Intervention de Frédéric Advielle

Réunion du mercredi 27 janvier 2021 à 15h00
Commission des affaires sociales

Frédéric Advielle, conseiller maître à la Cour des comptes, président de la chambre régionale des comptes de Hauts-de-France :

Ce rapport est un lourd travail, engagé avec trois chambres de la Cour et douze chambres régionales des comptes. De nombreux exemples ont été cités. Pour ce contrôle, soixante‑quinze structures ont été examinées, structures dépendant des départements, des opérateurs ou des institutions judiciaires. Nous avons essayé de concentrer nos travaux sur trente territoires. C'est vous dire l'importance des observations qui ont été conduites.

Le contrôle des opérateurs associatifs constitue une innovation majeure par rapport au précédent contrôle puisque nous n'étions jusqu'à présent pas compétents.

De nombreuses auditions se sont succédé, notamment sur l'impact de la crise sanitaire. Nous avons auditionné une bonne dizaine de personnes, outre les contrôles et les déplacements réalisés.

Quels étaient les objectifs assignés à ce contrôle et les objectifs que nous nous étions fixés ? Il s'agissait d'actualiser le rapport thématique de 2009, d'apprécier l'impact des deux lois récentes de 2007 et 2016 sur la protection de l'enfance et de prendre en compte l'effet des contraintes financières qui pèsent sur les départements. L'impact des dépenses sociales contraint en effet beaucoup les politiques des départements et des inquiétudes commençaient à apparaître quant à la capacité des départements de continuer à financer un certain nombre de dépenses sociales.

Nous souhaitions aussi évaluer les modalités de prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA), qui faisaient la une de la presse à l'époque, et contrôler les opérateurs associatifs, une nouvelle compétence des juridictions financières issue de la loi sur la modernisation du système de santé.

La politique de protection de l'enfance est un enjeu sociétal majeur car le nombre d'enfants bénéficiant d'une mesure de protection progresse très rapidement. Depuis 2009, nous enregistrons une progression de 12,1 % du nombre d'enfants ayant bénéficié d'une mesure. Cette progression est en réalité constante puisque, depuis 1996, le nombre de mesures a progressé de 35 % alors que la population de moins de 21 ans n'a augmenté que de 3 % durant la même période.

Par ailleurs, le juge des enfants reste toujours à l'origine d'environ 75 % des décisions, en dépit de la volonté du législateur. Signalons également la grande hétérogénéité de la politique de protection l'enfance selon les territoires puisque le taux de mesures dans la population des moins de 21 ans varie de 1 % à 4,1 % selon les départements. Ces éléments montrent bien l'intérêt d'une enquête de la Cour.

Le coût de cette politique ne cesse d'augmenter : il s'élevait à 8,4 milliards d'euros selon les derniers chiffres disponibles, datant de 2018, financés à 95 % par les départements. Les mesures de placement, que ce soit en accueil en établissement ou en accueil en famille, représentent environ 80 % des coûts alors qu'elles ne constituent que 53 % des mesures. Il faut avoir en tête que l'accueil en établissement coûte beaucoup plus cher que l'accueil en famille : 41 700 euros pour un enfant accueilli en établissement, 28 400 euros pour un enfant accueilli en famille. Les mesures de prévention sont les parents pauvres de cette politique. Les dépenses d'allocations restent marginales.

L'organisation de cette politique est extrêmement complexe, difficilement compréhensible pour le commun des mortels. La loi de 2007 a beaucoup amélioré le recueil d'informations, notamment à travers les cellules de recueil d'informations préoccupantes. Ces informations proviennent essentiellement des professionnels de l'Éducation nationale, de la médecine de ville ou hospitalière, des services de police et de gendarmerie. La crise sanitaire a eu des impacts puisque l'Éducation nationale, habituellement le principal pourvoyeur d'informations, avait cessé toute remontée d'informations du terrain à un moment tout de même un peu critique.

Dans cette organisation sont compétents à la fois le président du conseil départemental et la justice. Le président du conseil départemental peut décider de mesures d'aide éducative à domicile avec l'accord des parents et des enfants, ce qui permet à l'enfant de demeurer dans son milieu de vie. Le juge peut prendre des mesures coercitives à travers l'assistance éducative en milieu ouvert. Malheureusement, ces mesures de contrainte restent aujourd'hui largement majoritaires puisqu'elles représentent environ 70 % des mesures, avec toutefois des écarts extrêmement importants selon les départements. Les mesures à l'initiative du président du conseil départemental représentent en moyenne environ 30 % des mesures mais leur nombre varie en réalité de 10 % à 60 % selon les départements observés.

L'organisation est donc très complexe, fait intervenir de multiples opérateurs et l'une des questions posées dans le rapport est de savoir comment mieux coordonner ces opérateurs.

Le rapport a été structuré autour de trois idées principales : expliquer que les ambitions du législateur tardent vraiment à se concrétiser et que le pilotage de cette politique, quel que soit l'échelon, se révèle aujourd'hui particulièrement défaillant ; la réactivité des acteurs locaux reste globalement insuffisante pour garantir la qualité de la prise en charge de ces enfants ; un consensus se dégage pour dire que l'intérêt de l'enfant exige une prise en charge précoce et un accompagnement dans la durée ce qui n'est malheureusement pas la réalité de cette politique actuellement.

La conclusion et le titre de ce rapport sont donc que la temporalité dans laquelle cette politique est mise en œuvre doit être profondément modifiée dans l'intérêt des enfants qui sont pris en charge.

Le premier chapitre du rapport est consacré au pilotage, qui est défaillant. L'impulsion attendue à l'échelon national reste freinée par la confusion des missions entre de multiples organismes. Un schéma rappelle dans le rapport la dizaine d'organismes qui sont censés mettre en œuvre cette politique. Les ambitions du législateur ne sont en conséquence pas traduites sur le terrain. Les lois de 2007 et 2016 restent encore peu ou mal appliquées.

La coordination entre le département, chef de file de cette politique qu'il finance à 95 %, et les services judiciaires est souvent informelle. Elle dépend plus des personnes que des procédures mises en œuvre. Les acteurs judiciaires restent très majoritairement à l'origine des mesures décidées, alors qu'ils ne disposent en général pas des informations utiles à leur décision.

Enfin, la coordination au sein des services déconcentrés de l'État est aujourd'hui inexistante de telle sorte que la complémentarité attendue entre les politiques de santé ou d'éducation n'est pas assurée.

Le rapport demande de clarifier et de simplifier le pilotage de cette politique et fait trois recommandations.

Première recommandation : confier la mission exclusive de production de données statistiques à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), qui est aujourd'hui l'opérateur le plus à même de mener ces études. Il n'existe pas de bonne politique sans connaître les chiffres, si nous ne savons pas à quel public nous avons affaire ni sur quelle durée. Il faut surtout essayer de développer des évaluations par le biais d'études qualitatives ou longitudinales sur le devenir des enfants protégés. Ces études sont actuellement quasiment inexistantes.

Deuxième recommandation : clarifier et simplifier le pilotage national de la protection de l'enfance en confortant par un mandat explicite le rôle de coordonnateur interministériel. Il n'existe pas de bonne politique en France sans un coordonnateur interministériel. Tous les arbitrages finissent toujours à Matignon et il faut que quelqu'un porte cette politique. Nous recommandons que ce rôle soit confié à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) en simplifiant les différents comités et en gardant l'idée d'un comité qui associe tous les partenaires, quel que soit son nom.

Troisième recommandation : nous recommandons surtout de renforcer la gouvernance territoriale de la protection de l'enfance en désignant le préfet de département comme le coordonnateur et l'interlocuteur unique du président de conseil départemental. Cela lui permettrait de coordonner sur son territoire l'ensemble des services de l'État en matière de protection de l'enfance, en lien avec les autorités judiciaires.

L'objectif du deuxième chapitre est de montrer que la qualité de la prise en charge n'est pas garantie. La coordination entre les départements et les opérateurs, souvent privés puisque c'est aujourd'hui le cas de 85 % des opérateurs, est souvent très insuffisante. Il n'existe pas de référentiel partagé que ce soit sur les financements, l'encadrement des mesures ou la définition des différentes prises en charge, ce qui ralentit l'évolution du dispositif d'accompagnement. Les opérateurs privés sont souvent fragilisés par des questions de gouvernance. La capacité des départements à contrôler et évaluer ces opérateurs reste globalement insuffisante d'après les observations que nous avons faites. En conclusion, l'objectif est de replacer les besoins de l'enfant au cœur de ces modalités de prise en charge. Cela nous paraît essentiel et nous faisons trois recommandations.

Première recommandation : sécuriser la qualité de la prise en charge des mineurs protégés en alignant la durée des autorisations de place sur les échéances d'évaluation externes. Il faut faire une évaluation et, en même temps, donner une autorisation, comme cela paraît logique.

Deuxième recommandation : renforcer le dispositif de contrôle des établissements et des services de protection de l'enfance. Aujourd'hui, très peu de contrôles sont effectués par les départements sur les opérateurs.

Troisième recommandation : dénéraliser le recours à la contractualisation pluriannuelle entre départements et opérateurs. Nous reviendrons sur les problèmes de tarification annuelle qui génèrent beaucoup de difficultés pour ces opérateurs ; ils n'ont pas de vision pluriannuelle ce qui rend difficile la mise en place d'une politique.

Enfin, dans le dernier chapitre, nous affirmons que le temps de la protection de l'enfance est aujourd'hui, de plus en plus, en décalage avec le temps des enfants. La prise de décision en matière de protection de l'enfance se caractérise globalement par un empilement de délais qui se cumulent ce qui retarde d'autant la prise en charge de ces enfants.

La réflexion sur le long terme est peu présente ; les mesures sont toujours prononcées à titre provisoire, sans vision et avec l'ambition de préserver la possibilité d'un retour en famille alors même que, bien souvent, les défaillances des parents sont durables, identifiées. La relation avec les parents doit être clarifiée dans cette politique.

Surtout, l'avenir des enfants protégés doit être pris en charge et beaucoup mieux préparé que ce n'est le cas aujourd'hui. Nous avons paradoxalement une exigence d'autonomie beaucoup plus forte chez ce public. Elle est beaucoup plus précoce à l'égard des jeunes protégés qu'à l'égard de la population des jeunes en général. L'idée sous-jacente à cette partie du rapport est de repenser le parcours de l'enfant.

Nous faisons trois recommandations principales et une concernant les mineurs non accompagnés.

Première recommandation : publier les délais de traitement des informations préoccupantes et d'exécution des décisions de justice. Nous savons que la publication des délais incite les opérateurs à respecter ces délais tandis que, lorsqu'ils ne sont pas publiés, ils ne sont pas respectés.

Deuxième recommandation : renforcer le contenu du projet de l'enfant en y intégrant l'évaluation des compétences parentales, un projet alternatif de moyen à long terme et l'examen du recours à la délégation de l'autorité parentale. Un chapitre est consacré à ce sujet dans le rapport.

Troisième recommandation : mieux préparer l'avenir des jeunes protégés. L'idée est d'organiser systématiquement, de manière obligatoire, un entretien dès l'âge de 15 ans pour favoriser les parcours de formation et d'insertion. Trop de jeunes sortent aujourd'hui sans aucun diplôme de ce parcours. Il faut accompagner si besoin leur projet au-delà des 21 ans et, surtout, assurer un suivi des jeunes qui sortent de ce dispositif, suivi qui est aujourd'hui quasiment inexistant.

Enfin, il faut profiter de cette période où les enfants sont dans un environnement propice pour opérer la consolidation de l'état civil des mineurs non accompagnés, sans attendre la demande du titre de séjour. Les délais sont très longs et il vaut mieux préparer cette consolidation de l'état civil plus en amont.

Voici donc le résumé de ce rapport dont le seul objectif est d'améliorer la prise en charge et le pilotage de cette politique, au bénéfice d'un public particulièrement fragile et défavorisé.

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