Intervention de Guillaume Peltier

Réunion du mercredi 3 juin 2020 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Peltier, rapporteur :

Merci de m'accueillir au sein de votre commission. Cette proposition de loi entre particulièrement dans le champ des compétences de la commission des affaires sociales en matière de travail, d'emploi et de cotisations.

Nous sommes confrontés à une crise sanitaire, économique et sociale sans précédent et nous découvrons chaque jour des chiffres terribles. Nous sommes en pleine récession : 8 points de la richesse nationale perdus, soit pire qu'en 1870 et en 1914 ! En 1944, seulement ce fut plus tragique, avec 15 points de moins.

Au mois d'avril, le chômage a ainsi augmenté de 23 %, soit 843 000 Français de plus laissés au bord du chemin. Chez les jeunes, la hausse a été de 29 %, touchant 150 000 d'entre eux, évolution d'autant plus terrible qu'ils étaient déjà très touchés par ce phénomène, avec un taux de chômage avant la crise de 20 %, contre environ 8,5 % pour l'ensemble de la population active, et que près de 2 millions supplémentaires vont arriver sur le marché du travail au cours des trois prochaines années.

Une génération de 700 000 jeunes, tous diplômes confondus, dont près de 200 000 issus des lycées professionnels, s'interroge sur son premier emploi, sur son entrée dans la vie active.

Nous, députés de la nation, sommes donc incontestablement face à une génération qui, si nous ne faisons rien, sera sacrifiée. Au-delà des chiffres, nous rencontrons chaque jour dans nos permanences des visages, des parcours et des détresses. Je pense à en cet instant à Kevin, l'étudiant, à Farida, la programmatrice en alternance, à Cédric, qui finit son certificat d'aptitude professionnelle de conducteur d'engins, à Charlotte, l'apprentie qui, comme tous les jeunes Français que Salomé Berlioux et Erkki Maillard ont particulièrement bien dépeints dans l'excellent livre Les Invisibles de la République, s'inquiètent. Près de 60 % des moins de 25 ans vivent non pas dans des métropoles mais dans les territoires oubliés, au sein de la France rurale et périurbaine, où ils sont trop souvent assignés à résidence.

Au-delà des tendances politiques et du fait que cette proposition de loi est présentée par le groupe Les Républicains, nous devons donc avoir l'audace d'agir vite, sans quoi nous nous exposerions à trois risques majeurs, d'ordre économique, social et politique.

Risque économique tout d'abord : les entreprises pourraient demain ne pas avoir les moyens d'embaucher les jeunes talents dont elles ont pourtant besoin pour se développer.

Risque social ensuite : la France pourrait gâcher tous les moyens investis collectivement dans l'éducation de notre jeunesse, accroître les inégalités entre surqualifiés et non diplômés et rompre ainsi le contrat tacite entre les jeunes et la société.

Risque politique enfin : ne faisons pas en sorte d'être accusés, après-demain, de non-assistance à jeunesse en danger. La défiance ne cesse en effet de grandir dans notre pays à l'égard de l'action publique et des responsables politiques. Or notre jeunesse, éprise d'idéal, attend des actes forts, simples et concrets. Sur cette question centrale, moins encore que sur d'autres, nous n'avons le droit de nous payer de mots.

La proposition de loi vise donc à exonérer de cotisations toute embauche d'un jeune de moins de 25 ans au sein d'une entreprise, d'une association, d'une collectivité entre le 15 juin 2020 et le15 juin 2022. Elle se veut ambitieuse et juste. Il ne s'agit pas en effet d'un contrat au rabais puisque l'exonération en question serait conditionnée à la conclusion d'un contrat à durée indéterminée (CDI), à la transformation d'un CDD en CDI ou à la conclusion CDD d'une durée minimale de six mois. À rebours des dispositifs mis en place ces dix dernières années, la condition d'une embauche pérenne nous semble indispensable pour incarner l'idéal de justice sociale auxquels nous sommes très attachés.

La proposition de loi est crédible : depuis douze ans, d'abord à la suite de la crise financière de 2008, puis à nouveau en 2012, et enfin dans de nombreux territoires grâce au dispositif « zéro chômeur de longue durée », les politiques de l'emploi actives ont en effet montré leur supériorité sur les politiques passives.

Je renvoie ceux qui en douteraient à la très intéressante étude Alléger le coût du travail pour augmenter l'emploi : les clefs de la réussite, publiée par les économistes Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo, qui montre qu'une baisse de 1 % du coût du travail peut entraîner un accroissement de 2 % de l'emploi.

Notre objectif, compte tenu des succès obtenus en 2008, 2010 et 2012, est de permettre à un grand nombre de jeunes – entre 50 000 et 100 000 – de trouver un emploi, pour un coût de 200 à 400 millions d'euros. Prenons le cas d'un jeune Français embauché à 1 500 euros nets, soit 1,2 SMIC – 75% des jeunes de moins de 25 ans percevant, au maximum, cette rémunération à l'embauche, ce qui est, notons-le, très insuffisant. À ce niveau de salaire, le coût cumulé des cotisations patronales et salariales atteint le chiffre substantiel de 7 000 euros. À 1 800 euros nets, soit 1,5 SMIC, le gain direct pour l'employeur serait de 693 euros par mois, soit 8 500 euros par an, et, si l'on accomplissait également un effort en direction des cotisations salariales, le jeune percevrait 261 euros nets mensuels supplémentaires. De fait, contrairement à ce qu'on entend souvent, les cotisations sociales ne sont pas nulles à 1,2 ou 1,5 SMIC. Pour avoir été chef d'entreprise pendant huit ans, je peux vous assurer que 8 500 euros représentent une somme substantielle, surtout dans une période de tension sur les trésoreries.

Cette proposition de loi ne prétend pas résoudre toutes les difficultés liées à l'emploi, ni être la réponse absolue, unique et ultime à la désespérance de notre jeunesse. Elle est perfectible. Toutefois, elle offre une réponse extrêmement claire, lisible, simple et forte, d'application immédiate – puisqu'elle prendrait effet au 15 juin – pour les 700 000 jeunes qui sont en train d'achever leur période de qualification et qui vont entrer sur le marché du travail, ainsi que pour les entrepreneurs. On sait que 50 000 apprentis devraient être licenciés d'ici au 1er septembre, compte tenu des immenses inquiétudes des entrepreneurs, des artisans et des commerçants. Il y a urgence à agir ; n'attendons pas septembre. Nous devons, au-delà de nos sensibilités partisanes, adresser, au nom de l'Assemblée nationale tout entière, un message très fort et une réponse très concrète à notre jeunesse. Oui, nous sommes du côté de l'emploi et du travail, nous avons entendu l'inquiétude et la souffrance des jeunes, et nous leur apportons une réponse d'ampleur, qui a déjà fait ses preuves il y a douze ans, lors de la crise bancaire.

Si les primes, les allocations, les contrats au rabais, évoqués par certains, peuvent parfois se révéler légitimes, ne cultivons pas pour autant l'esprit de défaite. Qui peut prétendre qu'on grandit sans travail, sans effort, sans abnégation ? Qui peut grandir aujourd'hui en France avec, pour seul horizon, les minima sociaux, le revenu de solidarité active et les allocations chômage ? Nous devons arborer un esprit de conquête. La jeunesse, dans les principes de notre patrie, n'est pas un prolongement indéfini de l'enfance, mais la conquête de l'autonomie, de la dignité, dans l'égalité des chances. Les jeunes doivent pouvoir réaliser leurs rêves d'ascension sociale. Notre responsabilité, ce n'est pas de leur permettre de rester jeunes le plus longtemps possible, mais de leur offrir la possibilité de devenir des adultes pour, un jour, accomplir leurs rêves d'enfant.

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