Intervention de Claire Hédon

Réunion du mercredi 27 janvier 2021 à 9h30
Commission des affaires sociales

Claire Hédon, Défenseure des droits :

Permettez-moi, en premier lieu, de saluer le travail de mon prédécesseur. Je me sens en cohérence avec l'ensemble des avis qu'il a été amené à rendre et cette identité de vue s'avère très confortable pour moi. En second lieu, je souhaiterais saluer le travail des équipes qui m'entourent. Je suis impressionnée par la qualité du travail qu'elles produisent. Cet avis est largement partagé. Lorsque nous réunissons les collèges, l'ensemble de leurs membres – dont certains ont d'ailleurs été nommés par le Président de l'Assemblée nationale, d'autres par le Président du Sénat, la Cour de cassation et le Conseil d'État – salue le travail remarquable des équipes pour ce qui concerne les avis que nous rendons.

Je suis en poste depuis exactement six mois, à quelques jours près. Vous avez évoqué la diminution de notre activité en 2020, mais en réalité, sur l'ensemble de l'année, notre activité a été constante. Elle a effectivement diminué au moment du premier confinement parce qu'il était plus complexe de joindre les délégués, mais de nombreux délégués ont poursuivi leur activité à distance. Par ailleurs, je rappelle que nous avons mis en place une plateforme téléphonique et que nous sommes ainsi restés joignables. Nous étions d'ailleurs parfois un des seuls services publics en capacité de répondre. Ainsi notre activité a-t-elle été constante au cours de l'année. Lors du second confinement, une grande partie de nos délégués ont continué à réaliser des accueils en présentiel de telle sorte à ne pas limiter notre écoute à des accueils téléphoniques.

S'agissant de l'impact de la crise, nous avons évidemment été fortement frappés par les saisines de familles ou de résidents en EHPAD sur la question de l'interdiction des visites ou de leur limitation, et des impacts induits. Nous avons constaté la dégradation subite de la santé de ces personnes âgées hébergées dans les EHPAD. Nous avons également été très rapidement saisis par des mères de famille qui se voyaient interdire l'entrée des supermarchés avec leurs enfants – je crois que mon prédécesseur avait évoqué ce sujet avec vous. Nous avions immédiatement émis une alerte ainsi qu'au sujet des personnes âgées ou en situation précaire qui se voyaient interdire le règlement de leurs achats en espèces. Il est intéressant de constater que nous représentons un lieu de vigie des dysfonctionnements et que nous disposons d'une capacité d'alerte rapide auprès du Parlement et du Gouvernement sur des sujets qui peuvent être réglés relativement rapidement. À titre d'exemple, le problème de l'interdiction du règlement en espèces dans les supermarchés a été réglé assez rapidement.

Vous m'interrogez sur la plateforme. Nous serons responsables de cette plateforme en toute indépendance, ce qui n'exclut pas de travailler en lien avec les pouvoirs publics. L'indépendance représente une des clefs de la crédibilité et du succès de la plateforme. Nous travaillerons bien sûr en collaboration avec les associations, que j'ai d'ailleurs déjà rencontrées, pour une bonne partie d'entre elles, et je poursuivrai ces rencontres dans les jours à venir. Elles se positionneront en première ligne sur cette plateforme. L'objectif consiste à rassembler des personnes formées juridiquement, capables de répondre au téléphone le plus rapidement possible et d'orienter très rapidement les appels. Certains sujets relèveront de notre domaine ; d'autres, comme les propos racistes ou les violences, qu'il conviendra d'orienter. Cette orientation ne doit pas consister simplement à communiques des numéros de téléphone. C'est pourquoi nous souhaitons installer des systèmes qui nous permettent d'effectuer nous-mêmes le transfert d'appel de sorte que la personne victime ne soit pas obligée d'appeler un second numéro. En effet, nous pensons que nous perdons un certain nombre de victimes dans ce genre de situation. Cette plateforme reposera sur un site internet totalement adapté au téléphone au portable parce que la majorité des gens consultent à partir de leur smartphone. L'orientation figurera sur le site, par le biais soit d'un numéro de téléphone, soit du tchat. Il affichera également les numéros de téléphone d'associations ou autres avec lesquelles il sera possible d'entrer en contact.

J'ai parfaitement conscience que la question des discriminations n'est pas suffisamment visible. Je pense que notre institution a la chance de regrouper l'ensemble des questions liées à l'accès aux services publics, aux discriminations, aux droits des enfants, à la déontologie des forces de sécurité et des lanceurs d'alerte, ce qui lui confère une plus grande force. S'il existe un pôle chargé des discriminations, nous constatons qu'elles impactent l'ensemble de nos activités. Il en est de même pour le droit des enfants. La fonction de Défenseur des droits a la chance de regrouper ces autorités indépendantes.

Pour autant, en effet, je constate que la question des discriminations n'est pas suffisamment visible et je pense que cette plateforme permettra de la rendre beaucoup plus visible. Je souhaite que nous soyons plus efficaces et je pense que cette plateforme peut contribuer à notre efficacité. Son lancement me réjouit et nous la démarrerons en souhaitant qu'elle fonctionne. Nous ne partirons pas perdants parce que je pense que nous pouvons réussir. Quoi qu'il en soit, les équipes sont très mobilisées et je salue à nouveau leur travail parce que nous leur demandons de créer cette plateforme en quelques semaines.

Sur la question de nos libertés et de la pérennisation des régimes d'exception, je me suis souvent exprimée devant le Parlement à ce sujet. Je répète que le débat me paraît essentiel. Je comprends parfaitement que dans la crise actuelle que nous traversons, la priorité soit accordée à la santé et cette priorité ne souffre aucun doute. Toutefois, la question de la proportionnalité se pose, notamment pour ce qui concerne les EHPAD. Le débat est absolument essentiel et il conduit à une adhésion plus ou moins importante. Si nous devons subir un nouveau confinement, des questions se poseront à nouveau, notamment pour les personnes les plus en difficulté.

Les jeunes constituent la seconde priorité mon mandat. Ils nous saisissent très peu et je suis assez frappée par ce constat. Je pense qu'ils n'imaginent pas qu'ils peuvent saisir le Défenseur des droits. Non qu'ils ne soient pas victimes de discriminations ou de difficultés d'accès aux services publics ou de difficulté avec les forces de sécurité, mais de fait, ils nous saisissent peu. Il y a donc un travail important à mener en direction de la jeunesse. Comme vous, je suis inquiète, et depuis un certain temps, sur la question de la santé mentale qui sera d'ailleurs la thématique du rapport annuel sur les enfants que nous publierons au mois de novembre, au moment de la journée mondiale des enfants. Cette journée sera consacrée à la santé mentale, aux difficultés d'accès aux soins, d'abord en lien avec la crise, mais pas uniquement. Je pense en effet que la crise a renforcé un problème déjà existant.

S'agissant de l'ensemble de la jeunesse, j'ai rencontré récemment dans le XIXe arrondissement une association, Feu Vert. J'ai été très impressionnée par ce que j'ai entendu. On ne peut pas me reprocher d'être déconnectée du terrain, mais je reste toujours très étonnée de ce que j'entends des jeunes, notamment pour ce qui concerne les contrôles d'identité. Nous avons déjà rendu plusieurs avis sur ces questions. Je pense qu'il est urgent d'expérimenter, à certains endroits, la remise d'un récépissé et à d'autres endroits, d'évaluer simplement le nombre de contrôles réalisés, les personnes qui en font l'objet, à quel moment et pour quelle raison. Je pense qu'il y a urgence et qu'il s'agit d'une des conditions qui permettront de rétablir la confiance des jeunes dans les forces de sécurité. Ce que nous constatons actuellement s'agissant des amendes liées au confinement est intéressant parce que cela signifie que nous sommes parfaitement capables d'évaluer le nombre de personnes contrôlées et le nombre d'amendes. Ce que nous réclamons depuis longtemps, à savoir que soit évalué le nombre de contrôles d'identité, ne me paraît donc pas compliqué puisqu'on a déjà réussi à le faire, malgré les objections qui nous ont été opposées. Je pense qu'il est vraiment urgent d'agir dans ce domaine. En effet, les jeunes que j'ai rencontrés se retrouvent dans des situations qui, à force de récurrence, sont absolument insupportables. Parfois, sans qu'il ait été procédé à des contrôles policiers – les forces de l'ordre connaissent l'identité des jeunes –, des amendes sont adressées aux familles. Certaines situations sont impressionnantes dans ce domaine : lorsque trois contraventions tombent exactement à la même heure pour trois motifs différents, c'est un peu exagéré et ce constat nous inquiète.

S'agissant des exilés et des migrants, vous n'êtes pas sans savoir que je me suis rendue à Calais au mois de septembre. Mes équipes et moi-même avons constaté des atteintes aux droits fondamentaux, des atteintes au droit à l'hébergement, des atteintes au droit à la protection, des atteintes à la dignité. Ce n'est pas nouveau ; cela dure depuis de nombreuses années et mon prédécesseur l'a souvent évoqué. La situation va en s'aggravant et nous sommes saisis sur cette question ainsi que sur la situation en Île-de-France. Les atteintes à la dignité d'autrui constituent une atteinte à notre propre dignité. Nous n'en sortons pas grandis et je suis effectivement très inquiète.

S'agissant des questions liées au handicap, vous avez raison de rappeler que le handicap représente le premier motif de nos saisines en matière de discrimination. Dans ce cadre, il convient de louer le travail des associations, qui se sont fortement mobilisées et qui nous ont saisis très largement. Vous évoquez également l'intersectionnalité. J'ai été frappée de constater que, dans les derniers avis que j'ai eus à rendre, étaient généralement évoqués plusieurs critères de discrimination. Il existe réellement une accumulation de discriminations. Il va de soi que la situation actuelle risque d'accroître les discriminations et les tensions dans l'emploi. Le risque est prégnant et nous nous en inquiétons. Nous avons sollicité les associations de sorte qu'elles nous informent le plus rapidement possible, dès le constat de situations concrètes. Nous avons mis en place des comités d'entente sur un certain nombre de questions telles que le handicap, le grand âge, l'origine. Ils constituent des lieux de dialogue avec le monde associatif très importants pour nous parce qu'ils nous informent très rapidement des difficultés constatées sur le terrain. C'est ainsi qu'ils nous ont alertés quant aux sujets que vous évoquez et nous leur avons demandé de nous faire parvenir des éléments relatifs à des situations concrètes.

Concernant l'individualisation de l'AAH, je tiens d'abord à vous dire que je ne soutiens aucune pétition. La question m'a été posée et j'ai répondu en effet que j'étais convaincue de la nécessité de l'individualisation de l'AAH, tout comme je le suis de la nécessité d'autres minima sociaux, parce que ce sont souvent les femmes qui se trouvent dans les situations les plus précaires, quand la dépendance existe. Je pense que cette individualisation est nécessaire afin d'éviter des discriminations et des mises en difficulté pour les femmes.

Je reviens sur les contrôles d'identité et les contrôles au faciès sur lesquels vous m'avez également interpellée. Nous avons été alertés au sujet de l'action de groupe que nous suivrons attentivement.

S'agissant du fichage, ces questions doivent être évoquées avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Il existe en effet un risque de discrimination qu'il conviendra de surveiller attentivement.

Concernant le fait de renforcer le pouvoir de nos avis, je suis tout à fait d'accord avec vous, mais j'oserais dire que, pour une partie, il n'en tient qu'à vous. En effet, il vous appartient de tenir compte de nos avis lorsque vous êtes amenés à voter des lois. C'est souvent le cas, mais pas en toutes circonstances. Nous avons dressé un bilan des observations que nous avons pu faire, de ce qui a été suivi et de ce qui n'a pas été suivi. Malgré tout, en deux ans, nous constatons que 50 % de nos recommandations ont été suivies d'effet. J'ai souvent évoqué la question de la déontologie des forces de sécurité et les trente-six situations sur lesquelles nous avons demandé des poursuites disciplinaires, requêtes qui n'ont pas été suivies d'effet. Ce constat est inquiétant. Lorsque nous sollicitons un simple rappel à la loi, nous sommes suivis dans 80 % des cas. En revanche, nous ne sommes pas entendus lorsque nous réclamons des poursuites disciplinaires. Pour autant, je ne peux plus affirmer que nous ne sommes jamais suivis puisque, sur une récente affaire, le ministre de l'intérieur a répondu à ma demande d'un conseil de discipline et d'un contrôle des services. Il n'empêche que la confiance dépendra des suites positives données, en toute transparence, à nos demandes de poursuites disciplinaires. D'ailleurs, la transparence de l'Inspection générale de la police nationale dans ce qu'elle demande, ce qui est suivi et ce qui ne l'est pas, me paraît également indispensable.

L'accès au droit aux services publics se place également au nombre de nos sujets prioritaires. Je vous rappelle que notre priorité majeure concerne les discriminations, notamment la discrimination liée à l'origine. La jeunesse constitue notre deuxième priorité. Notre troisième priorité concerne l'accès aux services publics. Nos délégués nous ont alertés quant à l'absence de réponse des services publics. En effet, nos délégués rencontrent des difficultés identiques à celles des usagers pour obtenir des réponses des services publics. Nos cinq cent vingt délégués bénévoles, répartis sur le territoire, estiment que leur action a du sens. Ils trouvent leur métier, ou plus exactement leur travail, formidable parce qu'ils parviennent à résoudre les problèmes que la population rencontre. La résolution de problèmes constitue un moteur. Cependant, lorsqu'ils n'obtiennent pas de réponse des services publics, ils ne résolvent pas les problèmes et leur mission perd de son sens. Nous souhaitons progresser dans ce cadre. Il sera intéressant de suivre le fonctionnement des maisons France Services, notamment dans les zones rurales.

Mon prédécesseur avait rendu un rapport traitant des risques de la dématérialisation. La dématérialisation représente une chance pour beaucoup de personnes dans l'accomplissement de nombreuses démarches, mais elle exclut tout de même une partie de la population. De fait, mon prédécesseur avait estimé qu'il était indispensable de maintenir une présence physique dans les services publics. Au mois de décembre, nous avons récompensé une chercheuse dont la thèse portait sur l'accès au revenu de solidarité active (RSA) en zone rurale. Cette thèse est très intéressante parce que non seulement elle rejoint la problématique de la dématérialisation, mais elle souligne également l'importance de la qualité de l'accueil. Cette chercheuse cite l'exemple d'un homme vivant à une trentaine de kilomètres du lieu où est située la caisse d'allocations familiales (CAF) auprès de laquelle il doit déposer sa demande de RSA. In fine, les démarches de cet homme ont duré quinze mois ; quinze mois au cours desquels il était sans ressources. Il s'est rendu physiquement à la CAF, malgré la complexité de sa situation puisqu'il ne possédait pas de voiture pour parcourir cette distance de 30 kilomètres. Lorsqu'il est arrivé à la CAF, on l'a renvoyé chez lui parce qu'il devait préalablement s'inscrire sur internet pour un rendez-vous. Ces démarches ont été longues puisque, s'il disposait de faibles revenus, cet homme ne possédait probablement pas un ordinateur lui permettant d'avoir accès à internet. Finalement, il est parvenu à prendre un rendez-vous et il est retourné à la CAF. Évidemment, cet homme n'avait pas les codes, c'est‑à‑dire qu'il ne savait pas très bien ce qu'il devait demander et comment le demander. Au bout d'un moment, la CAF en arrive à affirmer que cet homme n'est pas motivé pour obtenir le RSA. C'est ainsi que cet homme a mis quinze mois à obtenir le RSA. Il ne s'agit pas d'un exemple isolé ; ces situations sont fréquentes. Et donc, oui, je suis inquiète quant à l'accessibilité de nos services publics.

Je nourris également des inquiétudes quant à la question des inégalités territoriales. Vous avez évoqué les MDPH, mais le problème existe également pour les CAF. J'ai été interpellée par nos délégués en Alsace où des montants de RSA ont été suspendus pour des personnes qui avaient vendu l'une ses vêtements, l'autre sa voiture, simplement pour survivre. La CAF a considéré que ces personnes avaient fraudé puisque le fruit des ventes était équivalent à des revenus et il a été déduit du montant du RSA. La lutte contre la fraude est susceptible de mener à de tels excès. Qu'est-ce qui relève de la fraude ? Comment définit-on l'indu ? Mon parcours précédent me conduit à éprouver une grande inquiétude quant à cette question de l'accès aux services publics.

J'ai évoqué le rétablissement de la confiance dans les forces de sécurité, mais rétablir la confiance dans notre démocratie imposera un égal accès aux droits. Force est de constater qu'une partie de la population, les personnes les plus en difficulté, celles qui sont victimes de discriminations, ne bénéficient pas d'un égal accès aux droits. C'est une de nos batailles.

S'agissant de l'aide sociale à l'enfance, M. Adrien Taquet a récemment indiqué que plus aucun mineur ne devait être hébergé dans des chambres d'hôtel. Je partage votre point de vue, car il n'est pas acceptable d'accompagner ces mineurs de cette manière. Le secrétaire d'État s'est prononcé à ce sujet et je pense qu'il partage également ce point de vue.

Pour ce qui concerne les assurances de prêts pour les personnes porteuses du VIH et pour les personnes atteintes de maladies psychiatriques, je partage également votre point de vue. Au-delà d'un montant d'assurance plus élevé, nous constatons que l'accès au prêt et à l'assurance sont souvent refusés. Il s'agit d'un domaine dans lequel nous devons progresser.

Plus largement, il importe que nous progressions sur l'information relative aux discriminations. Ainsi que je l'ai indiqué dans mon introduction, les banques, les employeurs, etc., n'ont pas toujours conscience de leurs obligations. Nous constatons également des discriminations de la part des agences de location. Il est indispensable de diffuser de l'information et de façon régulière et récurrente parce que les équipes changent, les équipes tournent, et les mauvaises habitudes reviennent. Le travail de sensibilisation et d'information est important.

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