Dans le cadre de ce deuxième confinement, Pôle emploi offre le service le plus étendu possible compte tenu du contexte sanitaire : toutes nos agences sont ouvertes, avec et sans rendez-vous le matin et uniquement sur rendez-vous l'après-midi. Afin de répondre à des besoins urgents de recrutement ou de formation, nous avons par ailleurs maintenu des actions collectives rassemblant plusieurs demandeurs d'emploi, dans le strict respect des consignes sanitaires, comme vous avez pu le constater lors de vos visites. Nous souhaitons bien sûr respecter totalement les orientations définies par le Gouvernement en matière de télétravail : ne sont donc présents en agence que les personnels nécessaires à ces activités. Le taux de présence varie selon les agences, sans dépasser 40 à 50 % des effectifs. S'agissant en revanche des fonctions support, dans les directions territoriales, régionales, nationales comme à la direction générale de Pôle emploi, le recours au télétravail est très important : grâce aux investissements réalisés ces dernières années, que nous avons d'ailleurs accélérés après le premier confinement, 95 % de nos collaborateurs sont susceptibles d'être placés en télétravail, avec un accès complet à toutes les applications métier.
S'agissant plus précisément des entretiens d'embauche, il faut d'abord rappeler que tout demandeur d'emploi a le droit de se déplacer pour se rendre à un entretien d'embauche. La question avait été posée à propos des attestations de déplacement ; cette règle était claire dès le début du deuxième confinement – elle l'était moins lors du premier. Mais comme vous l'avez souligné, nous avons aussi travaillé à des solutions digitales évitant autant que possible les déplacements : notre plateforme « Salons en ligne », de plus en plus utilisée, permet aux entreprises de déposer des offres d'emploi et d'organiser des entretiens, y compris en visioconférence.
Vous m'avez interrogé sur la convention tripartite entre l'État, l'UNEDIC et Pôle emploi. J'ai déjà apporté quelques réponses lors de mon intervention liminaire. Cette convention a été élaborée dans un contexte de tensions sur le recrutement et de décrue du chômage ; or, aujourd'hui, les tensions sur le recrutement sont moindres et le chômage augmente. Nous nous sommes donc légitimement demandé, avec nos financeurs – l'UNEDIC et l'État – et au sein du conseil d'administration de Pôle emploi, s'il fallait remettre en cause la convention tripartite. Nous avons répondu par la négative, car les différents objectifs que vous avez mentionnés restent pertinents : nous devons par exemple continuer à travailler à la réduction des délais de recrutement, même sur un champ moins important, et c'est ce que nous faisons notamment dans le secteur du BTP et pour les métiers du grand âge, qui ont toujours des besoins de recrutement importants. Nous devons également toujours accompagner les demandeurs d'emploi et rester attentifs à leur indemnisation.
En revanche, deux évolutions ont été apportées à notre stratégie.
Tout d'abord, nous y avons ajouté la mise en œuvre des mesures d'urgence décidées par le Gouvernement. Nous intensifions ainsi les actions en faveur des jeunes, qui étaient déjà pris en compte dans notre stratégie ; c'est tout l'enjeu du plan jeunes. Dès l'été, grâce aux moyens financiers que vous nous avez donnés, nous avons pu mettre en place des prestations certes déjà prévues, mais dont nous avons fortement augmenté le volume, à destination d'un public qui correspond en partie aux victimes la crise, à savoir des personnes qui alternaient régulièrement chômage et emploi et qui appelaient une réponse différente de celle que nous apportons aux personnes plus éloignées du marché du travail. Pour ce faire, nous avons mobilisé des prestations assurées par des partenaires privés, dont les modalités sont différentes des nôtres, mais qui visent à favoriser le retour à l'emploi rapide de ceux qui ont l'habitude de travailler.
En outre, nous avons adapté le calendrier de déploiement de certains dispositifs. Nous avons maintenu plusieurs projets dont je vous ai parlé, tels que le rapprochement avec Cap emploi, la mise en place du conseiller référent indemnisation et le nouveau suivi, en les décalant simplement dans le temps afin de neutraliser la période de confinement. Nous nous interrogeons plus fortement au sujet de deux autres projets. Nous avons suspendu le déploiement du pack de démarrage ; je ne suis pas en mesure de vous dire quand nous pourrons à nouveau y travailler, compte tenu du contexte sanitaire et de la lourdeur de cet investissement, que nous ne pourrons réaliser que lorsque la charge d'activité de Pôle emploi le permettra. Il en va de même pour l'accompagnement global, que nous mettons en place avec les départements et qui consiste à offrir aux personnes ayant du mal à retrouver un emploi et confrontées à des freins sociaux un accompagnement assuré à la fois par un conseiller de Pôle emploi et par des travailleurs sociaux. Notre ambition, dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, était que 200 000 personnes puissent bénéficier de cet accompagnement en 2022. Pour ce faire, nous devons dégager en interne des ressources de conseillers ; cela nous est toujours possible, mais cela n'a de sens que si nous pouvons mobiliser dans le même temps des travailleurs sociaux des départements, eux-mêmes très sollicités du fait de la crise sanitaire. Il faut donc que nous déterminions, département par département, la trajectoire de cette progression du volume de l'accompagnement global : il ne servirait pas à grand-chose de déployer des conseillers s'ils n'ont pas en face d'eux des travailleurs sociaux pour traiter les dossiers de ces publics.
Il faudra revoir les objectifs de la convention tripartite ; je ne peux que vous suivre sur ce point, madame la rapporteure. Je veux cependant distinguer deux catégories d'objectifs. Il ne faut pas toucher à ceux qui portent sur les taux de satisfaction, qui doivent rester les mêmes en dépit d'un contexte plus difficile – nous pourrions certes expliquer d'éventuels décrochages, mais je me réjouis aujourd'hui de constater que ces taux de satisfaction ne baissent pas. En revanche, les objectifs de retour à l'emploi devront être réexaminés au regard de la crise. Des travaux sont en cours avec les services du ministère du travail, en particulier la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, et l'UNEDIC pour revoir ces objectifs : nous ne pouvons pas espérer les mêmes taux de retour à l'emploi que lorsque nous avons négocié la convention tripartite. Par ailleurs, l'ensemble des plans gouvernementaux affichent des objectifs en termes de prescriptions ou de nombre de bénéficiaires.
J'en viens aux moyens de Pôle emploi. Pour ce qui est des effectifs, nous avons effectivement recruté 2 150 personnes en septembre et en octobre – 1 500 agents pour nous permettre de faire face à l'augmentation de la charge de travail et 650 pour développer l'AIJ. Ces recrutements, préparés pendant l'été, sont effectifs depuis octobre. Dans le cadre des clauses de revoyure dont vous avez parlé, nous avons rendez-vous en mars pour ajuster éventuellement les décisions prises. Vous avez raison, la question importante est celle de l'évolution de la charge de travail, qui dépendra tant des inscriptions à Pôle emploi que de notre capacité à adapter nos moyens pour faire face à la situation – c'est un sujet suivi de très près par la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, Mme Élisabeth Borne.
S'agissant maintenant des moyens budgétaires, il est vrai que la situation sera assez particulière en 2022. Le problème ne se posera pas en 2021 car le budget de Pôle emploi pour l'année prochaine, adopté hier, prévoit des ressources très importantes, du fait notamment de l'augmentation de la contribution de l'UNEDIC et des dotations exceptionnelles de l'État dans le cadre du plan de relance. Vous savez qu'environ 75 % des ressources de Pôle emploi reposent sur 11 % des recettes de l'assurance chômage perçues deux ans auparavant. En d'autres termes, notre budget pour 2022 sera financé par 11 % des recettes de l'assurance chômage perçues en 2020 ; or ces recettes vont diminuer sous l'effet de la crise, conduisant mécaniquement à une impasse budgétaire en 2022. Cette baisse des ressources, en cours de chiffrage par l'UNEDIC, sera de l'ordre de plusieurs centaines de millions d'euros. Dès janvier, nous devrons réfléchir à la façon dont nous allons affronter cette situation. Face à un problème budgétaire, les choses sont malheureusement toujours assez claires : ou bien on diminue les dépenses, ce qui aurait un effet assez important sur les actions entreprises en faveur des demandeurs d'emploi, ou bien on augmente les recettes, ce qui ne serait pas moins compliqué. Ce débat, que nous devrons avoir, résulte de la crise et de l'impact de la baisse de la masse salariale sur le niveau des contributions versées à l'UNEDIC.
Vous m'avez interrogé sur l'AIJ. Notre ambition est effectivement d'atteindre 135 000 bénéficiaires en 2020 et 240 000 en 2021. Compte tenu du recrutement de 650 agents à cet effet, nous sommes en bonne voie pour remplir notre objectif en 2020.
Votre quatrième axe de questionnement portait sur les régions. Avant le confinement avait été lancée une expérimentation, à laquelle nous sommes favorables, de pilotage par ces collectivités de la formation des demandeurs d'emploi.
Le premier objectif de cette expérimentation est d'accroître la coordination entre les régions et Pôle emploi dans plusieurs domaines. Vous savez que Pôle emploi finance des formations, soit en achetant lui-même ces prestations – mais il ne peut le faire qu'avec l'accord des régions –, soit en finançant des aides individuelles, ce que les régions font moins. La création d'une instance de gouvernance en la matière serait donc un premier moyen, pour les régions, de mieux fonder leur analyse avant de nous autoriser ou non à lancer des marchés.
La formation des demandeurs d'emploi revêt en outre d'importants enjeux d'opérationnalité : il s'agit de s'assurer qu'un conseiller de Pôle emploi ou, plus largement, du service public de l'emploi a toutes les informations à sa main pour proposer des formations à des demandeurs d'emploi. Cela pose de nombreuses questions, notamment en matière de systèmes d'information et d'articulation entre Pôle emploi et les organismes de formation. Le fait d'évoquer ce sujet avec les régions est une condition très importante pour améliorer les choses. Ce à quoi vient s'ajouter un troisième thème, celui du compte personnel de formation (CPF), dont je dirai peut-être quelques mots plus loin.
À ce jour, seul le conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes a signé une convention permettant cette expérimentation. Quatre autres régions – Centre-Val de Loire, Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté et Pays de la Loire – semblent intéressées, mais nous n'avons pas encore finalisé nos discussions, interrompues par la crise du covid. Trois conseils régionaux – Nouvelle-Aquitaine, Hauts-de-France et Normandie – ont été sollicités mais ne se sont pas montrés intéressés ; ils poursuivent en effet un objectif plus large, à savoir la décentralisation de Pôle emploi et la récupération par les régions, déjà compétentes en matière de formation, de toutes les compétences exercées par Pôle emploi.
Si j'ai bien compris votre question, vous me demandez ce que je pense de la décentralisation de Pôle emploi. Je ne vous surprendrai pas en vous disant que je n'y suis pas favorable.
Mettons de côté les difficultés opérationnelles d'une telle initiative – connaissant les difficultés d'une fusion, j'imagine celles que poserait la décentralisation d'un organisme doté d'un service informatique unique, qui fait sa force, et dont 94 % des agents sont de droit privé. Rappelons que les personnels de Pôle emploi ne sont pas des fonctionnaires : ils relèvent d'une convention collective et d'accords sociaux.
Sur le fond, les tenants de la décentralisation disent qu'il faut distinguer indemnisation et placement. Or l'intérêt de la fusion entre l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) et l'Association pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (ASSEDIC) était justement de disposer d'un organisme qui gère ces deux sujets et les liens qui existent entre ces derniers. Lors du diagnostic d'un demandeur d'emploi et de la mise en place du pack de démarrage, un conseiller indemnisation et un conseiller placement interviennent tous les deux. Si l'objectif est de gérer l'indemnisation à l'échelle nationale et de confier l'accompagnement aux régions, je souhaite bon courage à quiconque voudra réformer l'assurance chômage ! Il faudrait alors soit revenir au système ANPE-ASSEDIC, soit négocier avec chaque région les conditions de mise en œuvre de cette réforme. Actuellement, Pôle emploi est fortement mobilisé pour verser des aides d'urgence et prolonger les droits : cela n'est possible qu'avec un opérateur unique et un système d'information unique. Je ne dis pas que ce ne serait pas mieux fait ailleurs, mais seulement qu'il est indispensable de faire preuve de réactivité.
Par ailleurs, l'objectif majeur d'une décentralisation serait de rendre Pôle emploi le plus proche possible des territoires ; or l'échelon adapté est moins la région que le bassin d'emploi. Toute notre stratégie consiste à donner le maximum de marge de manœuvre aux acteurs de terrain pour qu'ils puissent adapter leur action au bassin d'emploi.
J'admets tout à fait qu'en matière de formation, il faut que les régions assurent une coordination très forte et qu'elles jouent le rôle de chef de file. En matière de placement, en revanche, je suis beaucoup plus sceptique.
Il n'est pas inutile enfin de regarder de temps en temps ce qui se passe ailleurs en Europe. S'agissant de l'accompagnement des demandeurs d'emploi, nous regardons beaucoup du côté de l'Allemagne : la Bundesagentur für Arbeit n'est pas confiée aux Länder, et il y a sans doute des raisons à cela. L'État a besoin d'un intervenant sur le marché du travail : même un pays aussi décentralisé que l'Allemagne a fait le choix d'un opérateur national. Je ne connais pas beaucoup de pays européens qui ont fait le choix inverse ; ceux qui ont pu le faire commencent d'ailleurs à revenir en arrière.
Je dis les choses de la manière la plus objective possible : je ne cherche pas à défendre un pouvoir ou un territoire. Nous débattons de cette question depuis longtemps, et j'aimerais qu'elle soit vraiment tranchée – certains candidats à la prochaine élection présidentielle défendront peut-être des positions claires sur ce sujet, et la démocratie s'exprimera. Je ne me déplace jamais en région sans que la question ne me soit posée. Je réponds alors la même chose que devant la représentation nationale : à titre personnel, pour avoir étudié de près ce sujet, je ne suis pas favorable à la régionalisation de Pôle emploi. J'ose vous dire, au risque de vous choquer, que si j'avais été convaincu que cette solution était la bonne, je l'aurais défendue.
Je reviens à l'accompagnement des demandeurs d'emploi et aux relations de Pôle emploi avec les opérateurs privés de placement. Là non plus, je n'ai aucune position de principe : Pôle emploi travaille avec des partenaires privés. Les prestations que j'ai évoquées tout à l'heure et que nous avons fortement mobilisées l'été dernier sont assurées par des opérateurs privés ; il en va de même pour la création d'entreprise, pour l'élaboration d'un projet professionnel – je pense à Activ'projet – ou pour la valorisation des savoirs professionnels. Je dis seulement que nos relations avec les acteurs privés doivent être partenariales : nous ne devons pas rester dans une logique de donneur d'ordres mais concevoir avec eux les prestations.
En revanche, je ne crois pas à une mise en concurrence, au sens où les demandeurs d'emploi choisiraient eux-mêmes de solliciter Pôle emploi ou un opérateur privé. Du reste, lorsque, en 2015, nous avons discuté en toute transparence avec les opérateurs privés afin de faire évoluer nos relations, ceux-ci nous ont d'ailleurs dit qu'ils souhaitaient maintenir le principe d'une prescription des formations par les conseillers de Pôle emploi. Les pays comme l'Australie qui ne retiennent pas ce principe connaissent des débats sans fin sur la nature des demandeurs d'emploi qui se dirigent vers les opérateurs privés, qui n'auraient pas les mêmes caractéristiques que les autres, ce qui justifierait une rémunération plus importante.
Je suis favorable à une collaboration forte avec le secteur privé, particulièrement lorsqu'on s'inscrit dans deux logiques. Celle de la spécialisation tout d'abord, quand il s'agit de domaines que nous ne maîtrisons pas, comme celui de la création d'entreprises : nous sommes capables d'inciter nos usagers à créer leur entreprise, mais pas de les aider à établir un business plan, ce que certains partenaires savent très bien faire. La logique capacitaire ensuite : il est légitime de faire appel à des opérateurs privés lorsque vous avez des problèmes de capacités, comme en juillet dernier. Mais aller plus loin n'est pas évident.
Enfin, vous avez évoqué la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Nous publierons bientôt des chiffres sur les entrées en formation, qui ont progressé en 2019 ; pour 2020, nous espérons réussir à compenser une partie de la diminution liée à la crise sanitaire. Indépendamment de ce que je disais tout à l'heure, nous avons de bonnes relations avec les régions dans le cadre du PIC – même les présidents de région qui plaident pour une décentralisation en conviennent. Pour ma part, mon interrogation principale quant aux conséquences de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel concerne le poids que prend le CPF. Dans une région comme l'Île-de-France, le volume des CPF des demandeurs d'emploi a augmenté de façon considérable. Comment les régions et Pôle emploi doivent-ils se positionner sur ce sujet ? Devons-nous continuer à faire des achats collectifs de formations et poursuivre notre politique d'abondement des CPF ? Voilà un débat très intéressant, qui est encore devant nous.