Intervention de Stanislas Niox-Chateau

Réunion du mercredi 3 février 2021 à 17h00
Commission des affaires sociales

Stanislas Niox-Chateau, président de Doctolib :

. En ce qui concerne la liste d'attente, 8 millions de Français font partie des patients éligibles, et 2,5 millions de rendez‑vous ont été pris, pour environ 1,5 million de personnes. La problématique est celle du nombre de doses. Nous avons plus de 1 400 centres de vaccination en France. Ce sont de petits centres de proximité, dans des villes et hôpitaux, qui fonctionnent bien grâce à l'exceptionnelle mobilisation des soignants. Les services de prise de rendez-vous, ceux de nos confrères comme les nôtres, marchent bien. Le problème est le nombre de doses. Même si nous ouvrions une liste d'attente aujourd'hui, un ou deux millions de Français s'inscriraient, pour quelques milliers de disponibilités par jour. Le problème serait le même. Cela n'arrangerait rien, il serait juste plus compliqué de prendre rendez-vous. Il y aura un système lié à la plateforme téléphonique pour permettre aux personnes qui vivent dans des zones où l'accès au numérique est compliqué et limité de bénéficier d'une priorité, mais la liste d'attente n'est pas la solution. La solution est d'avoir des doses, et d'ajuster les disponibilités et ouvertures en fonction de ces dernières.

Pour ce qui est des questions sur la concurrence, chaque centre, chaque ville, chaque ARS a choisi la solution qui lui semblait préférable, en fonction de l'expertise du service, de la capacité de déploiement, des fonctionnalités. Il y a donc eu une mise en concurrence dans chaque centre, chaque ville, chaque département, chaque région. Comme cela a été dit, toutes les données sur les parts de marché sont disponibles sur data.gouv.fr. Vous pouvez aller les consulter directement pour chaque territoire. La rémunération est de quelques centaines d'euros par mois et par centre. Tout dépend de la taille du centre. Les grands CHU comptent dix, douze, voire quatorze lignes de vaccination, contre seulement quelques-unes dans d'autres, mais en tout état de cause, il s'agit de quelques centaines d'euros par centre et par mois. C'est l'État qui les prend en charge, et non les centres ni les collectivités territoriales. C'est un choix du Gouvernement, qui a décidé de passer par l'UGAP, comme cela a été indiqué, c'est-à-dire une plateforme d'achats hospitalière.

Pour ce qui est du nombre de doses et de rendez-vous, les centres sont liés à des hôpitaux et collectivités territoriales. Ils disposent d'un logiciel KelDoc, Maiia ou Doctolib, sur lequel ils configurent des plages d'ouverture et gèrent le centre. Ils récupèrent les doses de façon variable selon les ARS et de la visibilité de l'État. Le ministère serait bien plus en mesure de répondre que nous, mais vous savez que la visibilité est parfois faible sur le nombre réel de doses. Les rendez-vous annulés ne le sont donc pas par les plateformes, mais par les centres parce qu'ils n'ont pas assez de doses.

Le nombre de rendez-vous annulés est très variable selon les régions. Il peut aller jusqu'à 5 000 à 7 000 pour les régions les plus touchées, mais est nul dans certains départements.

Améliorer l'information de la population constitue évidemment un aspect fondamental. Pour cela, il faut communiquer à la fois sur les populations éligibles, les doses et le nombre de rendez-vous disponibles, et les disponibilités. Aujourd'hui, il n'y a plus de disponibilité. Il y a 20 000 à 30 000 rendez-vous pris chaque jour, mais c'est marginal par rapport aux 7 à 8 millions de Français qui pourraient accéder à la vaccination parce qu'ils sont éligibles. Nous espérons qu'avec les arrivées de vaccins AstraZeneca et Moderna ainsi que les nouveaux approvisionnements Pfizer, nous pourrons ouvrir des disponibilités dans les semaines à venir. Chaque centre, chaque département, chaque région ouvrira des disponibilités. Elles sont gérées par l'ARS et les collectivités territoriales. Nous sommes vraiment un prestataire de services dans ce domaine. Nous faisons au mieux, nos équipes sont mobilisées jour et nuit, mais nous sommes en bout de chaîne sur ces sujets.

En réponse aux questions sur l'ouverture de la vaccination aux libéraux, je n'ai pas d'information sur la vaccination par les pharmaciens ou les libéraux pour l'instant. Je ne peux pas vous répondre. Nous serons en mesure d'équiper les pharmacies ou les généralistes libéraux s'ils en ont besoin avec le même dispositif qui est aujourd'hui à disposition des centres de vaccination. En ce qui concerne la capacité d'ouverture des créneaux fin février, comme je l'ai indiqué, elle sera sans doute assez faible au vu des annonces en cours. Le Gouvernement sera plus à même de vous répondre sur le volume de disponibilités.

Les territoires ruraux représentent évidemment un sujet prioritaire. Comme l'ont dit mes confrères, la téléconsultation constitue une réponse, et le numérique également. Aujourd'hui, les professionnels de santé consacrent 10 % à 15 % de leur temps à des tâches administratives. Le simple fait de diviser ce travail par deux ou trois peut créer 5 % à 10 % d'offre de soins en plus. Les professionnels de santé sont très seuls, parce qu'ils n'ont que peu d'outils de coopération entre eux, entre la ville et l'hôpital, entre le médico-social et les libéraux. Les outils de coopération peuvent permettre de régler une partie des déserts médicaux. En outre, la lisibilité de l'accès aux soins est faible pour les citoyens. Ils ne savent pas quelle offre est disponible près de chez eux, comment prendre un rendez-vous, et pourquoi ils doivent aller ici ou là. Je suis convaincu qu'au contraire d'une déshumanisation, le numérique créera du temps médical, du confort de travail pour les soignants, et surtout de l'accessibilité pour les citoyens. Nous l'avons bien vu, puisque nous étions cinq quand nous avons créé Doctolib en 2013, et que nous comptons à ce jour 45 millions de Français qui ont un compte chez nous. Il y avait un besoin, tellement il est difficile d'accéder à la santé et de s'informer. Nous avons répondu à ce besoin.

Nous sommes très heureux d'être à Niort, où nous avons ouvert un bureau il y a un an. Nous avons des équipes d'ingénieurs à Niort, et nous avons également ouvert un campus d'ingénieurs à Nantes. Nous avons prévu de recruter 650 personnes en 2021, pour continuer à innover et fournir des solutions pour les professionnels de santé, les établissements de santé, mais aussi les patients.

En ce qui concerne les points positifs et négatifs, et pour comparer à l'Allemagne, à l'Italie ou aux autres pays européens, nous avons la chance de disposer de centres de proximité, gérés par des collectivités territoriales, des médecins libéraux et des établissements de santé. Ces centres fonctionnent bien. Nous avons un système de prise de rendez-vous avec à la fois une ligne téléphonique nationale, des lignes départementales et un dispositif en ligne. Il fonctionne bien également. Vous devez avoir en tête que 80 % des rendez-vous pris sur les trois premiers jours l'ont été sur internet, alors que nous parlons de populations de plus de 75 ans. L'ensemble marche donc bien.

L'enjeu est celui du nombre de doses. Si nous avions suffisamment de doses, avec l'organisation actuelle, je pense que nous pourrions vacciner 4 à 5 millions de patients par mois. Tous les centres vous le diront. J'en ai visité et contacté des centaines : ils ont la capacité de faire trois à quatre fois plus qu'aujourd'hui. Le sujet, ce sont les doses. Chez Maiia, KelDoc et Doctolib, et chez les soignants, nous avons la capacité d'organiser cette vaccination à grande échelle, et nous l'avons donc fait ces trois dernières semaines. Nous sommes tous prêts pour que cela dure ; il faut simplement que nous disposions du bon nombre de doses.

À titre de comparaison, le land de Berlin a fonctionné par codes. Les citoyens disposent d'un code, et ne peuvent accéder à la vaccination que par ce biais. Je ne peux pas vous dire combien d'injections ont été réalisées dans ce cadre, mais le chiffre est de plusieurs centaines de milliers. Il n'y a pas d'engorgements en raison de ce système de codes. Il fonctionne bien quand le nombre de doses est limité, mais à échelle comparable le système français me semble meilleur parce que plus simple pour accéder aux injections. C'est d'autant plus vrai avec les vaccinations des personnels de santé, et demain des personnes de 65 ans.

Je remercie M. Marc Delatte pour ses propos. Pour répondre à ses questions sur l'interopérabilité, nous militons évidemment depuis des années pour qu'elle soit obligatoire entre tous les éditeurs. Les éditeurs bloquent les données des professionnels et établissements de santé, et nous espérons que tous ces blocages seront levés pour que l'innovation se développe. Pour une start-up qui commence à réussir comme la nôtre, il y en a cent qui disparaissent parce qu'elles sont bloquées dans leur innovation faute d'interopérabilité. Le numérique en santé est un enjeu clef, investir dans l'humain et dans les outils des professionnels et établissements de santé doit permettre d'améliorer notre système de santé, avec deux objectifs. Le premier est d'améliorer le confort des personnels de santé. Pas uniquement des soignants, mais de tous les personnels de santé : ils doivent disposer d'outils modernes, simples, rapides, fiables, qui leur font gagner du temps et du confort de travail, et qui les aident dans leurs pratiques médicales au quotidien. Deuxièmement, pour le service au patient, il n'est pas normal qu'un patient doive attendre six mois pour accéder à du soin, ou se rendre aux urgences alors que son médecin généraliste est proche de chez lui. Pour l'accès aux soins, nous pensons que le numérique est l'un des moyens de répondre aux difficultés rencontrées.

En ce qui concerne la répartition entre les services, je pense que nous avons déjà répondu. Pour ce qui est des utilisateurs, nous recevons de très bons retours, à la fois des centres, des collectivités et des patients, mais comme il y a ce problème de doses et de stress autour de l'accès à la vaccination, cela génère parfois un problème de communication. Comme l'a très bien souligné l'un de mes confrères, il faut communiquer sur le fait que tous les patients seront vaccinés. Le Président de la République et le ministre de la santé l'ont dit, ce n'est qu'une question de temps.

Pour ce qui est de la phase décentralisée, je n'ai pas de réponse au sujet de la vaccination dans les pharmacies ou chez les médecins généralistes, mais nous sommes évidemment prêts. En réalité, avec un faible nombre de doses, je ne suis pas convaincu que les répartir sur 20 000 pharmacies et 50 000 médecins généralistes soit la meilleure option à très court terme, mais en tout état de cause c'est le choix du Gouvernement et je n'ai aucune information sur la question.

La téléconsultation s'est effectivement beaucoup développée avec la crise sanitaire. Elle a permis de maintenir la continuité des soins. En mars et avril, les généralistes ont réalisé 50 % d'activité en moins et les spécialistes 71 % en moins. Il y a eu un autre drame sanitaire à cause du confinement de mars-avril. La téléconsultation a permis de réaliser la moitié des actes pendant cette période. Par la suite, elle s'est maintenue à des niveaux très importants, avec autour d'un million de téléconsultations par mois en France. C'est devenu un outil du quotidien pour les professionnels, les établissements et les patients, ce qui est positif. Cela permet en effet à des médecins généralistes de suivre leurs patients à domicile de façon plus fréquente, à des infirmières de travailler en coopération avec des médecins généralistes, à des médecins de travailler de chez eux. Dans un monde où nous poussons pour une meilleure qualité de vie au travail, nous pensons que la téléconsultation est un bon moyen d'obtenir de la qualité de vie au travail pour les professionnels de santé.

Enfin, pour ce qui est de l'appel d'offres public, comme mes confrères l'ont indiqué il y a un contrat lié à l'UGAP, que nous avons remporté tous les trois. Nous sommes référencés comme un service de prise de rendez-vous en ligne pour les collectivités et les hôpitaux. L'État a contractualisé avec nous, avec un contrat de sous-traitance et une expression de besoins. Il a choisi Doctolib, KelDoc et Maiia pour l'aider dans la gestion de la prise de rendez-vous. Je vous ai donné le prix de ce contrat, soit quelques centaines d'euros par centre. Je pense que le ministère pourra vous communiquer ce contrat.

Dans le département du Nord, en effet, tous les opérateurs peuvent être présents. Comme je l'ai dit, chaque centre a eu la liberté de choix de son système, a donc étudié les fonctionnalités, la capacité de déploiement et de suivi, le degré d'innovation, la proximité avec les solutions utilisées par les citoyens dans les différents territoires, et a fait son choix.

Vous avez posé des questions sur le pilotage par les ARS ou les préfectures. Nous échangeons quotidiennement avec les ARS, les préfets, les départements, et les centres, mais chaque interlocuteur décide de son organisation. Nous sommes un prestataire de services, et nous faisons de notre mieux. Nous sommes à la disposition des ARS pour organiser au mieux la campagne de vaccination.

Pour ce qui est de la demande des citoyens face à la pénurie, il y a très clairement un enjeu de communication. Ni KelDoc, ni Maiia, ni Doctolib ne peut y répondre. Nous ne sommes que des petites et moyennes entreprises et entreprises de taille intermédiaire françaises qui ont fourni des logiciels de prise et de gestion des rendez-vous. La communication doit intervenir au niveau départemental, régional ou national, pour expliquer pourquoi des rendez-vous sont annulés, et pourquoi il n'y a pas 8 millions de rendez-vous disponibles. Mais si la question est de savoir si l'organisation actuelle permettrait de prendre 7 à 8 millions de rendez-vous, la réponse est oui.

Pour la phase décentralisée, nous sommes à la disposition de l'État, sur une phase comme sur l'autre, pour que tout marche au mieux. C'est évidemment notre priorité. Nous avons positionné en ce qui nous concerne trois cents personnes pour épauler les collectivités territoriales pour l'organisation de cette campagne de vaccination, avec sans doute sensiblement plus de coûts que de résultats, mais nous sommes des citoyens français, et nous avons envie que cela marche. C'est pour cela que nous sommes tous mobilisés, KelDoc, Maiia et nous-mêmes.

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