Intervention de Dr Marie-Paule Kieny

Réunion du mardi 26 janvier 2021 à 17h15
Commission des affaires sociales

Dr Marie-Paule Kieny, présidente du Comité scientifique sur les vaccins covid‑19 :

En ce concerne le délai entre les deux doses, il peut paraître intuitivement intéressant de retarder la seconde dose pour vacciner plus de personnes. C'est vrai dans un temps court mais ce n'est plus vrai dès lors que nous réfléchissons qu'il faudra délivrer cette seconde dose et que nous ne pouvons pas ne pas la donner ou la repousser à six mois. Même si la repousser paraît être une approche raisonnable pour pallier le manque de doses, l'avantage obtenu en repoussant de trois semaines est très rapidement perdu. Les modélisations faites par l'Institut Pasteur montrent que nous aurons vacciné à peu près le même nombre de personnes en mars ou avril, que nous repoussions ou non la seconde dose. Cela n'apporte donc qu'un bénéfice à court terme et peut avoir plusieurs inconvénients.

Le premier inconvénient est que l'efficacité de la première dose dans les essais cliniques était d'environ 50 %. Protéger deux fois plus de gens à 50 % ou protéger deux fois moins de gens à 100 % n'apporte pas de bénéfice. De plus, nous voyons dans les données de la vie réelle qui viennent de sortir en Israël que l'efficacité d'une seule dose chez les personnes âgées tombe à 33 %. Retarder la seconde dose ferait donc prendre un risque aux personnes les plus fragiles en les immunisant au tiers et en les laissant très peu protégés pendant une longue période avant la seconde dose, pour un gain très transitoire puisque, au mois de mars ou avril, les deux stratégies amèneront à vacciner le même nombre de personnes.

Je pense qu'il est sain que la HAS ait abordé la question et que nous ayons pu en débattre. C'est une approche suivie par d'autres pays, essentiellement par les Britanniques, et je reviendrai sur la différence avec les Britanniques.

L'autre argument pour ne pas retarder la seconde dose est que nous voyons qu'il existe de plus en plus de variants qui circulent. La protection contre les variants pourrait ne pas être aussi bonne que contre le prototype.

Que savons-nous des variants ? D'après les études faites par Pfizer et BioNTech, il semble que la protection de leurs vaccins serait maintenue contre le variant dit britannique. Nous ne nous faisons donc pas trop de souci pour celui-ci.

En revanche, le sérum des personnes vaccinées semble moins bien neutraliser le variant sud-africain et le vaccin perdrait donc en efficacité. Nous avons donc intérêt à garder aussi haut que possible le niveau d'immunité donc à vacciner complètement avec deux doses de façon à préserver autant que possible la protection contre ces variants.

D'autre part, lorsque nous voulons sélectionner un variant en laboratoire, une des stratégies est de mettre ce variant en contact avec des quantités sous-optimales d'anticorps neutralisants et d'essayer de pousser le virus à échapper. C'est ainsi que nous produisons des variants en laboratoire. Si nous vaccinons de façon imparfaite une grande quantité de personnes, elles peuvent devenir des « réacteurs à variants » puisqu'elles ont une protection imparfaite ce qui est très favorable à l'apparition de nouveaux variants. Pour toutes ces raisons, la plupart des pays ont décidé de maintenir les conditions d'administration de la seconde dose comme prévu par les producteurs et comme indiqué dans l'avis d'autorisation de l'Agence européenne du médicament, sauf le Royaume‑Uni, le Danemark et le Québec.

La situation est différente au Royaume‑Uni car il utilise actuellement deux vaccins : le vaccin Pfizer de BioNTech et surtout le vaccin AstraZeneca. Ce vaccin est conçu de façon différente ; il est fondé sur un vecteur viral et son efficacité chez les personnes plus âgées est clairement inférieure, même si elle ne descend sans doute pas à 8 %. Je ne vois d'ailleurs pas d'où sort ce chiffre de 8 % mais les données très préliminaires dont nous disposons pourraient indiquer que ce vaccin aurait une moindre efficacité chez les personnes les plus âgées.

Il a été constaté de façon un peu fortuite lors des essais cliniques, pour des raisons logistiques et légales, que l'efficacité semble meilleure chez des personnes pour lesquelles la seconde dose a été reportée jusqu'à douze semaines. Pour le vaccin AstraZeneca, il s'avère donc qu'un espacement des deux doses pourrait être tout à fait bénéfique pour la protection induite. Il est donc logique que les Britanniques fassent une campagne dans laquelle ils espacent les doses, surtout pour le vaccin AstraZeneca.

Nous sommes de plus dans les premières semaines du Brexit et la gestion de la pandémie par le gouvernement britannique a été absolument chaotique, avec des mesures dans un sens et dans l'autre. Il a même été recommandé aux Britanniques d'aller manger au restaurant afin d'aider l'économie alors que nous savons que les restaurants sont le meilleur endroit pour faire redémarrer l'épidémie. Je pense donc que le gouvernement britannique veut « faire du chiffre » après le Brexit, une fois retrouvées leur souveraineté et leur liberté. Pour faire du chiffre, il faut donner au maximum de gens une seule dose. C'est une expérience de recherche clinique intéressante mais qui est en général faite sur des personnes volontaires et non sur la population complète. Nous verrons certainement dans quelques semaines quel est l'impact de ce grand pari fait par le gouvernement britannique d'attendre pour donner la seconde dose.

Le comité scientifique que je préside, après avoir revu toutes les données des expérimentations cliniques par les différents producteurs, est tout à fait favorable au maintien de l'espacement des doses tel que proposé par les producteurs.

S'agissant de la question de M. Door, les chevauchements entre tous ces comités pourraient effectivement être préjudiciables si chacun n'essayait pas, d'une part de garder sa spécificité et, d'autre part, d'établir des dialogues et des ponts entre ces comités.

Le conseil scientifique s'occupe d'aspects de santé publique beaucoup plus larges et fait des recommandations liées aux dynamiques de population, à l'épidémiologie. C'est donc un comité qui travaille sur la santé publique.

Le comité scientifique vaccins que je préside est beaucoup plus technique. Il s'occupe des caractéristiques propres des vaccins, propose à la France de faire certains essais cliniques pour éclairer notre compréhension de l'efficacité de certains vaccins. La plateforme Covireivac a notamment développé, en lien avec le comité scientifique vaccin, un protocole nommé CoviCompare, qui sera bientôt lancé pour plusieurs vaccins. Nous comparerons de façon très fine l'immunogénicité de différents vaccins, c'est-à-dire les réponses immunitaires qu'ils induisent chez des populations de plus de 70 ans par rapport à des populations d'adultes plus jeunes. Ces recherches aideront à la compréhension des vaccins et orienteront leur utilisation au mieux de leur efficacité dans les différents types de population.

Le comité Fischer s'occupe plus de communication vers les populations et les travailleurs du système de santé, d'aspects opérationnels. Il ne s'intéresse pas aux aspects techniques des vaccins et s'en remet au comité scientifique vaccins lorsqu'il a besoin d'avis sur les caractéristiques des vaccins pour éclairer ses propres avis.

Nous ne savons rien ou pas grand-chose de la durée de protection. Elle dure sûrement plus de trois mois. Nous aimerions qu'elle dure au moins un an ; nous le souhaitons et nous n'avons actuellement pas de raison actuellement de penser que l'efficacité sera à court terme. Avant d'en être sûr, il faut attendre que le temps ait passé. Nous ne connaissons la protection à trois mois qu'après trois mois, la protection à six mois qu'après six mois...

S'agissant de l'immunité contre les variants, pour le moment, il semble que les vaccins dont nous disposons seraient efficaces contre le variant dit britannique, seraient moins efficaces mais resteraient efficaces contre le variant dit sud-africain mais auraient perdu, peut‑être totalement ou peut-être pas, leur efficacité contre le variant dit brésilien. Il faut donc se préparer. Les vaccins à utiliser maintenant sont encore ceux dont nous disposons puisque les souches classiques sont majoritaires dans le monde mais les producteurs préparent déjà des vaccins qui couvriraient les séquences des variants de façon à pouvoir soit basculer totalement la production soit maintenir une double production pour faire un rappel avec un vaccin adapté aux variants si nécessaire.

Les vaccins viennent petit à petit. Les deux premiers sont des vaccins à ARN messager et nous avons tous été agréablement surpris par leur efficacité. La discussion, quelques semaines auparavant, était de savoir à partir de quel stade d'efficacité nous utiliserions les vaccins. Le consensus était que le vaccin ne valait pas la peine s'il n'était pas efficace à plus de 50 %. Lorsque sont sortis ces vaccins efficaces à 95 %, cela a été un soulagement pour tout le monde mais tous les vaccins ne seront pas aussi efficaces. Nous aurons des degrés d'efficacité variables et, malgré tout, ces vaccins auront leur place dans l'arsenal parce qu'il est impossible de vacciner toute la population avec un seul vaccin. La demande étant très élevée, il faudra faire feu de tout bois pendant encore longtemps et utiliser le mieux possible tous les vaccins disponibles.

Le troisième vaccin dont l'efficacité est démontrée est le vaccin AstraZeneca. Je dois dire qu'il règne une certaine confusion sur le véritable potentiel de ce vaccin. Son efficacité générale est autour de 70 % mais, dans un tout petit groupe de personnes peu âgées – moins de 55 ans –, nous avons vu que l'efficacité pouvait monter à 90 % en allongeant l'intervalle entre les deux injections. AstraZeneca a déposé à l'Agence européenne du médicament de nouvelles données au début du mois de janvier. Ces données permettront à l'Agence de rendre une décision à la fin du mois.

Un autre essai est en cours avec le vaccin AstraZeneca aux États-Unis. Nous n'en aurons les résultats qu'en février ou mars. Ce sera à l'Agence européenne du médicament de décider si nous avons suffisamment de données pour donner une autorisation à ce vaccin et si elle veut moduler les indications. Ce n'est pas moi qui décide et je n'ai pas de boule de cristal mais, vraisemblablement, ce vaccin sera enregistré pour tout public au-delà de 18 ans puisque nous n'avons aucun résultat chez les enfants. Il se peut qu'une notice précise que les données chez les personnes âgées sont faibles car peu de personnes âgées étaient incluses dans l'étude clinique.

Que pourrions-nous faire avec ce vaccin ? Il est beaucoup plus facile d'utilisation puisqu'il peut être conservé au réfrigérateur. Le comité que je préside donnera de plus des préconisations d'espacement des doses plus larges pour ce vaccin, entre huit et douze semaines. Ce vaccin sera donc plus facile à utiliser mais sera peut-être mieux approprié pour des personnes plus jeunes, d'un âge inférieur à 65 ans, en fonction de ce que l'agence de régulation décidera.

Les producteurs eux-mêmes se sont engagés sur des livraisons de quantités très importantes, qu'ils n'avaient jamais atteintes. Ils ont modélisé leurs capacités mais travaillent à flux tendu. Il n'est donc pas étonnant que, parfois, un grain de sable vienne gripper la mécanique, ce qui provoque des délais. Pfizer-BioNTech semble actuellement tenir ses promesses. Leurs délais ont sans doute été mieux calculés alors que nous avons des problèmes de livraison avec AstraZeneca.

Que pouvons-nous y faire ? Des problèmes techniques ont provoqué cette diminution des doses livrables, ce n'est pas AstraZeneca qui a décidé de moins livrer. L'entreprise n'est pas capable de livrer plus. La Commission européenne a tempêté et envisagé d'imposer des pénalités mais cela ne nous donnera pas plus de vaccins.

Je pense qu'il serait tout de même hautement préjudiciable que la France et les pays européens essaient d'accaparer des vaccins promis par exemple à l'initiative COVAX, qui vise à aider les pays aux revenus limités à avoir un petit peu de vaccins pour protéger leurs personnes les plus vulnérables. Les pays européens et plus généralement les pays riches ont commandé suffisamment de vaccins pour couvrir plusieurs fois leurs populations. Je pense qu'il faut être raisonnable. Essayer d'obtenir plus de vaccins et pénaliser les producteurs, pourquoi pas, mais essayer de les forcer à ne pas honorer les commandes des pays pauvres me semble être une attitude égoïste dont nous pourrions avoir honte. Il faudra attendre qu'AstraZeneca ait réglé le problème. J'espère que ce sera rapide et que les doses promises seront livrées le plus vite possible.

Pour tous les vaccins, le flacon contient un peu plus que la quantité indispensable pour être sûr d'avoir assez malgré les pertes qui se produisent toujours. Les utilisateurs ont constaté qu'ils pouvaient tirer six doses des flacons du vaccin Pfizer. Les doses devenaient de ce fait un peu moins chères et, dans une ambiance de pénurie, disposer d'un sixième de vaccin en plus était une bonne nouvelle. Pfizer a eu une réponse très commerciale, une réponse de recherche du profit, et a décidé de faire payer six doses par flacon. Je le regrette et je trouve que c'est une décision qui montre que le premier objectif des multinationales est de maximiser le profit pour leurs actionnaires. C'est même indiqué dans la charte d'une société cotée. Fabriquer des médicaments est leur deuxième priorité.

Malgré tout, nous ne pouvons pas nous passer d'eux et nous sommes très contents de leur engagement à fabriquer autant de vaccins que possible. Les vaccins contre la covid seront effectivement une aubaine extraordinaire pour les fabricants. Nous pouvons le regretter mais nous avons bien besoin d'eux pour disposer du vaccin et immuniser nos populations.

S'agissant de l'hésitation vaccinale en France, nous voyons en comparant différents pays que l'hésitation vaccinale va de pair avec la défiance vis-à-vis du système, du gouvernement, de la science, de la médecine. La population française a peu confiance dans la classe politique, dans la médecine, dans la science et dans son gouvernement. Il n'est donc pas étonnant que l'hésitation soit aussi élevée en France. Toutefois, cette hésitation baisse assez rapidement. Je ne crois pas que ce soit parce que les Français ont plus confiance en leur gouvernement et en la science. C'est une réaction naturelle lors de la présentation d'une chose que beaucoup désirent alors qu'il n'en existe pas assez pour tous. La réaction naturelle est : « Il n'y en pas assez pour tous alors j'en veux ! » C'est un des mécanismes qui explique l'augmentation de l'adhésion des Français à la vaccination. Nous sommes très contents que cette hésitation diminue.

Ces vaccins sont-ils efficaces ? Oui, ils sont efficaces à 95 % quand deux doses sont administrées. Nous ne savons pas combien de temps ils seront efficaces. Les essais de Pfizer et Moderna ont inclus des personnes d'âges variés et il semble que l'efficacité reste très bonne, y compris chez les personnes âgées même si ce n'est peut-être pas 95 %. Les cohortes étant plus petites, nous avons des chiffres moins précis mais l'efficacité reste bonne. L'efficacité est excellente vis-à-vis des formes sévères, meilleure que vis-à-vis des formes bénignes.

Nous ne savons pas encore si ces vaccins peuvent interrompre la transmission et les vaccins ne seront peut-être pas égaux dans ce domaine. La plupart des producteurs ont fait des expérimentations chez l'animal, le macaque rhésus. Pour ces expérimentations, les primates sont immunisés puis volontairement infectés dans le nez et dans la trachée avec du virus SARS-CoV-2. La présence de virus est ensuite étudiée. Nous constatons ainsi que les vaccins Pfizer, Moderna, AstraZeneca ou d'autres protègent les animaux contre la maladie, c'est‑à‑dire que les animaux ne font pas de pneumonie et que nous ne trouvons pas ou peu de virus dans leurs poumons mais, en revanche, les vaccins ne sont pas tous aussi efficaces pour limiter la présence du virus dans la sphère respiratoire supérieure, aussi bien du point de vue quantitatif que du point de vue de la durée. Certains vaccins pourraient être relativement efficaces pour réduire la transmission et d'autres non. Il faudra alors les utiliser pour ce qu'ils sont capables de faire, c'est-à-dire réduire la morbidité et la mortalité chez les personnes les plus vulnérables.

Le vaccin sera indispensable mais il faut aussi faire des progrès dans le domaine du traitement. La troisième vague nous inquiète beaucoup car les hôpitaux risquent d'être débordés alors que les travailleurs de santé sont déjà fatigués.

J'en profite, puisque je parle devant des députés, pour dire que le constat général et global est que nous n'investissons pas assez dans les personnels de santé, dans tous les pays. En France et dans les pays riches, comme nous ne formons pas assez de professionnels de santé, nous les importons de pays à ressources plus limitées que les nôtres. C'est du braconnage et cela ne règle pas le problème. Il serait temps, après cette crise sanitaire, que tous les gouvernements et les parlements, en France et ailleurs, se décident à investir dans la formation et le recrutement, en nombre, de travailleurs dans le système de santé. C'est absolument indispensable. Lorsque j'étais à l'OMS, c'était déjà identifié comme une source majeure d'inquiétude dans l'avenir, pas seulement pour les pays pauvres mais aussi pour les pays riches.

Nous voyons souvent l'investissement dans le capital humain, dans le personnel, comme une dépense, comme un coût. Il faut changer de façon radicale ce discours et considérer l'investissement dans les ressources humaines pour la santé comme un investissement et non comme un coût.

Quels sont les effets indésirables ? Nous connaissons assez bien les effets indésirables à court terme, la réactogénicité. Ces vaccins sont assez réactogènes et il faut que les gens soient conscients du fait qu'ils auront vraisemblablement mal au bras – c'est le cas de la plupart des vaccinés – et qu'ils peuvent avoir de la fièvre, des nausées, ne pas se sentir très bien pendant douze à vingt‑quatre heures, peut-être quarante‑huit heures. C'est normal. C'est certes désagréable mais le paracétamol et d'autres médicaments peuvent être utilisés pour limiter cet inconfort.

Nous avons aussi vu que les vaccins à ARN peuvent présenter un risque d'allergie grave ; aucun décès ne s'est produit pour le moment car les patients ont été bien pris en charge par des mesures de traitement de ces chocs anaphylactiques et de ces chocs allergiques. Il faut faire attention, garder les personnes vaccinées sous observation pendant au moins quinze minutes de façon à pouvoir prendre ces chocs anaphylactiques en charge.

La vaccination est un acte médical et, comme pour tous les actes médicaux, il faut considérer à la fois l'aspect bénéfice et l'aspect risque. Il semble clair actuellement pour la vaccination contre le covid que le bénéfice excède très largement le risque, surtout avec des vaccins très efficaces.

Peut-il exister d'autres effets secondaires à plus long terme ? Nous ne pouvons pas l'exclure. Plus le temps passe, plus nous avons d'expérience avec des millions de personnes vaccinées depuis deux mois, moins la plausibilité d'effets secondaires graves à distance est réelle mais nous ne pouvons pas l'exclure. Dans la vaccination contre la grippe pandémique, nous avons constaté avec l'un des vaccins l'apparition chez les adolescents d'une pathologie rare et grave, la narcolepsie. Ces adolescents avaient des épisodes lors desquels ils s'endormaient sans pouvoir s'en empêcher. C'est un effet secondaire très grave et très rare qui n'était pas attendu. Pouvons-nous exclure un effet secondaire grave, sans doute pas la narcolepsie, dans des proportions extrêmement faibles ? Nous ne le pouvons pas encore mais, plus le temps passe, plus nous pourrons faire le bilan. Ce n'est pour le moment pas très probable mais nous ne pouvons pas formellement éliminer cette possibilité.

Nous ne savons pas s'il faudra un rappel annuel de vaccination. Nous ne connaissons pas la durée de protection et nous ne savons pas comment évoluera la situation avec les variants. Il est plausible, probable même, que, plus la population sera immunisée par la maladie ou par la vaccination, plus nous verrons se développer des variants venant de différentes parties du monde. Certains variants ne seront pas problématiques, d'autres le seront. Nous ne pouvons pas éviter cette production de variants qui est un phénomène biologique. Il se peut donc que nous devions revacciner si certains variants très problématiques se développent, de façon à élargir la protection à ces variants comme nous le faisons pour la grippe.

Il n'est pas possible d'espérer éliminer ce virus. Il est là et restera. Ce que nous pouvons souhaiter est de trouver une situation dans laquelle la société humaine et le virus coexisteront. Une série de confinements est à terme impossible et la vaccination nous permettra déjà de sortir de cette dynamique en protégeant les personnes les plus faibles.

La vaccination sera-t-elle capable d'induire une immunité de population empêchant le virus de circuler ? C'est très peu probable. Un article a été publié par une sommité du domaine, un académique britannique qui conclut qu'il faudrait vacciner presque la totalité de la population, y compris les enfants, avec un vaccin qui serait efficace à presque 100 % et durerait pendant de nombreuses années pour espérer obtenir une immunité de population qui empêcherait la circulation du virus, compte tenu de la contagiosité du SARS-CoV-2. C'est infaisable.

L'immunité de population viendra à la fois de la vaccination et de la maladie. Les Britanniques ont publié des données qui montrent qu'une première infection par le SARS‑CoV‑2 protège les personnes pendant au moins cinq mois – puisque c'est le recul que nous avons entre les deux vagues – avec une efficacité de 85 %. Ce n'est pas négligeable et l'immunité construite est donc la somme de l'immunité naturelle après infection et de l'immunité amenée par la vaccination. Nous pouvons ainsi espérer que la transmission du virus diminuera et que les plus fragiles seront protégés. Ce sont eux les plus « dérangeants » puisque nous pourrons nous accommoder du fait que les personnes plus jeunes aient une covid légère qui ne dure pas très longtemps comme nous nous accommodons des formes légères d'autres maladies infectieuses.

Je n'ai pas de boule de cristal mais une solution qui pourrait nous permettre à tous de vivre « en paix » avec le SARS-CoV-2 serait que ce virus devienne saisonnier. Nous ne savons pas si ce sera le cas. Sera-ce comme la grippe, qui nous ennuie entre les mois de décembre et de mars ? Nous vaccinons, la grippe provoque chaque année une mortalité mais pas une crise telle que celle de la covid.

Si nous en arrivions à cette situation dans quelques années, peut-être pas encore cette année car les vagues pandémiques ne sont sans doute pas terminées, nous pourrions, grâce à l'immunité et à la vaccination des personnes les plus fragiles, retrouver une vie beaucoup plus normale avec un virus saisonnier. Toutefois, je ne suis pas suffisamment spécialiste de ces modèles pour vous en donner l'assurance. Je pense que la connaissance que nous avons actuellement de ce virus et de la pathologie induite est vraiment beaucoup trop imparfaite encore pour que nous puissions nous prononcer sur l'avenir.

Il ne faut en tout cas pas penser que le problème sera réglé au mois de septembre et que la vie d'avant recommencera, que nous jetterons les masques et qu'il ne se passera plus rien. Il est fort probable que les problèmes que nous avons avec ce virus continueront pendant l'année 2021, avec des hauts et des bas. Plus nous vaccinerons, moins nous aurons de problèmes. Nous aurons aussi moins de problèmes en été parce que les gens passeront plus de temps dehors, que nous aurons moins d'aérosols et moins de transmission. Avec des hauts et des bas, nous continuerons vraisemblablement à être ennuyés par ce virus durant toute l'année 2021 mais sans doute moins dans la mesure où les personnes les plus vulnérables et les plus à risque seront vaccinées.

S'agissant des 8 % de protection du vaccin AstraZeneca chez les personnes âgées, je ne vois même pas où ce chiffre a été trouvé. Les chiffres que j'ai vus dans les données publiées par AstraZeneca sont que, dans le petit groupe de personnes de plus de 65 ans enrôlées dans leur essai clinique, la protection est raisonnable, de l'ordre de 50 à 60 % mais avec un intervalle de confiance qui rend le chiffre très peu précis car le groupe était trop petit.

Pourquoi n'avons-nous pas plus de vaccin en France ? Tout d'abord, Sanofi-Pasteur n'est un producteur français. C'est une multinationale qui a son siège à Lyon. Que s'est-il passé dans les multinationales avant même que la pandémie soit déclarée ? L'enthousiasme a été très limité car les producteurs internationaux de vaccins – dont la raison d'être principale est de générer des profits pour les actionnaires comme je l'ai déjà rappelé – ne voyaient pas si ce serait une pandémie, son intensité, sa gravité... Ils ne savaient pas s'il fallait s'engager dans le développement d'un vaccin contre la covid, en particulier parce que ceux qui s'y étaient engagés pour Ebola avaient investi énormément en pure perte, notamment la société GlaxoSmithKline. Même Merck, dont le vaccin est enregistré, ne fait pas de profits avec le vaccin Ebola. L'approche des multinationales a donc été très frileuse, sauf celle de la société Janssen, qui a tout de suite commencé à développer un vaccin contre la covid. Janssen a développé son propre vaccin et nous devrions avoir des résultats sur son efficacité dans quatre ou cinq jours.

Les autres producteurs ont pris plus de temps. Sanofi-Pasteur a décidé de développer sa propre technologie. Les autres multinationales, lorsqu'elles ont décidé d'y aller, ont racheté les vaccins de petites sociétés ou de chercheurs académiques. Pfizer s'est ainsi associé avec BioNTech, une petite société de biotechnologie allemande. AstraZeneca s'est associé à l'université d'Oxford. Merck a racheté deux technologies, l'une développée par une organisation non lucrative et similaire à celle qui avait été utilisée pour leur vaccin Ebola, l'autre étant le vaccin de l'Institut Pasteur. La plupart des grosses sociétés ont donc racheté des brevets et des avancées faits par des académiques et par de petites entreprises de biotechnologie.

Sanofi-Pasteur a acquis voici plusieurs années une technologie qui est utilisée pour un de leurs vaccins contre la grippe. Ils ont décidé d'utiliser cette technologie, ce qui est tout à fait raisonnable. C'est une technologie très classique visant à produire une protéine du SARS‑CoV‑2 et à ajouter un adjuvant pour lequel ils travaillent avec la société GlaxoSmithKline dont c'est d'ailleurs le seul engagement dans la lutte contre la pandémie et le développement de vaccins contre la covid. Le vaccin de Sanofi-Pasteur est donc éminemment crédible. Ce vaccin est l'un de ceux qui devraient être efficaces, d'autant plus que Sanofi-Pasteur a tout de même l'expérience des vaccins.

Pourquoi cela s'est-il mal passé ? Sanofi-Pasteur a commis une erreur technique en faisant confiance à un producteur de réactifs de laboratoire pour mesurer la quantité de principe actif introduite dans le vaccin. En utilisant ce réactif qu'ils n'ont malheureusement pas validé – c'est une erreur –, ils ont mis au point une première formulation de leur vaccin sous-dosée en principe actif et sur-dosée en contaminants cellulaires. C'est donc un vaccin très réactogène, qui provoque de la fièvre... mais qui est sous-dosé et induit donc des réponses immunitaires sous-optimales, surtout chez les personnes âgées, qui réagissent moins bien aux vaccins en général. Il était donc exclu que Sanofi-Pasteur puisse continuer le développement avec cette formulation.

Cela les a obligés à retourner en arrière, à remettre en place leur procédé de purification, à refaire une formulation de vaccin et à recommencer les essais cliniques. Ils sont de ce fait très en retard mais cela n'empêche pas que leur vaccin est vraisemblablement efficace. Il est donc éminemment souhaitable que Sanofi-Pasteur continue ce développement car nous aurons encore besoin de beaucoup de vaccins contre la covid et pendant encore longtemps. Sanofi-Pasteur dit pouvoir fournir du vaccin vers la fin de l'année 2021. J'espère que ce sera plus rapide mais il est difficile de rattraper le temps perdu.

La France est par ailleurs entrée en discussion avec Sanofi-Pasteur pour savoir si, en attendant, Sanofi-Pasteur pouvait utiliser ses capacités de production pour aider à la fabrication d'autres vaccins. Des discussions sont en cours pour que Sanofi-Pasteur assure les dernières étapes de production – formulation et/ou flaconnage – pour d'autres sociétés dont Janssen et Pfizer-BioNTech. Je ne sais pas quelles seront les décisions prises mais la société Sanofi-Pasteur veut effectivement aider à répondre à la covid-19, y compris en mettant ses capacités au service d'autres producteurs.

Personne ne voulait de vaccin et, maintenant, tout le monde en veut. Il faudrait expliquer aux Français que le vaccin arrivera. La France et l'Europe ont acheté beaucoup de vaccins, trop, plus que nécessaire pour vacciner toute la population. Elles ont en réalité acquis un portefeuille de vaccins. Avant que nous ayons les résultats de Pfizer-BioNTech et de Moderna, il était en effet impossible d'être sûr que ces vaccins, fondés sur un concept totalement nouveau et jamais vraiment expérimenté chez l'homme, seraient actifs. La France et l'Europe ont donc décidé d'investir dans ces vaccins et, en parallèle, dans des vaccins comme ceux d'AstraZeneca et de Janssen ainsi que dans des vaccins dits sous-unitaires avec Novavax, dont le vaccin est extrêmement prometteur, et avec Sanofi-Pasteur. Il s'agissait de couvrir toutes les technologies qui semblaient les plus prometteuses pour offrir à la population le plus de chances de pouvoir être vaccinée le plus rapidement possible, avec des vaccins efficaces.

Avec le recul – mais nous sommes toujours beaucoup plus intelligents après – je pense qu'il aurait été dangereux de mettre tous les œufs dans le même panier, de tout investir par exemple dans le vaccin Moderna ou dans le vaccin Pfizer-BioNTech. De plus, nous sommes dans une situation de marché. Nous ne sommes pas les seuls à vouloir acheter et les différents pays sont en compétition pour acquérir ces vaccins, surtout les plus efficaces.

Ces vaccins arrivent donc, pas au compte-gouttes puisque nous avons déjà vacciné un million de personnes en France et que la vaccination est maintenant bien lancée, mais il est certain que nous pourrions utiliser plus de vaccins. Je comprends très bien le député qui proteste contre la fermeture des centres et le manque de vaccins. Nous voudrions tous avoir plus de vaccins mais il faut prendre patience et accepter que notre objectif soit de limiter la morbidité et la mortalité puisque nous ne pourrons pas, dans les mois qui viennent, induire une immunité de population.

Il faut donc accepter de vacciner dans un premier temps les personnes les plus âgées, celles qui ont des maladies sous-jacentes. Nous pourrons, petit à petit, abaisser les tranches d'âge, sauf bien sûr pour les travailleurs du système de santé qui sont déjà surchargés, en trop faible nombre. Pour que le système de soins tienne, il faut les protéger afin qu'ils soient présents dans les hôpitaux pour soigner les gens.

En France, la situation de la recherche vaccinale académique est assez bonne bien que les chercheurs français soient mal payés par rapport à leurs homologues allemands ou suisses. Les chercheurs en France sont des fonctionnaires et, de ce fait, ils sont assez mal payés. Nous avons donc un phénomène de fuite des cerveaux mais, malgré tout, de la bonne recherche est menée au VRI dirigé par Yves Lévy à Créteil ou par des universitaires et dans des instituts de recherche.

Nous avons un problème d'investissement : les projets échouent lors de la traduction de ces projets académiques en des projets de développement pharmaceutique. Il faut beaucoup plus d'argent. Le discours trop souvent tenu aux chercheurs français est : « Allez voir l'industrie. Essayez d'intéresser les industriels, ils paieront. » En fait, nous n'apportons pas assez de soutien au développement d'un écosystème de petites sociétés innovantes qui développeraient des prototypes jusqu'au moment où l'efficacité du concept est démontrée C'est ce qui existe aux États-Unis, en Allemagne et dans d'autres pays. Comme nous le voyons avec CureVac et BioNTech, l'écosystème innovant est plus important d'un point de vue quantitatif dans ces pays.

Pourquoi la quantité est-elle importante ? Ce sont des développements risqués et, surtout s'il s'agit d'une innovation de rupture, la plupart des prototypes échoueront. Avec deux ou trois sociétés de biotechnologie, nous pouvons certes toucher le jackpot et il peut même arriver, avec une seule, qu'elle soit le cheval gagnant mais, pour être sûr de parvenir à un résultat, il faut en avoir beaucoup. Il faut se dire que 90 % échoueront et c'est pourquoi l'innovation a été plutôt menée par d'autres pays que la France, par l'Allemagne en particulier.

Ce passage de la recherche académique à la recherche appliquée a aussi été beaucoup mieux aidé au Royaume-Uni et c'est pourquoi la recherche de l'université d'Oxford a pu aller plus loin et aboutir au vaccin AstraZeneca. Ce n'est pas le seul vaccin développé par le Royaume-Uni et en essais cliniques. L'Imperial College en a conçu un autre.

Il faudrait investir, ce qui n'a pas été fait par les gouvernements passés, depuis des décennies, dans le développement de l'innovation lorsqu'elle n'est plus tout à fait dans le monde académique et pas encore dans la grande industrie.

L'institut Pasteur développe trois vaccins. Le plus avancé était celui développé par Frédéric Tangy, fondé sur une plateforme qui utilise le virus de la rougeole. Il s'agit d'une solution innovante, très intéressante. L'Institut Pasteur a obtenu une preuve de concept bien qu'aucun vaccin ne soit encore enregistré mais des résultats d'essais cliniques très prometteurs ont été obtenus avec d'autres vaccins, notamment un vaccin expérimental contre le Middle East Respiratory Syndrome (MERS) ; c'est une pathologie liée également à un coronavirus, que nous trouvons surtout au Moyen Orient et qui est passée par les dromadaires.

Je n'ai pas vu les résultats des études cliniques mais, à ce que j'ai compris, les réponses immunitaires induites par ce vaccin chez les volontaires en France et en Belgique sont inférieures à celles constatées chez les personnes infectées par le SARS-CoV-2, ce qui constitue le repère de ce que nous souhaitons obtenir au minimum. C'est regrettable mais cela arrive.

C'est d'autant plus dommage que l'écosystème de sociétés innovantes que nous avons est trop petit en France. C'est la raison pour laquelle l'Institut Pasteur avait vendu toute sa propriété intellectuelle sur cette plateforme « Rougeole » à une petite société autrichienne nommée Themis, elle-même rachetée par le géant Merck au début de l'été. Cette invention était donc passée dans le giron américain.

Le Président de la République, lorsqu'il a parlé de souveraineté, a parlé de la création d'un écosystème favorable. Il serait effectivement souhaitable que, après cette crise sanitaire, le Gouvernement français et l'Europe prennent conscience du fait qu'il faut développer davantage l'innovation, développer un écosystème permettant aux découvertes académiques d'être transformés en vaccins ou en produits pharmaceutiques.

C'est là qu'intervient le projet piloté par la Commission européenne d'une nouvelle agence dont nous ne connaissons pas encore la forme. Elle s'appellera Health Emergency Preparedness and Response Authority (HERA) et sera l'équivalent de la Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA) aux États-Unis. Elle investirait de façon massive dans le développement de tests de diagnostic, de médicaments, de vaccins pour nous protéger contre des crises sanitaires. Je plaide pour que cette agence soit une organisation publique, comme l'est BARDA, qui travaille avec le privé mais dont la gouvernance et le financement sont publics.

Un tel investissement dans l'innovation pourrait permettre également de développer la production locale.

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