Intervention de Éric Woerth

Réunion du jeudi 4 juin 2020 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, rapporteur :

Il est vrai que le mieux serait de ne rien faire. Le mieux serait que l'activité, après l'énorme trou d'air que nous avons connu, reparte d'elle-même et se mette à remonter. Mais il faudrait qu'elle remonte beaucoup plus haut qu'auparavant pour éponger trois mois d'arrêt ! Le mieux serait de transformer cette année noire en année blanche, mais il est peu probable que les choses se passent ainsi. On peut toujours l'espérer et c'est d'ailleurs pour cette raison que le Gouvernement attend avant de mettre en œuvre un plan de relance. Il attend, parce qu'il ne sait pas très bien comment les choses vont se passer.

Pour ma part, je pense que les choses ne vont pas bien se passer. Les commerçants ont certes un peu plus de clients qu'au cours des dernières semaines, mais ce n'est pas difficile puisqu'ils n'en avaient plus aucun ! L'activité que l'on constate n'a rien à voir avec celle d'avant le confinement. Tout le monde voit bien que les mesures barrières et de sécurité sanitaire pénalisent totalement la productivité, dans l'industrie comme dans les services. Nul ne sait dans combien de temps l'économie va redémarrer. Tout ce qu'on sait, c'est que beaucoup de gens vont se retrouver au chômage. Or j'imagine que personne parmi nous, de la gauche à la droite, en passant par le centre, n'a envie d'une telle situation.

Il y a une forme d'accoutumance au chômage partiel, mais la nationalisation des salaires a un coût gigantesque. Il faut donc en sortir, mais on ne peut pas le faire trop brutalement. C'est pourquoi je propose un dispositif transitoire, qui doit inciter les salariés à revenir travailler. Nombre d'entre eux n'ont pas envie de prendre les transports en commun, parce qu'ils trouvent cela dangereux, et ils veulent qu'on leur garantisse le risque zéro – qui n'existe pas ! Il faut limiter le risque au maximum, mais il va bien falloir que les gens reviennent travailler si l'on ne veut pas que la France bascule dans le chaos social. Pour favoriser le retour au travail, il faut un dispositif qui permette de sortir de la mesure exceptionnelle qu'a constitué le chômage partiel. Cette mesure extrêmement généreuse – et la France a été le plus généreux des pays d'Europe – se justifiait au cœur de la crise, mais elle n'est pas idéale pour en sortir, et d'autres pays ont fait de meilleurs choix que la France. Il fallait prendre cette mesure et notre groupe l'a votée avec la majorité, mais comme il y a eu une logique d'entrée, il faut à présent trouver une logique de sortie. De la même manière que vous avez accompagné l'économie de manière artificielle pendant plusieurs mois, il faut accompagner le retour à la normale. Sinon, il n'aura pas lieu.

Madame Fabre, vous reprochez à cette mesure son automaticité et vous dites qu'il faudrait la cibler. Il n'y a pas d'automaticité et le dispositif est ciblé, puisqu'il concerne les entreprises qui ont mis leurs salariés au chômage partiel, avec le soutien de l'État, quel que soit leur secteur d'activité. On ne va quand même pas cibler des secteurs d'activité ! Il n'y a aucune automaticité là-dedans ou, s'il y en a une, c'est celle que vous avez vous-même choisie, et votée, avec le dispositif d'activité partielle. Nous avons créé un extraordinaire filet de sécurité pour protéger l'économie et les travailleurs français. C'est une très bonne chose, mais il ne faudrait pas que nous nous prenions dans les mailles de ce filet au moment de la reprise et qu'il nous entraîne vers le fond.

Ce que je propose, c'est de continuer à dépenser de l'argent, mais deux fois moins qu'avec le dispositif d'activité partielle, afin de réenclencher une dynamique et de pousser les entreprises à reprendre leurs salariés plus vite que si elles suivaient l'augmentation naturelle de leur chiffre d'affaires.

Vous dites qu'il faut faire preuve d'agilité – tout le monde a ce mot à la bouche en ce moment. Soyons agiles, oui, mais soyons-le aussi intellectuellement, réfléchissons autrement. Le dispositif très exceptionnel que nous avons introduit n'est pas un dispositif agile, c'est un dispositif massue, et il nous faut maintenant trouver un moyen pour en sortir. Or, pour l'heure, le Gouvernement n'a proposé aucun mécanisme d'accompagnement pour favoriser la sortie de l'activité partielle, si ce n'est l'augmentation de la participation des employeurs à sa prise en charge. Et pourquoi avoir fixé un seuil à 15 %, et pas à 20 ou 30 % ? Je suis certain que si l'opposition avait fait une proposition de cette nature, vous vous seriez empressés de la refuser, à tout le moins de critiquer les pourcentages et l'échéancier.

D'autres scénarios de sortie du chômage partiel sont évoqués, mais ils sont beaucoup plus brutaux et conduiraient à une hausse massive du nombre de chômeurs. Et honnêtement, aucune majorité ne l'assumera. Jamais vous n'accepterez qu'il y ait 1,5 million de chômeurs supplémentaires, et vous aurez bien raison. Vous serez réduits à trouver d'autres dispositifs, et dans la panique.

Madame Kuster, je vous remercie de votre soutien, qui n'est pas un scoop... Vous avez défendu hier une proposition de loi visant à instaurer un taux de TVA réduit dans les secteurs de l'hébergement touristique, des restaurants et des cafés. Ce qu'il faut pour relancer l'économie, c'est une panoplie de mesures : celle que je propose, mais aussi des mesures relatives à la TVA ou aux fonds propres des entreprises.

Monsieur Vigier, vous avez raison : on ne peut pas attendre patiemment que la croissance revienne. Nous n'allons pas retrouver, du jour au lendemain, des travailleurs parfaitement heureux, des chefs d'entreprise ayant retrouvé leurs marges et des chaînes de production en marche partout dans le monde à la même vitesse. Attendre patiemment n'est pas une option, et comme le Gouvernement ne fait aucune proposition, nous en faisons. Elles sont certainement discutables, comme le sont toutes les propositions, et comme l'était le chômage partiel, mais nous sommes pour l'instant les seuls à en faire.

Vous avez incité les chefs d'entreprise à maintenir les travailleurs en chômage partiel, sans rupture de contrat de travail. Vous devez maintenant les inciter à reprendre ces mêmes salariés.

Monsieur Lachaud, notre démarche est tout sauf idéologique : elle est d'un pragmatisme total. L'idéal, c'est que les entreprises emploient des travailleurs protégés par le droit du travail et qu'elles leur versent une rémunération satisfaisante pour le travail qu'ils font. Ce n'est pas une position idéologique que de dire qu'il va falloir sortir du dispositif artificiel qui a été introduit pour faire face à cette crise extraordinaire. Il faut bien à un moment donné se poser la question de savoir comment on en sort, même si cela n'a rien d'agréable. Et pour réduire le recours au chômage partiel, il faut baisser le coût du travail. Si on ne baisse pas le coût du travail, il y a peu de chance que les entreprises reprennent leurs salariés avant que leur chiffre d'affaires ait retrouvé un niveau satisfaisant.

Le chômage partiel est-il « fraudogène » ? Il y a sans doute eu des cas de fraude, mais j'imagine que leur nombre est relativement anecdotique – du moins je l'espère. En tout cas, l'inspection du travail et les administrations concernées procéderont aux contrôles qui s'imposent.

Madame Chapelier, vous parlez de la philosophie du texte, mais il n'y a aucune philosophie là-dedans. Nous ne sommes pas des philosophes : nous pensons seulement qu'il faut introduire des dispositifs pour relancer l'activité. Le seuil des 4,5 SMIC pourrait être ramené à 2,5 ou 3,5. Il se trouve que c'est le Gouvernement qui a fixé ce seuil et que des personnes à 4,5 SMIC ont été mises au chômage partiel. Je n'ai retenu ce seuil que par symétrie.

Monsieur Dharréville, nous examinerons votre proposition de loi avec beaucoup d'intérêt mais ce que je peux vous dire, c'est que la baisse du coût du travail est efficace. C'est prouvé et c'est lié à la compétitivité du travail : si tous les pays avaient le même coût du travail, la question ne se poserait pas. Il est évident qu'il ne faut pas aggraver la situation des finances sociales, qui ont déjà été terriblement mises à mal, puisque le déficit de la sécurité sociale s'est accru de 47 milliards d'euros. D'ailleurs, cette dette colossale devrait peut-être nous amener à penser un autre modèle social mais, sur ce sujet, nous n'avons pas les mêmes convictions, même si nous partageons souvent les mêmes objectifs : c'est la grandeur de la démocratie.

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