avoir la naïveté de croire – je suis certaine que ce n'est pas votre cas – que les difficultés rencontrées aujourd'hui sont apparues avec la pandémie. Ces dernières semaines n'ont fait qu'exacerber les conséquences néfastes, déjà existantes, de logiques privées qui ont dépassé les intérêts publics.
Pour que les milliers de vies perdues ne l'aient pas été en vain, je crois fermement qu'il est de notre devoir de tirer les enseignements de cette épreuve douloureuse en remettant le mot « public » au cœur de la santé publique.
La proposition de loi défendue par le groupe La France insoumise que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui réaffirme la nécessité d'assurer notre souveraineté et notre indépendance sanitaires. Elle inscrit dans le marbre de la loi que la santé est un bien commun et un droit fondamental.
Nous devons d'abord réaffirmer notre indépendance et notre souveraineté sanitaires, dont cette crise sans précédent a montré cruellement combien elles sont limitées.
Certains médicaments essentiels sont aujourd'hui au bord de la rupture de stock et les laboratoires français sont incapables de satisfaire les besoins indispensables. Les produits pour lesquels le risque de pénurie est le plus important sont, sans surprise, ceux dont la marge de profit, pour ces laboratoires, est la moindre. Si ces logiques délétères sont moins visibles en temps normal, elles ne peuvent être ignorées dans une période de pandémie mondiale.
Rien d'étonnant si de telles fragilités existent puisque les laboratoires européens n'ont cessé de délocaliser la fabrication des matières premières dans des pays disposant d'une main-d'œuvre peu chère et de règlementations moins strictes : 80 % des principes actifs qui nous servent à fabriquer des médicaments sont ainsi produits en Inde, en Chine et dans les pays du sud-est asiatique, ce qui accroît notre dépendance et notre vulnérabilité.
Surtout, nous sommes devenus trop dépendants du simple bon vouloir de quelques grandes multinationales pharmaceutiques. Le droit des brevets, qui devait favoriser l'innovation, privilégie bien plus les intérêts privés que l'intérêt général.
Où était-il, l'intérêt général, quand Gilead a cherché à prolonger la durée de vie de son brevet sur le Truvada, l'un des médicaments les plus utilisés pour traiter les séropositifs et le seul autorisé en Europe dans un but préventif pour les séronégatifs ?
Où était-il, l'intérêt général, lors du « procès de Pretoria », intenté par trente-neuf laboratoires pharmaceutiques contre une loi sud-africaine autorisant les médicaments génériques à bas prix pour lutter contre le sida ?
Où était-il, l'intérêt général, quand la société américaine Myriad Genetics a déposé deux brevets sur le gène qui prédispose aux cancers du sein et de l'ovaire, parvenant ainsi à privatiser jusqu'au génome humain ?
Où était-il, l'intérêt général, quand Sanofi à chercher à breveter une combinaison de deux médicaments utilisés contre la tuberculose, qui sont dans le domaine public depuis des décennies ?
Désormais, seule la course au plus offrant compte, comme le montre la clause d'exclusivité incluse dans le contrat sur les tests de dépistage que le laboratoire BioMérieux a conclu avec le ministère américain de la défense.
Faisons preuve d'imagination et changeons de paradigme !
Certes, la brevetabilité des médicaments est devenue la règle imposée par l'Organisation mondiale du commerce sur le plan international mais n'oublions pas que cela n'a pas toujours et partout été le cas. Les médicaments étaient exclus du champ des brevets en France entre 1844 et 1959 et en Allemagne entre 1877 et 1968. Un mécanisme de droits de copie licite des brevets de médicaments existait au Canada avant 1992. La situation actuelle n'est donc pas une fatalité.
Ce dogme de la brevetabilité, qui créé des monopoles, permet aux laboratoires d'imposer à nos systèmes de sécurité sociale des médicaments à des prix prohibitifs, comme le traitement contre l'hépatite C, Sovaldi, remboursé à hauteur de 41 000 euros pour un traitement curatif standard d'une durée de trois mois. Et que dire des Car-T cells, thérapies prometteuses qui utilisent les lymphocytes des patients modifiés génétiquement in vitro afin de lutter contre les cellules cancéreuses, et pour lesquelles l'injection unique coûte environ 350 000 euros ?
C'est le prix à payer pour des médicaments innovants, me direz-vous ? Non, car ces prix prohibitifs sont de plus en plus décorrélés des investissements en recherche et développement des entreprises. La très sérieuse Cour des comptes elle-même l'écrit dans un rapport de 2017 : « Dans la négociation, les objectifs des entreprises pharmaceutiques se sont déplacés de la mise en avant d'un retour sur leurs dépenses investies en recherche et développement vers des demandes de prix établies en fonction de la capacité à payer des acheteurs public. »
Pourtant, les choix que conduisent à fixer ces prix prohibitifs sont éthiquement insupportables. Ainsi, en France, le Sovaldi, en raison de son prix, est réservé aux malades les plus atteints alors que les chances de guérison augmentent si la maladie est traitée plus en amont et que ce traitement pourrait soigner plus de 90 % des malades atteints d'hépatite C chronique.
Les pouvoirs publics sont à la fois les complices et les victimes de la stratégie des laboratoires, laquelle pourrait se résumer ainsi : « socialisation des pertes, privatisation des profits ».
Vous avez sans doute lu comme moi l'article du Monde de lundi dont le titre est plus qu'explicite : « Recherche : comment de grands groupes privés tirent parti de fonds publics européens ».
En France, aucun exemple n'illustre mieux cette déficience que le crédit d'impôt recherche. Ce dispositif, qui pèse plus de 6 milliards d'euros par an dans le budget de l'État, était supposé favoriser les investissements et l'emploi dans le domaine de la recherche et développement en prenant en charge une large partie des dépenses que les entreprises privées y consacrent. Cet objectif a été très largement détourné puisque des laboratoires pharmaceutiques n'ont eu de cesse de réduire le nombre de leurs emplois liés à la recherche.
Surtout, les laboratoires ne présentent pas la facture une, mais deux fois, aux pouvoirs publics en profitant des asymétries d'informations et du manque de transparence qui entourent les coûts de production des médicaments. Ainsi, dans un premier temps, l'État finance les investissements de recherche et développement privés à travers notamment le crédit d'impôt recherche, puis, l'assurance maladie prend une seconde fois en charge, sur le long terme, ce supposé coût de l'innovation en remboursant certains produits au prix fort. En effet, les mécanismes de fixation des prix ne permettent pas au Comité économique des produits de santé de connaître les investissements publics ayant participé au développement d'un médicament.
Il est temps de mettre un terme à ces dérives.
Ainsi, l'article 1er de la présente proposition de loi entend élargir le dispositif de la licence d'office, qui permet de mettre sous licence accordée par l'État l'exploitation d'un brevet, ce qui permet à d'autres laboratoires de fabriquer le médicament avant qu'il soit passé dans le domaine public. Il rend ce dispositif déjà existant plus opérationnel et moins dépendant du bon vouloir des laboratoires. L'article 1er systématise le recours à la licence d'office dès lors que la santé publique et l'intérêt général sont en jeu.
Il met également fin à la redevance actuellement due au dépositaire du brevet dans le cas de l'exploitation d'une telle licence d'office. Celle-ci pourra d'ailleurs être exploitée directement par le pôle public du médicament nouvellement créé par l'article 2. Ce service public du médicament pourra ainsi fabriquer lui-même des médicaments innovants. Enfin, il pourra fabriquer des médicaments génériques avant la période d'au moins dix ans qui protège aujourd'hui le médicament de référence, ce qui favorisera une production plus rapide et plus efficiente de produits de santé dès lors que l'intérêt général le justifiera.
L'article 2 précise également l'organisation de ce pôle public du médicament, qui assurera dans certains cas l'approvisionnement en produits de santé de la France et d'autres pays en ayant besoin lorsque ce sera nécessaire.
La suppression du crédit d'impôt recherche, prévue par l'article 3, permettra de rediriger les 6 milliards d'euros de financement vers ce nouvel établissement public.
Ces propositions sont depuis longtemps défendues par notre groupe et le groupe de la Gauche démocrate et républicaine mais je crois qu'aux yeux de tous, aujourd'hui, elles apparaissent comme la solution qui s'impose. Ainsi, au sujet du vaccin contre le covid-19, le Président de la République a déclaré qu'il devrait être « un bien public mondial, extrait des lois du marché ». Je suis pour une fois tout à fait d'accord avec lui, mais au nom de quoi devrait-on réserver ce statut au vaccin contre le covid-19 ?
Le ministre des solidarités et de la santé a quant à lui admis devant le Sénat que le mécanisme de la licence d'office n'était pas suffisamment rapide et efficace pour faire face aux défis que nous connaissons.
Enfin, le ministre de l'économie a lui-même déclaré pendant la crise sanitaire que persister dans une telle situation de dépendance vis-à-vis de la Chine pour notre approvisionnement en principes actifs serait « irresponsable et déraisonnable ».
Je suis donc certaine que notre proposition de loi fera l'objet d'un consensus sur tous les bancs, notamment, sur ceux de la majorité.