L'épidémie de covid-19 n'a pas fini de produire ses effets sur nos vies : parce qu'elle a eu un impact profond sur les activités humaines, nous risquons un tsunami social dont nous ne mesurons pas l'ampleur. D'après l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le produit intérieur brut de la France a diminué de 32 % pendant le confinement, à tel point que l'OFCE considère qu'« une telle chute de l'activité [...] n'a jamais été observée, à part peut-être en temps de guerre. »
En 2020, la France devrait connaître une récession de 11 %. Il faudrait s'entendre sur ce que mesure exactement ce chiffre, sur ce qu'il recouvre en termes d'utilisation du travail et de la matière, de modes de production et de consommation, de modes de déplacement et de logement, de modes de vie. Il ne fait toutefois aucun doute que des millions d'emplois sont menacés par cette déflagration économique. La ministre du travail a d'ailleurs d'ores et déjà pris acte que le taux de chômage dépasserait la barre symbolique des 10 % cette année, alors que l'objectif était fixé à 7 % à l'horizon de 2022.
Dans ce contexte, le prolongement du dispositif d'activité partielle annoncé par le Gouvernement ne suffira pas. Entre le 1er février et le 30 avril dernier, le nombre de demandeurs d'emploi de catégorie A, c'est-à-dire sans aucun emploi déclaré, a crû de plus de 1 million, dont 843 000 rien qu'au mois d'avril, ce qui marque une augmentation de 22,6 % par rapport au mois de mars. Les trois quarts de la hausse du chômage s'expliquent par le passage en catégorie A de demandeurs d'emploi en mars. Les travailleurs précaires sont les premiers touchés, alors que la réforme de l'assurance chômage de 2019 les avait déjà particulièrement fragilisés. Par ailleurs, de nombreux travailleurs en emploi stable risquent de connaître le chômage ou la précarité.
L'envolée du chômage affecte particulièrement les secteurs qui ont été les plus pénalisés par le confinement : l'hôtellerie, la restauration, le tourisme, le bâtiment ou encore le monde du spectacle. Les jeunes sont aussi particulièrement touchés, avec une augmentation de 29,4 % de demandeurs d'emploi en avril pour les moins de 25 ans. Cela devrait empirer avec l'arrivée sur le marché du travail de 700 000 jeunes en fin d'études ou de formation. Il y a donc urgence à agir.
La crise que nous traversons a mis en lumière les insuffisances de notre protection sociale, ainsi que l'inadaptation de notre mode de vie aux exigences environnementales. Les carrières sont de moins en moins rectilignes, plus variées, plus hachées, en raison de la précarisation de l'emploi, des mutations économiques, et peut-être aussi d'un désir de diversification des expériences. Cela appelle la création de nouveaux droits pour sécuriser les revenus et mieux accompagner les transitions, en donnant aux travailleurs plus de prise sur leur trajectoire et en favorisant l'élévation du niveau de qualification.
C'est l'occasion d'en appeler au respect des métiers, de l'œuvre, des œuvriers, pour éviter un retour, sous des formes nouvelles, du travail à la tâche – qui correspond à une économie de la débrouille déstructurée et incapable de répondre correctement aux besoins de tous, dégradant le travail au lieu de le rendre émancipateur. C'est dans cet esprit que nous devons innover socialement. Il faut créer les conditions sociales permettant à chacun de contribuer sereinement par son travail à répondre aux besoins humains.
En ces temps de crise, il est moins acceptable que jamais de rogner sur les protections sociales, comme s'y emploie, hélas, la réforme de l'assurance chômage, qui doit être urgemment et définitivement abandonnée, tant elle provoque de dégâts. Il faut en outre renforcer les moyens de Pôle emploi, comme le préconisait Stéphane Viry en février 2019 dans le cadre de la mission « flash » consacrée à cet organisme.
Il faut parallèlement nourrir une plus grande ambition sociale et écologique. Nous devons relever conjointement deux défis : la crise et l'accélération de la transition écologique. Nous n'affronterons pas le premier en renvoyant le second aux calendes grecques – ce serait irresponsable et dramatique –, ni ne répondrons au second en pariant sur les dégâts mécaniques de la dépression.
Nous devons transformer profondément nos modes de production et de travail, cesser de gaspiller le travail et la matière. Cette crise ne doit pas interrompre les mutations engagées. Des dispositifs publics d'accompagnement à la transformation des outils de production doivent être institués dans les filières et les entreprises. Cette transition est d'abord humaine ; elle nécessite donc un accompagnement des travailleurs pour qu'ils soient pleinement acteurs du changement des modes de production, dans leur branche ou leur métier, ou pour qu'ils apportent de nouvelles réponses dans les domaines en développement.
Il est urgent de mieux prendre en compte les enjeux de la transition écologique et sociale dans la formation initiale et continue et dans la formation des demandeurs d'emploi, mais aussi dans les parcours eux-mêmes et les cycles des entreprises. La transition écologique est un vecteur de création d'emplois dans tous les secteurs.
Nous avons besoin du travail humain dans de nombreux domaines et devons refuser les logiques d'exclusion de l'emploi organisées par le marché. Il convient de repenser le travail, de mieux le partager et le protéger, de soigner les métiers, les qualifications et leur reconnaissance au lieu d'entretenir la précarisation. Il faut également maintenir un niveau de rémunération qui contribuera à une relance par la réponse aux besoins.
La présente proposition de loi, détaillée dans le rapport de Gabriel Serville, constitue un embryon de réponse. La garantie salaire-formation porte en elle une perspective réjouissante de sécurisation sociale des parcours envisagée comme une liberté pour les salariés et un atout pour une économie au service de l'humain, dans le respect de la planète.
Notre proposition consiste en un dispositif ambitieux d'accompagnement des demandeurs d'emploi, pour ne pas reproduire les erreurs des politiques publiques d'hier qui ont, d'une certaine façon, pris acte de la précarité et du chômage. La garantie salaire-formation entend protéger les salariés en contrat précaire et les licenciés économiques victimes de cette crise, tout en les accompagnant pour leur permettre, dans le respect de leur libre choix, de se former ou de se reconvertir professionnellement, notamment vers des secteurs-clés de la transition écologique et sociale. Ce dispositif pourrait être encore approfondi mais, parce qu'il répond aux enjeux du double défi que j'ai évoqué, il paraît nécessaire de le généraliser sans attendre.
Le texte s'inspire largement de deux outils qui ont fait leurs preuves mais qui sont pour l'heure réservés aux salariés licenciés pour motif économique. Le premier est le contrat de sécurisation professionnelle (CSP), créé en 2011 et accessible aux salariés licenciés d'entreprises de moins de 1 000 salariés. Les grandes lignes du CSP sont fixées par la loi et ses modalités concrètes de mise en œuvre ont été définies par les partenaires sociaux dans le cadre d'un accord national interprofessionnel. Le second dispositif est le congé de reclassement, qui existe depuis 2002 dans les entreprises d'au moins 1 000 salariés. Les deux outils se distinguent essentiellement par leur mode de financement : le CSP est cofinancé par l'employeur, l'Unédic et l'État, tandis que le congé de reclassement est intégralement pris en charge par l'employeur.
Ces deux dispositifs, dont la durée maximale est fixée par défaut à douze mois, ont pour objectif de favoriser le reclassement ou la reconversion professionnelle des salariés qui font l'objet ou qui sont visés par un licenciement pour motif économique, grâce à des mesures d'accompagnement renforcé vers l'emploi et la formation et à une indemnisation spécifique. Les bénéficiaires du CSP ont ainsi droit à une indemnisation plus avantageuse et plus incitative que celle de droit commun, ainsi qu'à un accompagnement plus intensif et personnalisé par Pôle emploi, qui met à leur service un conseiller unique dont le portefeuille de demandeurs d'emploi est réduit.
Ces outils ont fait leurs preuves. Selon la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail (DARES), depuis 2015, les deux tiers des bénéficiaires du CSP ont retrouvé un emploi dans les vingt-quatre mois suivant leur prise en charge. Pour 40 % des bénéficiaires, il s'agissait d'un emploi durable. Toutefois, malgré leur succès indéniable, ils demeurent réservés à un très petit nombre : près de 72 000 demandeurs d'emploi ont bénéficié du CSP en 2018, soit à peine 2 % des inscrits à Pôle emploi.
C'est pourquoi nous proposons d'élargir le champ des bénéficiaires du CSP et du congé de reclassement et d'ajuster leurs objectifs. Au lieu d'entériner la casse économique et sociale que les forces de la finance essaieront de produire, et face à laquelle la puissance publique devra être au rendez-vous, il nous faut agir de manière complémentaire à la politique publique de sauvegarde des emplois. Celle-ci devra impliquer la mobilisation de tous les instruments nécessaires – planification industrielle, formation professionnelle – pour accompagner, à titre préventif, les salariés et les entreprises.
Un autre outil reste à inventer pour l'amont, car le dispositif d'activité partielle, dont la mobilisation était nécessaire, est insuffisant : trop statique, il ne crée pas de droits, notamment à la retraite. Il faudrait introduire, à côté de l'assurance chômage, une assurance sociale emploi-formation offrant une plus grande plasticité au service de ceux qui travaillent, dans le cadre d'une économie en prise avec les besoins et sortie des fers du productivisme. Ce premier dispositif d'aval, qui se veut un relais, s'inscrit dans cette dynamique.
L'article 1er transforme le CSP en contrat de transition, accessible à tout salarié d'une entreprise de moins de 500 salariés licencié pour motif économique ou – c'est la principale nouveauté –, arrivant au terme d'un contrat court : contrat à durée déterminée (CDD), intérim ou contrat de chantier. Il sécurise également le niveau d'indemnisation du salarié en fixant un plancher égal à 75 % du salaire brut antérieur – soit l'équivalent du salaire net – et étend la durée maximale du contrat à deux ans. L'élargissement des droits offrira la possibilité aux bénéficiaires de suivre des formations plus longues et d'acquérir de nouvelles qualifications, tout en bénéficiant d'une garantie de revenu. Ils pourront envisager une progression ou une reconversion professionnelle leur permettant notamment de devenir moteurs de la transition écologique et sociale.
Par ailleurs, le seuil de 1 000 salariés, qui détermine l'application du CSP ou du congé de reclassement, serait abaissé à 500 salariés, car nous considérons que les entreprises d'au moins 500 salariés ayant recours aux contrats courts ont les moyens de financer la reconversion et la formation de leurs salariés. Pour les entreprises d'au moins 500 salariés, l'article 2 transforme le congé de reclassement en congé de transition, avec les mêmes objectifs : sécuriser les transitions professionnelles des salariés en contrat précaire et accorder une plus grande place à la transition écologique et sociale dans les objectifs de formation. Les actions d'accompagnement resteraient intégralement prises en charge par l'employeur.
Enfin, l'article 3 maintient les partenaires sociaux au cœur du dispositif en renvoyant à une négociation interprofessionnelle le soin de déterminer les modalités d'accompagnement des salariés pour faire face à la crise économique et, en particulier, les conditions de financement et de mise en œuvre du contrat et du congé de transition. Depuis le début du quinquennat, les partenaires sociaux ont été trop souvent tenus à l'écart des réformes importantes, comme celle de la formation professionnelle ou de l'assurance chômage. La crise impose de les replacer au centre du jeu : il s'agit pour nous d'une exigence qui ne peut se satisfaire de la seule concertation. La puissance publique doit, à notre sens, avoir un rôle d'impulsion.
Ce texte, qui a vocation à évoluer au fil de son appropriation, mérite des enrichissements, par exemple sur la situation particulière des sous-traitants ou la possibilité pour le salarié d'activer lui-même ces nouveaux droits, sous certaines conditions.
Afin que nous ne soyons pas condamnés à vivre dans le monde d'avant, en pire, la proposition de loi nous offre un moyen d'affronter les défis du monde d'après, de ne pas subir, de parier sur l'humain et ouvre la porte à l'invention sociale.
Nombre de femmes et d'hommes s'interrogent sur l'orientation à donner à leur vie et expriment de nouveaux désirs : ne les laissons pas se faire balayer par la crise. Il nous faut accélérer les changements, défendre les outils industriels, relocaliser des productions, nous laisser plus de temps pour vivre, libérer le travail et éradiquer le chômage comme la précarité. Nous ne voulons renoncer à rien de tout cela. Par cette proposition de loi, nous entendons apporter une modeste contribution à cet effort.