Intervention de Christophe Blanchet

Réunion du mercredi 27 mai 2020 à 15h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Blanchet, rapporteur :

Pendant plus de deux mois, les Français ont remercié chaque soir, par des applaudissements, les personnels soignants pour leur engagement dans la lutte contre le covid-19. Face à cette crise sanitaire inédite dans l'histoire récente de notre pays, ils ont multiplié les gestes de solidarité en faveur des « blouses blanches » : messages de soutien aux fenêtres ou sur internet, distribution de repas, mise à disposition de logements, et tant d'autres actions. Mais le confinement a aussi provoqué, dans une partie de la population, une certaine frustration due à l'impossibilité de contribuer activement à la lutte contre le virus. C'est dans ce contexte que le Groupe Pasteur Mutualité, groupe mutualiste d'assurances et de services pour les professionnels de santé, a lancé en mars dernier, sur les réseaux sociaux, un appel aux dons de jours de réduction du temps de travail (RTT) sous le hashtag #JeDonneMesRTT. Les agents de l'URSSAF Pays-de-Loire ont lancé une initiative semblable, ainsi que la plateforme Change.org, qui a mis en ligne une pétition à ce sujet.

À la même période, l'idée d'accompagner les soignants a été évoquée par plusieurs parlementaires qui ont déposé des propositions de loi en ce sens : notre collègue Maxime Minot et le sénateur Édouard Courtial à droite, notre collègue Christophe Bouillon à gauche. Pour notre part, après réflexion et en nous appuyant sur le rapport de notre collègue Pascale Fontenel-Personne sur les vacances pour tous, nous avons adressé avec cent collègues de la majorité, le 22 avril dernier, un courrier à la ministre du travail et proposé une nouvelle mesure fondée sur les chèques-vacances. La ministre a publiquement apporté son soutien à cette proposition dans l'hémicycle il y a quinze jours.

Cette initiative des députés ne vise pas à répondre au mal-être du milieu hospitalier ou du secteur médico-social : des mesures de grande ampleur seront nécessaires pour leur donner davantage de moyens, améliorer leurs conditions de travail et revaloriser les salaires, les carrières ainsi que le point d'indice. Le Gouvernement a pris la mesure du travail à accomplir ; il a fait un geste en annonçant le versement de primes ainsi que des mesures pour l'hôpital et la dépendance. De plus, le « Ségur de la santé » permettra, j'en suis convaincu, d'avancer sur de nombreux sujets qui méritent une réponse forte de l'État.

La présente proposition de loi vise uniquement à rendre possible aujourd'hui ce qui était impossible hier, à savoir laisser la possibilité, sur la seule base du volontariat, à un salarié de donner aux soignants des jours de repos en les transformant en chèques-vacances. Nous avons tous en tête les nombreuses initiatives qui ont été prises autour de nous, et beaucoup d'entre vous ont accompli ou ont accompagné bien des actes solidaires. Nous avons tous observé dans chacune de nos circonscriptions des restaurateurs apporter des repas, des producteurs livrer leurs fruits et légumes ou fromages, des coiffeurs venus couper les cheveux des soignants... Celles et ceux qui ont fait ces gestes souhaitent aller au-delà des remerciements et applaudissements ; mus par les valeurs d'engagement, de solidarité et de fraternité, ils veulent faire plus. Par cette humble initiative législative, nous souhaitons leur en donner acte.

Tout d'abord, cette proposition de loi doit permettre aux salariés français qui le souhaitent et qui le peuvent de témoigner leur reconnaissance en faisant don de jours de repos aux personnels soignants pour leur engagement sans faille depuis le début de la crise sanitaire que nous traversons. Mais elle constitue aussi, même si ce n'est pas son objectif principal, un soutien au secteur du tourisme français, durement touché par cette crise.

Si l'idée de départ, émise par des élus et des collectifs divers, était de donner des jours de RTT aux soignants pour qu'ils puissent se reposer, il est vite apparu que cette proposition se heurterait à la difficulté pour les soignants de poser des jours de repos, surtout en période de crise sanitaire, difficulté d'autant plus grande que nombre d'entre eux n'arrivent pas à solder les jours de repos qu'ils ont accumulés car il n'y a tout simplement personne pour les remplacer. Il est donc devenu nécessaire de trouver une alternative.

La solution retenue, qui consiste à convertir les jours de repos donnés en chèques-vacances, permet d'apporter un soutien visible aux soignants, qui pourront profiter, sur leur temps libre, de loisirs supplémentaires – musées, parcs d'attractions, voyages, restaurants, théâtre... – dans une des 200 000 structures françaises dédiées au tourisme et à la culture qui acceptent les chèques-vacances.

Le texte qui vous est proposé permet donc d'acter une nouvelle forme de solidarité en levant un obstacle législatif. Comme vous le savez, en effet, les dons de jours de repos sont uniquement possibles au profit d'un collègue en charge d'un enfant gravement malade ou d'un collègue proche aidant. Le choix des chèques-vacances est apparu pertinent car il permet de garantir que les montants représentés par les dons de jours de repos seront dépensés dans l'économie nationale à court terme, dans la mesure où les chèques-vacances sont valables deux ans après leur année d'émission. Les sommes collectées seront ainsi consommées dans un secteur qui a été durement frappé par la crise sanitaire, avec un effet de levier de un pour trois. Faut-il rappeler que le secteur de l'hôtellerie et de la restauration a subi une baisse de 90 % de son chiffre d'affaires ?

Quelles sont les grandes lignes du dispositif, qu'un décret viendra rapidement préciser ?

Juridiquement, les RTT correspondent à des jours de récupération au titre des heures travaillées au-delà de trente-cinq heures, dans la limite de trente-neuf heures hebdomadaires, par des salariés exerçant dans une entreprise ou un établissement où existe un accord de réduction de temps de travail. Toutefois, le dispositif se veut plus large ; il porterait sur les jours de repos de manière générale afin d'intégrer la grande majorité des salariés, notamment les salariés sous convention de forfait et les salariés disposant de jours de repos en raison d'heures supplémentaires.

Pour autant, tous les salariés ne sont pas logés à la même enseigne en matière de congés : certains d'entre eux ont dû poser, à la demande de leur employeur, des jours de repos pendant la période de confinement afin de limiter les effets de la crise sanitaire. Néanmoins, il faut répondre au souhait d'une partie des salariés qui ont pu accumuler des jours de repos, notamment dans le cadre d'un compte épargne-temps, de soutenir les personnels soignants en allant plus loin que les applaudissements. C'est pourquoi le dispositif bénéficiera tout autant au personnel soignant qu'au personnel non soignant – agents d'entretien, cuisiniers, magasiniers... – du secteur sanitaire et médico-social qui ont travaillé pendant l'épidémie, que ce soit à l'hôpital, en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou à domicile, qu'ils exercent une activité libérale ou non, et ce même s'ils n'ont pas été directement en contact avec des patients infectés par le virus. De fait, c'est bien la mobilisation de l'ensemble des personnels du secteur sanitaire et médico-social sur l'ensemble du territoire national qui permet de contenir l'épidémie. Le confinement volontaire du personnel de certains EHPAD, comme celui de la commune du Mesnil-Guillaume, qui s'est confiné un mois avec les résidents, a parfois évité l'entrée du virus dans ces établissements.

Par ailleurs, afin de garantir une valeur faciale minimale des chèques-vacances distribués à chaque bénéficiaire, la définition du périmètre ne pourra être véritablement arrêtée que lorsque sera connu le budget généré par les dons de jours de repos. Dès lors, il faut que les revenus des personnels soient pris en compte dans l'attribution des chèques-vacances, qui devront bénéficier principalement aux plus modestes d'entre eux. Ce fléchage serait conforme à l'idée de départ du dispositif.

Avant de conclure, je souhaite aborder les enjeux financiers de cette proposition de loi. Il est bien sûr impossible de connaître dès maintenant la somme que pourraient rapporter les dons de jours de repos, mais il est indispensable d'évaluer l'ampleur du dispositif. Selon les dernières données de l'Institut national de la statistique et des études économiques disponibles, la France comptait 25 millions de salariés au quatrième trimestre : 19,5 millions dans le secteur privé et 5,5 millions dans le secteur public. Le salaire mensuel net en équivalent temps plein s'élevait en moyenne à 2 300 euros dans le secteur privé en 2017 et à 2 300 euros également dans la fonction publique en 2018. À partir de ces éléments, si chaque salarié des secteurs privé et public donne un jour de repos, le dispositif proposé permettrait de collecter jusqu'à 2,7 milliards d'euros. Dans la mesure où tous les salariés ne disposent pas de RTT et où les employeurs peuvent imposer à leurs salariés la prise de jours de repos jusqu'au 31 décembre 2020, cette estimation peut apparaître très optimiste ; néanmoins, dans l'hypothèse où 20 % des salariés, a priori les mieux dotés en jours de repos, donneraient deux jours de repos, le dispositif permettrait de collecter une somme de plus d'un milliard d'euros.

En conclusion, cette proposition de loi vise à ouvrir de nouvelles perspectives pour que la reconnaissance de nos concitoyens puisse s'exprimer. Elle ne remplace pas les mécanismes de solidarité par l'impôt, mais elle donne la possibilité aux Français de continuer à témoigner leur reconnaissance aux professionnels de la santé et du médico-social, de manière voulue, visible et véritable. Cette proposition de loi n'est que l'émanation de l'expression et des initiatives de nos compatriotes. Leur seule volonté est de remercier, de montrer leur reconnaissance, leur affection et leur solidarité, sans rien attendre en retour. Victor Hugo affirmait : « La grande chose de la démocratie, c'est la solidarité. » Alors légiférons, faisons en sorte que la loi ne fasse pas obstacle à l'élan de solidarité des Français, permettons-leur le plus simplement possible, à travers cette disposition, de donner un écho à leurs applaudissements.

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