Je suis heureux d'être devenu membre, à titre temporaire, de la commission des affaires sociales pour vous rapporter ce texte qui s'inscrit dans un ensemble de propositions de loi formant un plan global de relance pour notre économie, dans le but de gérer la sortie de crise sanitaire et d'éviter qu'elle ne se transforme en crise économique et sociale.
C'est devenu une sorte d'évidence ou de truisme : la crise que nous traversons est sans précédent, tout le monde en est convaincu. Je ne reviendrai pas sur ses aspects sanitaires ; je me concentrerai sur ses aspects économiques. La crise économique et sociale est déjà là. Les seules données produites cette semaine par les ministres donnent le tournis : le déficit public est désormais attendu non plus à 9 % mais à 11 % du produit intérieur brut (PIB) – nous avions déjà annoncé des chiffres du même ordre il y a plusieurs semaines. Leur ampleur même les rend difficiles à appréhender. Selon le ministre de l'économie et des finances lui-même – nous verrons ce qu'il en est exactement –, la récession devrait également se situer aux alentours de 11 % pour l'année 2020. Sans parler de l'endettement public ni de l'endettement privé, qui atteignent aussi des sommets, ou plutôt des abysses.
La direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et Pôle emploi ont également estimé la semaine dernière que le nombre de demandeurs d'emploi en catégorie A, autrement dit la plus éloignée du monde du travail, était en augmentation de près de 850 000 personnes en avril 2020. Sur trois mois, plus d'un million de demandeurs d'emploi supplémentaires ont été inscrits dans cette catégorie. Le chômage pourrait atteindre rapidement des niveaux encore inconnus.
L'ouverture du dispositif dérogatoire auprès des entreprises qui ont souffert d'une baisse sans précédent de leurs chiffres d'affaires pour accéder à l'activité partielle – passé dans le vocabulaire commun sous le terme de chômage partiel –, tout comme la communication appuyée faite en faveur de son usage, ont été de bonnes mesures. Le consensus des économistes estime que le recours à des formes de travail partiel, à court terme, inspiré du système allemand du Kurzarbeit, doit permettre de lisser les effets les plus délétères de la crise.
Mais ne nous y trompons pas : l'impact social de la crise du covid-19 est devant nous. Les chaînes de valeur internationales restent perturbées, et la consommation intérieure ne redémarre pas rapidement. Pour reprendre les termes de l'INSEE, l'économie française s'efforce de reprendre son souffle. Mais elle refait surface dans un monde qui n'est plus exactement le même qu'avant la crise sanitaire. Et tout porte à croire que l'économie ne reviendra pas à la normale avant de longs mois, voire de longues années pour certains secteurs. C'est une crise sectorisée, dont la gravité varie considérablement d'un domaine d'activité à l'autre.
Cette crise nous frappe donc tout autant que nos partenaires, mais nous ne nous trouvions malheureusement pas sur la même ligne de départ. La comparaison avec l'Allemagne, qui affichait un taux de chômage de 3 % en février quand le taux français dépassait encore les 8 %, risque d'être encore plus cruelle après qu'avant la crise économique. Avec un déficit public qui comptait dès avant la crise parmi les plus importants de l'ensemble de l'Union européenne, et une dette publique qui avoisinait déjà les 100 % du PIB – la moyenne dans l'Union européenne est à 80 % –, l'effort que nos finances publiques doivent consentir est d'autant plus douloureux et nos marges de manœuvre très inférieures à celles des pays qui ont abordé cette crise dans une position relativement moins fragile que la nôtre.
Dans ce contexte, nos entreprises ont massivement recouru au dispositif d'activité partielle ; largement commenté, il est encore largement utilisé. Selon les dernières statistiques de la DARES, 8,6 millions de salariés en ont bénéficié au mois d'avril – le chiffre de 12 millions qui circule correspond aux demandes – dont 20 % ont utilisé le dispositif en totalité. Lorsqu'on ajoute à ces données le nombre de demandeurs d'emploi de catégories A, B et C, les chiffres donnent le vertige : un salarié français sur deux qui a cessé temporairement ou définitivement de travailler.
Cette « nationalisation » des salaires par le chômage partiel ne peut durer éternellement ; c'est bien le sens des mesures que commence à prendre le Gouvernement pour en réduire le coût. Depuis le 1er juin, les entreprises contribuent, dans la plupart des secteurs, à hauteur de 15 % du coût du dispositif, alors qu'elles n'y participaient pas – en tout cas jusqu'à hauteur de 4,5 SMIC – jusqu'alors. J'ai bien conscience que l'exonération proposée dans cette proposition de loi ne fera pas disparaître par magie le recours à l'activité partielle ; mais elle constituera un signal très fort en faveur de l'accélération du retour au travail pour les salariés français, et d'un retour à la normale pour notre tissu économique, déjà très désorienté. Enfin, il revient au Gouvernement de décider lui-même du rythme d'extinction du dispositif d'activité partielle.
Au-delà de la demande faite aux entreprises de participer plus fortement à ce dispositif, des projets de rabotage assez violents circulent d'ores et déjà dans la sphère gouvernementale, sans doute parce que le subventionnement public de l'économie a déjà très durablement grevé les finances publiques : les prévisions du Gouvernement sur le coût du chômage partiel, à savoir 24 milliards d'euros pour la durée du confinement selon le deuxième projet de loi de finances rectificative, seront sans doute, d'après le Haut Conseil des finances publiques, sensiblement dépassées. D'autant que ce chiffre n'intègre pas les pertes de cotisations sociales qui viennent s'ajouter aux indemnités versées aux salariés : le montant cumulé tourne autour de 18 à 20 milliards d'euros par mois soit, sur la durée du confinement jusqu'au 1er juin, un total plus proche de 38 à 40 milliards d'euros.
Ajoutons que l'activité partielle, qui a été une bonne mesure à un moment donné, emporte des effets pervers : la sortie trop rapide et uniforme du dispositif entraîne une multiplication des faillites ; le phénomène d'accoutumance des entreprises à la situation les dissuade de reprendre des salariés tant qu'elles ne sont pas certaines de l'augmentation de leur chiffre d'affaires, ce qui est bien naturel ; enfin, le salarié lui-même n'est pas incité à retourner au travail dans la mesure où il reçoit une indemnité très proche de son salaire réel : il préfère attendre le risque zéro sanitaire pour retourner travailler. Nous entrons donc dans une période très délicate, celle du rebasculement vers la vie normale, pendant laquelle les millions de personnes en activité partielle risquent de devenir des millions de personnes en chômage réel. C'est cela que nous devons nous efforcer de contingenter.
Le Gouvernement a certes inscrit dans le projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19 des formes spécifiques d'activité partielle, mais c'est parce qu'il prévoit la prolongation de ce dispositif pour des mois, voire pour des années – comme il l'explique lui-même – pour un certain nombre de secteurs. Cette course en avant n'est ni responsable ni nécessaire, et conduit à une impasse en matière de finances publiques.
La proposition de loi que je soutiens avec Les Républicains constitue un chemin alternatif de sortie de crise pour notre pays, permettant à la fois de préserver la cohésion sociale, de nous garantir contre l'explosion du chômage, et de limiter l'impact de l'épidémie sur nos finances publiques, déjà durement éprouvées. L'objectif est d'inciter les salariés à temps partiel à retourner à leur poste, et surtout d'accélérer la reprise de leurs salariés par les entreprises, avant même que leur chiffre d'affaire n'ait retrouvé son niveau d'avant la crise, par une baisse exceptionnelle et temporaire du coût du travail. Autrement dit, il s'agit de faire baisser le niveau du chômage partiel pour faire diminuer le coût du travail.
Son article unique établit un dispositif d'exonération des cotisations patronales, à l'exception de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, pour les salariés dont la rémunération est inférieure à 4,5 SMIC par an. Après la promulgation de cette loi, les entreprises auraient cinq jours – une sorte de délai de carence, afin de leur laisser le temps de s'adapter – pour reprendre leurs salariés et ainsi bénéficier pour six mois de cette exonération qui constituerait donc un levier puissant de retour des salariés au sein de nos entreprises.
Ce dispositif a de nombreux avantages par rapport à l'inertie ou, à l'inverse, à la sortie brutale du dispositif d'activité partielle.
Il a d'abord l'avantage de la simplicité : il est bien connu, tous les gouvernements ont participé à la baisse des cotisations patronales. Ce fut le cas avec les allégements « Fillon » sur les rémunérations n'excédant pas 1,6 SMIC par an, puis avec le pacte de responsabilité et de solidarité sous François Hollande, pour les salaires inférieurs à 2,5 ou 3,5 SMIC moyennant certains critères, et enfin avec l'élargissement du périmètre de la réduction « Fillon » par le président Macron. On sait le faire, et on sait que c'est efficace et utile : hors période exceptionnelle comme celle que nous vivons, 1 % de baisse de cotisations entraîne à terme, en un an mais avec des effets dès les trois premiers mois, une augmentation de 2 % du nombre d'emplois. Les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales ont d'ailleurs montré qu'elles maîtrisaient très bien ces outils.
Il conduirait ensuite à encourager le maintien dans l'emploi des millions de Français aujourd'hui en proie à l'incertitude. Les mois que nous venons de traverser portaient suffisamment d'angoisses pour ne pas en ajouter au moment de la sortie du confinement. Les employeurs qui, à la date de publication de la loi, seront pleinement informés des conditions d'éligibilité à ce dispositif, auront cinq jours pour en profiter et permettre à leurs salariés de retrouver plus rapidement leurs véritables contrats de travail – certes, les entreprises reprennent progressivement leurs salariés, mais il s'agit d'aller plus vite : sinon, au rythme naturel des choses, un million de personnes supplémentaires sont promises au chômage. Cette réintégration est contractuelle : il va de soi que le maintien des salariés en télétravail ou de tous les aménagements nécessaires au respect des conditions sanitaires seront intégrés. Le délai de cinq jours est par ailleurs aménagé pour les secteurs qui subissent encore des mesures de fermeture administrative.
Le champ des exonérations, qui est celui des allégements généraux renforcés par la majorité actuelle, est le plus pertinent. C'est le seul susceptible d'avoir un véritable effet incitatif sur la sortie de l'activité partielle. Le texte initial était ambigu à ce sujet, et le périmètre était à l'origine plus restreint que celui des allégements généraux ; c'est pourquoi j'ai proposé un amendement visant à les aligner. C'est la même raison qui a présidé au choix d'un champ étendu jusqu'à 4,5 SMIC : ce chiffre correspond à celui que la majorité a choisi et que nous avons voté pour la prise en charge de l'allocation d'activité partielle.
Au fond, l'objectif de cette proposition de loi est de permettre qu'à mesure que le dispositif d'activité partielle s'éteint, les entreprises soient véritablement accompagnées dans la sortie de crise. Le coût total de cette mesure est estimé à 24 milliards d'euros sur six mois, soit la moitié de ce qu'a coûté, selon l'Observatoire français des conjonctures économiques, le dispositif d'activité partielle depuis le début du mois de mars. Il s'agirait ainsi de dépenser la moitié de ce que coûte l'activité partielle pour activer une mesure par essence passive, puisqu'elle consistait à conserver les salariés au chômage, afin de remettre les salariés au travail et inciter les entreprises à les reprendre plus rapidement. Et cela coûte 50 % de moins...
Il y a bien une autre solution, l'arrêt brutal du dispositif de chômage partiel, mais ce serait socialement insupportable. Je doute que le Gouvernement s'y résolve, à moins que l'activité ne reprenne miraculeusement son cours – mais ce n'est pas ce que prévoient les ministres. Jamais il n'acceptera quelque chose qui mettrait un million ou un million et demi de personnes au chômage. Il prolongera donc d'une manière ou d'une autre le dispositif. Cependant, faire perdurer le système d'activité partielle pendant de longs mois serait socialement supportable, mais financièrement insupportable. Il faut donc une troisième voie, celle que nous proposons, pour éviter de nous retrouver avec 1,5 million de chômeurs supplémentaires dans les mois qui viennent.