Intervention de Alain Bruneel

Réunion du mercredi 10 juin 2020 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Bruneel, rapporteur :

Je n'ai pas besoin de vous rappeler que la crise sanitaire que nous avons traversée au cours des derniers mois a mis en lumière ce que nous devons aux personnels de nos hôpitaux et de nos établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Pourtant, cette amère piqûre de rappel n'a rien d'une révélation : nous connaissons depuis beaucoup trop longtemps la dure réalité vécue par ces personnels, parmi lesquels beaucoup de femmes, souvent précaires et qui travaillent dans des conditions de plus en plus difficiles. La commission des affaires sociales a d'ailleurs eu l'occasion de souligner la souffrance au travail et le manque cruel d'effectifs dans plusieurs rapports sur les EHPAD puis sur les hôpitaux psychiatriques.

Le temps n'est plus aujourd'hui aux applaudissements, aux grands mots, aux hommages, aux rapports ni aux concertations multiples : il doit désormais être aux actes concrets en direction de nos hôpitaux publics, de nos EHPAD, de ceux qui y travaillent et de ceux qui y sont pris en charge.

C'est pourquoi l'article unique de la proposition de loi prévoit l'adoption, avant le 1er octobre 2020, d'une loi de programmation pluriannuelle pour l'hôpital public et les établissements médico-sociaux, en particulier les EHPAD, qui devra faire l'objet d'une révision tous les cinq ans. Elle devra notamment fixer des objectifs relatifs au nombre d'établissements publics de santé sociaux et médico-sociaux nécessaires pour répondre à l'évolution des besoins de la population sur l'ensemble du territoire, aux dépenses de fonctionnement et d'investissement dans le secteur hospitalier et le secteur médico-social, et, enfin, à l'organisation et au financement des urgences hospitalières ainsi qu'à la création de lits d'hospitalisation.

Contrairement à ce que vous pensez peut-être, cette proposition de loi ne s'inscrit pas dans une démarche d'opposition ou de concurrence par rapport à celle engagée par le « Ségur de la santé ». Malgré les échos négatifs que nous avons malheureusement eus de son déroulement par de nombreuses personnes auditionnées, j'essaye pour ma part de rester optimiste et de croire que ce « Ségur » débouchera véritablement sur quelque chose. En effet, il représente peut-être notre dernière chance de sauver notre système public de santé du naufrage.

Toutefois, cet optimisme forcé ne peut pas être un chèque en blanc signé au Gouvernement. Notre proposition de loi est donc une main tendue tant à ce dernier qu'à la majorité. Elle offre un outil juridique pour ancrer les mesures envisagées dans le marbre de la loi.

Nous considérons qu'il est temps que le Gouvernement porte ses propositions dans l'arène du débat parlementaire pour que celles-ci fassent l'objet d'un véritable débat national. La crise sanitaire l'a bien montré, la santé ne concerne pas que le ministère, les agences régionales de santé (ARS) et les professionnels de santé, mais bien tous les citoyens. La représentation nationale doit donc être au cœur de ces débats d'autant que les attentes sont considérables.

Notre proposition de loi invite le Gouvernement à s'engager sur le long terme pour répondre enfin aux constats connus depuis trop longtemps, et pas seulement dans la seule perspective court-termiste de l'après-crise. Dans le contexte que nous connaissons, nos débats de ce matin ne peuvent et ne doivent donc pas devenir une occasion manquée.

Je souhaiterais tout d'abord rappeler brièvement pourquoi nous demandons une telle loi de programmation.

Notre vie parlementaire est aujourd'hui rythmée par l'adoption de lois de programmation des finances publiques, de lois de programmation militaire, de lois de programmation pour la justice ou pour la recherche. La santé, qui apparaissait avant même la crise sanitaire comme la priorité n° 1 des Français, doit évidemment faire, elle aussi, l'objet d'une planification à plus long terme.

Cette programmation nationale, qui devra fixer les grandes lignes et les grands objectifs pour la santé publique de demain, devra évidemment faire l'objet de déclinaisons régionales, au plus près des bassins de vie. Les schémas régionaux de santé devront notamment être révisés à l'aune de cette loi de programmation.

Pourquoi doit-elle être adoptée avant le 1er octobre 2020 ? Parce que nous pensons fermement qu'elle doit l'être avant la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020, qui sera un PLFSS majeur.

Les choix politiques forts que nous devons faire dans les mois à venir doivent en effet déterminer le cadre budgétaire qui les accompagnera, et non l'inverse. Trop souvent, ces vingt-cinq dernières années, nous nous sommes demandé ce que nous pouvions faire à l'hôpital public avec nos objectifs budgétaires. Nous devons maintenant nous demander : quel budget faut-il prévoir pour l'hôpital public, pour répondre à nos objectifs sanitaires ?

Le Gouvernement a facilement su mettre 7 milliards d'euros sur la table pour Air France, et 8 milliards d'euros pour l'automobile. Je suis certain que pour la santé de tous les Français, nous pouvons également faire passer la volonté politique avant les considérations comptables.

Qu'attendons-nous d'une telle loi de programmation ? Les règles fixées par l'article 40 de la Constitution nous empêchent malheureusement, en tant que parlementaires, de proposer nous-mêmes une loi qui augmenterait massivement les salaires et les effectifs au sein de l'hôpital public et dans les EHPAD. C'est pourtant ce que nous attendons évidemment du Gouvernement dans le cadre de cette future loi de programmation.

La première des priorités doit être le recrutement massif de personnels soignants, tant à l'hôpital public qu'en EHPAD : ils devront donc bénéficier des financements correspondants à ces ouvertures de postes. C'est aujourd'hui la revendication première des personnels, qui souhaitent avant toute chose être en mesure de faire leur travail correctement auprès des patients et des résidents.

Nos collègues Monique Iborra et Caroline Fiat proposaient en 2018, dans leur rapport sur les EHPAD, de rendre opposable une norme minimale d'encadrement en personnel au chevet, c'est-à-dire en aides-soignants et infirmiers, de 60 équivalents temps plein pour 100 résidents, dans un délai de quatre ans maximum, ce qui revient à doubler le taux d'encadrement actuel. Cette proposition est très intéressante et nous pensons qu'elle devrait être inscrite dans la future loi de programmation aux côtés d'un ratio similaire pour les hôpitaux publics.

La deuxième priorité de cette future loi de programmation 2020-2025 devra être l'augmentation structurelle des rémunérations, aujourd'hui scandaleusement basses dans ce secteur. Pas plus que les applaudissements, les « primes covid » ne suffiront pas à boucler les fins de mois : les salaires des soignants doivent donc être revalorisés sur le long terme.

La France est en effet l'un des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui rémunère le plus mal ses infirmiers et infirmières à l'hôpital par rapport au salaire moyen, devançant seulement la Finlande, la Hongrie et la Lettonie. En parité de pouvoir d'achat, le niveau de rémunération des infirmiers à l'hôpital est également inférieur à celui de la moyenne des pays de l'OCDE. Cette situation est inadmissible et ne peut plus durer.

Dans les métiers du grand âge, c'est encore pire : les salaires de base des premiers niveaux d'emploi sont inférieurs au SMIC dans plusieurs conventions du secteur médico-social. Comment, dans ces conditions, peut-on espérer valoriser ces métiers ?

La loi de programmation devra également définir un plan de titularisation des contractuels, qui représentent aujourd'hui une fraction – 23 % – de la fonction publique hospitalière de plus en plus précaire.

Enfin, nous pensons que cette loi de programmation devra permettre de mettre fin au paradigme actuel du gigantisme hospitalier et aux fermetures de lits et de maternités que nos concitoyens n'acceptent plus car elles accroissent les inégalités géographiques de santé et le renoncement aux soins.

En acceptant que l'on cesse de parler restructurations et Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l'offre de soins hospitaliers pendant la crise sanitaire, le Gouvernement a-t-il changé de paradigme ou a-t-il simplement décidé de mettre sous le tapis ces restructurations et fermetures de services pendant quelques mois en faisant profil bas ? Je crains malheureusement que ce ne soit la seconde hypothèse, et que nos demandes d'un moratoire n'aient pas été entendues.

Mes chers collègues, je sais que nous ne partageons pas l'ensemble de ces diagnostics, et encore moins l'ensemble des remèdes proposés pour l'avenir de notre système public de santé. En revanche, je suis certain que nous pouvons nous mettre d'accord sur la nécessité d'une telle loi de programmation, et je souhaite vivement débattre avec vous de son contenu.

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