Intervention de Belkhir Belhaddad

Réunion du mercredi 4 novembre 2020 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBelkhir Belhaddad, rapporteur pour avis pour les crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite et du compte d'affectation spéciale Pensions :

Nous avons beaucoup parlé des retraites il y a quelques mois. Depuis, bien des choses se sont passées et se passent encore : l'actualité est tristement riche. Néanmoins, il est bon que nous gardions un œil sur la question des retraites, tant la problématique demeure ; pis, elle s'aggrave avec la crise. Les dernières projections du Conseil d'orientation des retraites (COR), parues au mois d'octobre, prévoient une dégradation massive du déficit du système de retraite, de 1,9 milliard d'euros en 2019 à 25,4 milliards d'euros en 2020. La réalité sera sans doute pire, puisque ces projections ne prennent pas en compte la deuxième vague.

Au-delà de 2020, la crise que nous vivons aura des effets durables sur les équilibres de notre système de retraite. Une note récente de l'Institut Montaigne anticipe un déficit supérieur à 30 milliards d'euros en 2030, soit une dégradation de 20 % par rapport à ce qui était prévu avant la crise. Nous ne pourrons donc pas mettre de côté très longtemps le sujet. Le Gouvernement a choisi de ne pas prendre de mesures de rééquilibrage pour la branche vieillesse dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2021 ; avec la crise économique que nous vivons, et le contexte très mouvant, cette décision était sage. Mais, tôt ou tard, nous devrons reprendre cette discussion. Nous devrons alors retrouver l'ambition qui était la nôtre au début de quinquennat : réformer en profondeur notre système de retraite pour le rendre plus simple, plus lisible, plus endurant, plus soutenable et surtout plus équitable.

Car c'était là l'enjeu central de la création d'un système universel de retraite. La coexistence de tous les régimes actuels n'est pas seulement complexe, inefficace, incompréhensible pour le citoyen ; elle est aussi profondément injuste. Qui peut justifier que certaines catégories professionnelles aient droit à des retraites beaucoup plus avantageuses que d'autres ? Qui peut justifier que des personnes déjà pénalisées pendant leur vie active le soient davantage à l'heure de la retraite ?

Or c'est ce qui se passe actuellement, et la crise économique ne fera qu'aggraver ces inégalités. Certaines catégories socioprofessionnelles sont plus touchées que d'autres, le privé l'est davantage que le public, les jeunes sont particulièrement pénalisés, ainsi que les indépendants et les femmes. Si nous ne réformons pas notre système de retraite, qui favorise les carrières longues et ascendantes, toutes ces personnes qui souffrent actuellement seront encore pénalisées à l'heure de la retraite.

Nous devons donc tous avoir conscience que l'heure est grave pour les retraites. Notre système est clairement insoutenable et les deux missions dont j'ai la charge, la mission Régimes sociaux et de retraite et le compte d'affectation spéciale Pensions, en sont une bonne illustration.

La mission Régimes sociaux et de retraite porte la subvention du budget de l'État à plusieurs régimes spéciaux qui ne peuvent se financer eux-mêmes, notamment celui de la SNCF, désormais clos, de la RATP, des marins, mais aussi plusieurs petits régimes pratiquement éteints. La contribution de la solidarité nationale à ces régimes s'élèvera en 2021 à 6,2 milliards d'euros, malgré les multiples réformes entreprises pour les rapprocher du droit commun.

Le compte d'affectation spéciale Pensions retrace quant à lui la contribution de l'État employeur aux pensions civiles et militaires des agents de l'État. En 2020, cette contribution s'élevait à 42,5 milliards d'euros. L'État consacre donc environ 49 milliards d'euros au financement des régimes spéciaux et des retraites des fonctionnaires et ces dépenses devraient s'accroître au cours des prochaines années, en raison des évolutions démographiques.

Il est évident que nous ne pouvons pas accepter cette insoutenabilité et cette iniquité. Nous devons donc poursuivre la réflexion sur les caractéristiques d'un futur système de retraite : il est évident qu'une réforme comme celle-là ne s'improvise pas, et qu'elle doit pleinement associer la représentation nationale et les citoyens.

C'est pourquoi je propose que nous entamions, au sein de la commission des affaires sociales, un travail préparatoire à la reprise de cette réforme. Dans le cadre de ce rapport, j'ai choisi une thématique centrale pour l'équité du futur système de retraite : l'égalité entre femmes et hommes. Centrale, car les femmes concentrent souvent les désavantages dans les régimes de retraite actuels, même s'il y a des différences selon les régimes et selon les catégories socioprofessionnelles.

Il n'en reste pas moins que la pension d'une femme est en moyenne inférieure de 40 % à celle d'un homme. Cette différence s'explique par des inégalités de carrière et par le fait que le système actuel pénalise les carrières courtes et heurtées. Certes, les différents dispositifs de solidarité viennent compenser quelque peu ces écarts de revenus, mais la situation n'est pas satisfaisante pour autant.

À l'évidence, la priorité commande d'œuvrer en faveur de l'égalité professionnelle des femmes et des hommes, afin de réduire les écarts de salaire. Je salue le grand pas en avant que nous venons de faire avec l'allongement du congé de paternité, mais nous devons aller plus loin. La réforme du congé parental, préconisée par la commission des 1000 premiers jours, est une étape indispensable pour rééquilibrer le partage des tâches domestiques et familiales au sein des couples. Le Gouvernement y travaille ; notre commission doit y veiller et être force de propositions.

Nous devons également mieux lutter contre les discriminations salariales entre femmes et hommes. Un écart de rémunération de 5 % subsiste, qui ne s'explique ni par la quotité de travail, ni par le poste occupé : ces 5 % correspondent à des pratiques discriminatoires des entreprises, mais aussi des administrations publiques. Nous devons généraliser les obligations de publication de résultats en matière d'égalité femmes-hommes, afin de forcer un changement de culture.

En outre, pour mieux garantir les droits à retraite des femmes, nous pouvons bâtir sur certaines pistes du système universel de retraite qui sont plutôt des avancées. Je ne vais pas revenir en détail sur toutes mes analyses et propositions ; vous les trouverez dans mon rapport, que je vous invite à consulter, si ce n'est déjà fait.

Le projet de système universel était parvenu à un bon équilibre sur la question des droits familiaux, avec la majoration de 5 % des pensions par enfant, dès le premier enfant, une part revenant obligatoirement à la mère au titre de la maternité. Ce système permet de mieux prendre en compte la situation des familles monoparentales. La majoration supplémentaire de 2 % pour les familles de plus de trois enfants me semble aussi bienvenue et équitable.

Je suis également favorable à la suppression de ce qui constitue des incitations à ne pas travailler pour les femmes : ainsi, l'allocation vieillesse des parents au foyer, associée au congé parental dans son format actuel, constitue une trappe à inactivité pour les femmes. En revanche, en réformant le congé parental, nous devrons aussi veiller à ce qu'il soit pleinement pris en compte pour les droits à la retraite.

Autre question soulevée par la réforme des retraites, les pensions de réversion, qui profitent très largement aux femmes, du fait de leur plus grande longévité. La notion de maintien du niveau de vie des veuves retenue par le projet de loi, à raison de 70 % des revenus antérieurs du couple, me semble équitable.

Mais, nous devons encore avancer sur plusieurs questions, comme celle du droit à réversion des divorcés. Je suis très favorable à ce qu'on étudie l'option d'un partage des droits à retraites au sein du couple au moment du divorce, en fonction du nombre d'enfants élevés pendant les années de mariage. Nous pourrions utilement creuser cette idée.

Nous devrions aussi étudier l'option d'une ouverture – mesurée – de la réversion aux pacsés. Pourquoi la réserver aux mariés, alors que l'un des membres d'un couple pacsé peut tout à fait avoir mis entre parenthèses sa carrière pour s'occuper des enfants, sans aucune compensation à l'heure de la retraite ?

Enfin, nous devons repenser dès à présent la définition des critères de pénibilité, qui donnent droit à une retraite anticipée. La crise sanitaire met en lumière les métiers du soin et des services à la personne, sans lesquels notre société ne pourrait pas tourner, et qui actuellement perdent sur tous les plans. Les critères actuels de la pénibilité sont trop masculins et ne s'appliquent que marginalement à ces métiers qui sont pourtant – nul ne le contestera – des métiers pénibles.

Nous devons également aborder sans tarder la problématique de la rémunération des enseignants – souvent des enseignantes, surtout dans le premier degré. La réforme des retraites a mis en lumière les inégalités dans la fonction publique, dont sont tributaires les enseignants qui n'ont que très peu de primes. Les exigences qui pèsent sur le système scolaire ne font pourtant que s'accroître. La période actuelle en est une bonne illustration : je salue tous ces enseignants et enseignantes qui se démènent pour continuer à accueillir nos enfants, avec des protocoles sanitaires drastiques.

Voilà, mes chers collègues, les grandes réflexions que je souhaitais partager avec vous. Vous les trouverez plus en détail dans mon rapport. Ce que je souhaite, et que j'ai cherché à impulser, c'est que nous reprenions un à un les éléments du débat sur les retraites pour y travailler de manière apaisée et constructive, en sachant que, tôt ou tard, cette réforme devra avoir lieu.

Dans l'immédiat, je vous appelle à voter en faveur des crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite et du compte Pensions, car ils financent les retraites de plusieurs millions de nos concitoyens que nous ne pouvons pas priver des moyens de leur subsistance, dans l'attente d'une réforme globale du système.

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