Intervention de Adrien Taquet

Réunion du mercredi 21 octobre 2020 à 9h30
Commission des affaires sociales

Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles :

Je suis ravi d'être parmi vous afin d'évoquer un sujet qui non seulement me tient à cœur, mais tient également à cœur au Président de la République qui a véritablement lancé ce projet, cette ambition. En effet, il y a maintenant un an qu'il a confié au docteur Boris Cyrulnik la présidence d'une commission chargée de réfléchir sur cette période de la vie, les « 1 000 premiers jours », qui s'étend du quatrième mois de la grossesse jusqu'au deuxième anniversaire de l'enfant. En réalité, cette période démarre dès le projet parental jusqu'aux 3 ans de l'enfant, c'est-à-dire jusqu'à sa scolarisation.

Cette commission comptait en effet dix-huit membres, tous chercheurs, tous praticiens, et de différentes disciplines. Pour la première fois, nous réunissions autour d'une même table l'ensemble des disciplines professionnelles qui accompagnent les parents au cours de cette période de la vie de leur enfant : gynécologues-obstétriciens, médecins de PMI, neuropsychiatres, pédopsychiatres et psychologues. Il nous paraissait important d'appuyer nos décisions politiques sur des bases scientifiques solides. C'est la raison pour laquelle le projet a été engagé par la mise en place de cette commission. En effet, les Français sont quelquefois un peu perdus face aux messages et injonctions contradictoires qui leur sont adressés sur leur enfant et sur la relation à leur enfant au cours de cette période de la vie.

À l'issue d'une année d'auditions et de travail, la commission a remis son rapport. L'ensemble des professionnels, des fédérations, des syndicats de professionnels a été reçu et auditionné par cette commission. En parallèle de ce travail, j'ai effectué un tour de France afin de rencontrer les familles de France et d'évoquer cette période de la vie avec des parents et des mères français et françaises. Ces entretiens ont également nourri les décisions que nous prendrons.

Cette période de la vie n'est pas celle où tout se joue ; il n'existe aucun déterminisme, ni social ni biologique. Néanmoins, c'est la période où tout commence. Au milieu des années 1980, un épidémiologiste anglais, le docteur David Barker, a le premier identifié une corrélation entre cette période de la vie et la santé future de l'enfant devenu adulte. Il avait notamment constaté une relation entre le poids d'un enfant à sa naissance et la probabilité qu'il meure d'une maladie cardiovasculaire à l'âge adulte. Depuis, quotidiennement, les neurosciences nous confirment la corrélation entre cette période de la vie et les évolutions non seulement sur le plan de la santé cognitive et développementale, mais également pour ce qui concerne les aspects sociaux.

À titre d'exemple, on sait désormais qu'avant même la conception de l'enfant, l'alimentation du père impacte la santé future de l'enfant, de l'adulte qu'il deviendra. On sait également que le stress subi par une femme enceinte, dû à ses conditions de vie ou de façon plus dramatique, parce qu'elle est victime de violences, multipliera de trois à dix la probabilité que son enfant souffre de troubles psychiques à l'âge de 30 ans. On sait qu'un enfant de cadres, lorsqu'il rentre à l'école à 3 ans, maîtrise déjà deux à trois fois plus de mots de vocabulaire, qu'il a entendu dix millions de mots supplémentaires par rapport à un enfant d'ouvriers. À travers ces exemples, je souhaite convaincre qu'au cours de cette période de la vie se forgent et se creusent des inégalités en santé, des inégalités développementales et cognitives et des inégalités sociales. Ce projet « des 1 000 jours » se situe donc au cœur de notre projet politique puisqu'il consiste d'une part, à adopter une approche de prévention – nous savons tous ici que la culture française en est probablement encore trop éloignée – et d'autre part, à remédier aux inégalités dès leur formation, sans attendre qu'elles se développent.

En réalité, ce projet des 1 000 jours interroge quant à la définition du rôle de parents aujourd'hui. Différentes études et enquêtes démontrent que plus de 50 % des Français estiment qu'il est complexe d'être parents de nos jours. Certes, les parents ont toujours existé et ils ne se sont pas si mal acquittés de leur tâche puisque nous sommes là. Néanmoins, les parents sont désormais confrontés à de nouveaux défis, aux exigences de la vie professionnelle, à l'augmentation du nombre de familles monoparentales, à de nouvelles problématiques – exposition aux écrans, etc.

Au cours de mon tour de France, j'ai entendu le mot « solitude » de façon très récurrente. J'ai été frappé par ce ressenti de solitude des parents et notamment des femmes qui se sont senties seules pendant leur grossesse et après leur accouchement. En outre, elles constatent une rupture entre l'accompagnement au cours la grossesse et après l'accouchement puisque les personnes qui les accompagnent ne sont plus les mêmes.

Ce constat, posé dans la lignée du rapport rédigé par le docteur Boris Cyrulnik, nous a conduits à bâtir un parcours 1 000 jours qui se veut universel, dans la tradition française que nous chérissons. Il est destiné à l'ensemble des femmes et des parents français, car chaque Français est susceptible de rencontrer des difficultés à être parent. Ce parcours s'adresse à tous et à toutes et il est jalonné de moments-clés.

Le premier moment-clé consiste en un entretien prénatal précoce au quatrième mois de grossesse. Vous avez voté, dans la loi de financement de l'année dernière, son caractère obligatoire et son remboursement par l'assurance maladie. Aujourd'hui, seulement 28 % des femmes bénéficient de cet entretien prénatal précoce. Notre objectif consiste à le généraliser en octroyant des moyens supplémentaires d'une part, à l'assurance maladie et d'autre part, au réseau de santé périnatal, qui anime les professionnels de santé sur le territoire. Nous avons défini une dotation de plus de 3 millions d'euros de sorte à informer de l'existence de cet entretien prénatal précoce et à le généraliser à la totalité des mères françaises. Cet entretien constitue l'entrée dans le parcours 1 000 jours et il représente l'occasion de commencer à aborder, avec des professionnels de santé, des sujets liés non seulement à la grossesse, mais également à la parentalité. Il s'agit d'une évolution qu'il appartient aux professionnels de santé d'opérer. L'accompagnement au cours de cette période de la vie ne doit pas se limiter à la santé au cours de la grossesse, mais il convient de l'élargir à un accompagnement à la parentalité.

Le second moment-clé d'ancrage dans ce parcours 1 000 jours se déroule à la maternité. Nous augmenterons les moyens attribués aux maternités en ciblant dans le PLFSS, dès cette année, cent maternités prioritaires dans lesquelles nous créerons deux cents postes de sorte à renforcer les équipes médico-psychosociales – sages-femmes, infirmières, techniciens d'intervention sociale et familiale, etc. – et à garantir une approche en santé globale et pas uniquement sanitaire.

Par ailleurs, il convient d'améliorer l'articulation entre l'hôpital et la ville. De nombreuses femmes déplorent la rupture qu'elles subissent lorsqu'elles sortent de la maternité. Il importe que les PMI, notamment, réinvestissent les maternités afin d'assurer un parcours sans rupture. Dans ce cadre, la situation dans les territoires n'est pas homogène.

La période post-partum constitue le troisième moment d'ancrage dans ce parcours 1 000 jours. Actuellement, dans notre pays, 15 % des femmes sont victimes d'une dépression post-partum. Il s'agit des dépressions identifiées ; le nombre réel est probablement doublé. Il nous appartient de lutter contre ce fléau de santé publique d'abord en en parlant parce qu'il s'agit encore d'un sujet tabou. En effet, dans notre culture, la maternité et la parentalité sont obligatoirement heureuses. Or chacun d'entre nous est susceptible de rencontrer des difficultés et il ne doit plus être honteux de le dire. Dans notre pays, accepter d'évoquer la dépression post-partum constituera déjà un premier pas. Les pics de cette dépression interviennent aux cinquième et douzième semaines après l'accouchement. Nous instaurerons un entretien ou une visite à domicile, prise en charge par l'assurance maladie, au cours de la cinquième semaine suivant l'accouchement et, si nécessaire, un second entretien au cours de la douzième semaine.

Tels sont les trois points d'ancrage de ce parcours 1 000 jours que nous bâtirons progressivement pour l'ensemble des Françaises et des Français. Cependant, certaines fragilités nécessiteront l'élaboration d'un parcours spécifique. Elles peuvent être d'ordre social ou liées à l'arrivée d'un enfant en situation de handicap dans un couple ou encore à la parentalité de personnes handicapées. La fragilité peut également intervenir lors d'une naissance prématurée ou d'une adoption. Autant de situations qui imposent de bâtir des parcours spécifiques et nous en tenons compte dans le PLFSS de cette année.

À titre de premier exemple, nous renforcerons l'accompagnement en psychiatrie périnatale des parents souffrant de troubles psychiques. D'une part, nous consacrerons un budget de 5 millions d'euros à la création de dix unités « mère-enfant » afin d'accompagner les mères en souffrance psychique avant et après l'accouchement. Ces dispositifs, qui couvrent la consultation et l'hospitalisation, sont souvent adossés à des centres hospitaliers universitaires. D'autre part, nous consacrerons 5 millions d'euros à la mise en place de vingt équipes mobiles de psychiatrie périnatale destinées à l'accompagnement de parents en souffrance psychique. Dès lors qu'une PMI détectera des difficultés dans une famille, il sera possible de projeter une équipe mobile afin d'accompagner cette famille et d'éviter une dégradation de la situation. Ces dispositifs sont au cœur de la stratégie de prévention et de protection de l'enfance que nous souhaitons construire. Actuellement, de nombreux enfants sont séparés de leurs parents et placés parce que des situations de souffrances psychiques et psychiatriques n'ont pas été identifiées suffisamment précocement et se sont dégradées.

À titre de second exemple, notre pays nie le droit des personnes en situation de handicap d'être parents. Ainsi en est-il dans nos représentations sociales puisque nous considérons encore que de tels parents représentent un danger pour leurs enfants.

Ainsi en est-il également dans nos textes en vigueur actuellement puisqu'il n'existe aucune prestation compensatoire du handicap « parentalité ». Nous avons annoncé sa création lors de la conférence nationale du handicap qui s'est tenue au mois de janvier 2020. Mme Sophie Cluzel y travaille avec les départements et les associations. Cette prestation devrait être mise en œuvre au mois de janvier 2021.

Ainsi en est-il aussi dans nos pratiques professionnelles. À l'occasion d'une visite à domicile visant à établir la prestation de compensation du handicap d'un adulte, j'ai entendu des travailleurs sociaux conseiller à des parents de ne pas mentionner l'existence de leur enfant, car les pouvoirs publics considèreraient que s'ils étaient suffisamment autonomes pour élever un enfant, ils l'étaient également pour s'occuper d'eux-mêmes. Le regard de la société doit évoluer ; il évolue progressivement et il nous appartient d'accompagner ce progrès. Dans ce cadre, nous créerons six services d'accompagnement de la parentalité des personnes en situation de handicap. Ces dispositifs existent à Strasbourg et à Paris et notre objectif consiste à mailler le territoire et à faire en sorte que chaque région dispose d'un tel service. Ils sont composés d'équipes pluridisciplinaires accompagnant les adultes en situation de handicap qui souhaitent devenir parents, en brisant l'autocensure et en les rassurant sur leur capacité à devenir parents parce que les troubles de l'autisme, la paraplégie, les déficiences visuelles, etc., n'empêchent pas d'avoir des enfants. Les équipes les accompagneront dans la préparation de leur projet parental et, plus tard, dans leur parentalité et dans la façon dont ils s'occuperont de leur enfant. Ces dispositifs sont remarquables et je vous invite à aller visiter les services en fonctionnement à Paris et à Strasbourg. Il s'agit là d'un deuxième exemple de parcours spécifique qui se construit dès le projet parental.

Cette notion de « parcours » est évoquée dans le rapport du docteur Boris Cyrulnik et nous commencerons dès cette année à le mettre en œuvre dans le cadre du PLFSS. Le sujet est riche et je ne doute pas que, au-delà de ce projet de loi, il y aura encore matière à le creuser.

Par ailleurs, les parents nous confient se sentir seuls et un peu perdus face aux informations contradictoires auxquelles ils sont confrontés. Les deux tiers des parents cherchent sur les réseaux sociaux des réponses à leurs questions. Il est donc effectivement temps de traiter ce sujet et d'élaborer des messages de santé publique à destination des parents et des professionnels. Il ne s'agit bien sûr pas de créer un « code du bon parent ». La notion de « bon parent » n'existe pas ; ce serait trop facile. Il s'agit de donner des repères aux parents et de leur adresser des messages clairs et simples afin de les guider par exemple sur les questions de l'allaitement, des perturbateurs endocriniens, de l'apprentissage et du langage, de l'exposition aux écrans, etc. Nous élaborons une dizaine, voire une douzaine, de messages en collaboration avec Santé publique France. À l'issue de ce travail, nous les soumettrons aux professionnels et nous les publierons. Ils figureront à l'avenir dans le carnet de santé et probablement dans une application « 1 000 jours » que nous créerons à destination des parents et qui, au-delà de ces informations, pourra abriter un certain nombre de services. Ces messages seront également inclus à la formation des professionnels de santé. En effet, j'ai rencontré de nombreuses femmes qui m'ont affirmé avoir eu des informations contradictoires de professionnels de santé s'agissant de la question de l'allaitement. Il est donc nécessaire d'harmoniser les discours des professionnels de santé, sur la base de données scientifiques, afin d'établir des repères pour les parents et d'éviter de susciter de l'angoisse.

S'agissant des congés, sujet sur lequel nous avions missionné la commission Cyrulnik, nous avons annoncé une première décision qui est sur le point d'être mise en œuvre. Je m'autorise à insister sur son caractère historique puisque le congé de paternité n'a pas évolué depuis sa création en 2002. Le Gouvernement propose d'en doubler la durée – vingt-huit jours au lieu de quatorze jours – et d'introduire une part obligatoire de ce congé sur la durée d'une semaine afin de lui conférer une notion d'égalité plus importante qu'actuellement. J'ai rencontré le père d'un enfant né prématurément à qui il avait été interdit de prendre son congé paternité. Deux tiers des pères français prennent leur congé de paternité, 80 % en contrat à durée indéterminée et 48 % en contrat à durée déterminée. Il convient donc d'être un peu plus incitatif.

Enfin, la question des modes d'accueil constitue un sujet de long terme qui recoupe la convention d'objectifs et de gestion que l'État a signée avec la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Ce sujet est indissociable de la question des congés et notamment du congé parental. En effet, les évolutions que nous pourrions introduire dans le domaine du congé parental impacteraient les modes d'accueil. Dans ce cadre, vous avez voté l'article 36 du projet de loi dit « ASAP », qui sera prochainement examiné en commission mixte paritaire. Nous espérons que cet article 36 fera l'objet d'un consensus entre députés et sénateurs, car il permet au Gouvernement de conclure par ordonnance deux ans de travail et huit mois de concertation avec l'ensemble des acteurs afin de moderniser les modes d'accueil du jeune enfant, en simplifiant certaines normes, en inscrivant dans la loi une charte de qualité de l'accueil du jeune enfant de sorte que la qualité soit l'axe majeur de l'accueil du jeune enfant, qu'il soit collectif ou individuel, sur l'ensemble du territoire. Il permet également aux assistantes maternelles de bénéficier enfin de la médecine du travail, d'accueillir un enfant supplémentaire par rapport à leur agrément. Bref, cet article permet d'offrir davantage de solutions aux parents. À ce stade de nos travaux, la question des modes d'accueil du jeune enfant se traduit par cet article 36 et les ordonnances qu'il induira. Nous entamerons prochainement une réflexion plus profonde et plus longue sur ce sujet, qui ne fera pas l'objet dans l'immédiat de dispositions spécifiques autres que celles qui sont prévues dans l'article 36.

Les PMI constituent des acteurs majeurs de la politique de prévention que nous menons et de ce parcours 1 000 jours. Les PMI bénéficient de moyens supplémentaires dans le cadre d'un autre aspect de la stratégie de prévention et de protection de l'enfance que je mène dans un souci de cohérence, et qui comprend un versant de contractualisation avec les départements. Dans le cadre de cette contractualisation avec trente départements, nous avons versé 15 millions d'euros aux PMI en 2020. Nous leur attribuerons 35 millions d'euros supplémentaires en 2021 dans le cadre d'une contractualisation avec quarante autres départements. Les PMI bénéficieront donc d'un investissement de l'État de 100 millions d'euros en trois ans, qui correspond à ce qu'elles ont perdu au cours des dix dernières années et que nous rattraperons en trois ans. En outre, ce type d'investissement s'accompagne souvent d'un investissement similaire des départements.

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