Intervention de élisabeth Borne

Réunion du mardi 9 février 2021 à 17h15
Commission des affaires sociales

élisabeth Borne, ministre :

L'obligation de formation des jeunes âgés de 16 à 18 ans est élaborée avec l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes, à laquelle je veux rendre hommage. Intitulé « La Promo 16.18 », ce dispositif vise à accueillir 35 000 jeunes décrocheurs âgés de 16 à 18 ans en leur permettant, d'abord, de reprendre confiance en eux, de découvrir des métiers et de se remobiliser pour, le cas échéant, reprendre des études et pour se préparer à un emploi dans un nouveau secteur. J'ai rencontré à deux reprises des jeunes engagés dans ce processus. Il est frappant de voir le chemin encore à parcourir pour que nos jeunes soient bien informés sur les différents métiers. Par exemple, les métiers de l'industrie ou de l'artisanat sont mal connus, alors qu'ils peuvent tout à fait attirer des jeunes et offrir de très belles perspectives. Il est tout aussi frappant de constater à quel point il est important de permettre à ces jeunes qui rencontrent des difficultés de se retrouver entre eux. Ils peuvent ainsi reprendre confiance en eux-mêmes et donc rebondir. Je suivrai très attentivement l'application de ce programme, qui constitue l'une des facettes de l'obligation de formation que vous avez votée. Voilà qui me semble très prometteur, pour remettre en selle des jeunes en situation d'échec.

J'en viens aux chiffres du chômage. Je répondrai dans la foulée aux questions sur la réforme de l'assurance chômage. Les dispositifs d'urgence et l'activité partielle ont jusqu'à présent largement amorti et atténué l'impact de la crise sur l'emploi. Nous constatons, entre décembre 2019 et décembre 2020, une augmentation de 290 000 chômeurs de catégorie A. Certes, ce sont toujours 290 000 chômeurs de trop, mais l'augmentation s'élève à environ 8 %. En avril, nous avions atteint le chiffre de 1 100 000 demandeurs de catégorie A supplémentaires, soit une augmentation de 30 %. Par ailleurs, entre septembre 2008 et septembre 2009, l'augmentation du nombre de demandeurs d'emploi de catégorie A s'élevait à 25 %. Évidemment, la crise est encore présente : nous devons être extrêmement vigilants et continuer à déployer des dispositifs pour protéger les emplois, comme l'activité partielle et l'activité partielle de longue durée, et accompagner les salariés dans leur reconversion, et les jeunes prioritairement. Cependant, nous pouvons nous féliciter d'avoir pu atténuer l'impact de la crise sanitaire sur l'emploi.

Dans ce contexte, je considère que les deux objectifs de la réforme de l'assurance chômage restent pertinents. Le premier objectif est de lutter contre la précarité en dissuadant les entreprises de recourir de façon excessive à des contrats courts. Le système du bonus-malus doit répondre à cet objectif. Personne ne peut se satisfaire de la flambée de contrats courts à laquelle nous assistons depuis dix ans. Les personnes qui enchaînent en temps normal des contrats courts sont particulièrement pénalisées par la crise. Les employés en CDI ou en CDD longs ont pu bénéficier de l'activité partielle, contrairement à tous ceux qui, en temps normal, sont présents de manière intermittente dans les entreprises, en intérim ou contrats courts. La mission qui sera confiée au député Mbaye et au sénateur Iacovelli consiste à trouver, avec chaque secteur utilisant très fortement des contrats courts, d'autres modes d'organisation, pour répondre aux exigences de flexibilité de ces secteurs tout en assurant plus de sécurité aux salariés. Dans l'immédiat, les salariés ont bénéficié de l'activité partielle.

Les indépendants, pour leur part, peuvent bénéficier du fonds de solidarité. L'activité partielle, ou chômage partiel, est une extension du chômage ; elle s'adresse donc à des personnes éligibles à l'assurance chômage. Nous pourrions ouvrir un débat pour savoir si les indépendants doivent y avoir accès, mais voilà qui constitue un autre sujet. Du reste, au cours de ce quinquennat, nous avons ouvert la possibilité aux indépendants inscrits à Pôle emploi qui souhaitent se reconvertir et s'orienter vers un statut de salarié de bénéficier, dans des conditions encadrées, de l'assurance chômage. Tous les échanges que j'ai eus avec les organisations qui les représentent montrent qu'ils ne souhaitent pas avoir un statut aligné sur celui des salariés. Être entrepreneur est un choix, être salarié un autre choix. Je ne dis pas que, pour les indépendants, toutes les situations ont été prises en compte, même si vous savez qu'Alain Griset les examine très attentivement. Toutefois, c'est bien le fonds de solidarité qu'ils doivent solliciter. Le premier objet de la réforme de l'assurance chômage est bien de lutter contre le recours excessif aux contrats courts et la précarité. La crise n'invalide pas cet objectif.

La crise n'invalide pas non plus le second objectif de cette réforme, qui est d'assurer plus d'équité entre les demandeurs d'emploi. Il est difficilement compréhensible que le montant de l'allocation chômage d'un salarié qui travaille à mi-temps, tous les jours, s'élève à la moitié de celle d'un salarié qui travaille à temps plein un jour sur deux. Tous deux ont travaillé le même nombre d'heures. Cette réforme du salaire journalier de référence (SJR) reste pertinente. Nous poursuivons les discussions avec les partenaires sociaux dans la perspective d'une réunion multilatérale d'ici à la fin du mois, afin d'atténuer les effets du calcul du SJR issu de la réforme de 2019. Le calcul actuel se fait en divisant le revenu perçu au cours d'une période par le nombre de jours travaillés. La réforme de ce calcul prévoyait de diviser le revenu par l'ensemble des jours travaillés et non travaillés. Cela atténue les effets entre les deux situations très différentes que j'évoquais. Cependant, cela peut aussi conduire à des allocations très basses. Pour corriger ce point, à la suite de nos échanges avec les partenaires sociaux, nous avons retenu comme principe de plafonner le nombre de jours non travaillés pris en compte dans le calcul du SJR. Nous devrions pouvoir trouver le bon équilibre entre un objectif d'équité et des allocations chômage qui ne soient pas trop basses.

Cela étant posé, il ne m'a pas échappé que la conjoncture et le marché du travail actuels ne sont pas ceux de 2019. J'ai proposé aux partenaires sociaux – point qui semble retenir leur attention – que les paramètres de calcul de l'assurance chômage, comme les périodes d'éligibilité ou de dégressivité, tiennent compte de la situation du marché de l'emploi. Nous échangeons sur cette base ; nous devrions pouvoir nous réunir d'ici la fin du mois pour finaliser une proposition sur cette réforme de l'assurance chômage.

J'en reviens aux salariés qui, en temps normal, enchaînaient des contrats saisonniers ou des contrats courts et des périodes de chômage. Dans le contexte très particulier que nous connaissons, beaucoup d'entre eux n'ont pas eu une saison suffisamment longue ou n'ont obtenu aucun contrat court, comme ils en avaient l'habitude. Il existe deux réponses à cela. La meilleure façon de protéger les saisonniers dans les stations de montagne est de les embaucher et de les placer en activité partielle. Certains pensent que j'ai perdu le nord ; je vous confirme que non ! J'invite les employeurs des stations de montagne à embaucher les saisonniers, comme cela était prévu dans leur contrat de travail, ou ceux qui avaient reçu une promesse d'embauche, pour pouvoir les placer ensuite en activité partielle prise en charge à 100 %. En effet, il existe, pour les contrats saisonniers, un principe de renouvellement d'année en année. Cela peut paraître baroque, mais il s'agit de la meilleure manière de protéger ces salariés pour lesquels, par exemple, la saison d'hiver à la montagne est fondamentale. Ainsi, les employeurs évitent que leurs salariés ne se retrouvent en fin de droits.

En 2019, 60 000 saisonniers ont été embauchés pour la période de Noël ; cette année, 30 000 d'entre eux ont pu être embauchés. Notre appel a donc été entendu par les employeurs, certes de façon contrastée selon les secteurs. Je voudrais rendre hommage au secteur des remontées mécaniques, qui a embauché 95 % de ses saisonniers. J'ai eu l'occasion d'appeler à nouveau les employeurs à embaucher tous ceux qui avaient reçu des promesses d'embauche pour les vacances de février puisque, habituellement, 120 000 saisonniers sont alors recrutés.

Pour les salariés et les demandeurs d'emploi qui enchaînaient jusqu'à présent des contrats courts, nous avons créé une aide exceptionnelle. Elle garantit un revenu de 900 euros sur les mois de novembre, décembre, janvier et février à tous ceux qui ont travaillé plus de 60 % du temps en 2019, mais qui n'ont pas pu renouveler leurs droits au cours de l'année 2020. Nous pourrions débattre pour savoir si cette somme est suffisante ; certains l'affirment. L'allocation médiane s'élève à 1 000 euros pour des salariés ayant travaillé et cotisé de nombreuses années. C'est une question d'équité. La mise en place de cet accompagnement a pris du temps, la mesure ayant été annoncée fin novembre et les versements des deux premiers mois ayant eu lieu vendredi dernier pour de très nombreux demandeurs d'emploi. Malheureusement, pour un certain nombre d'entre eux, Pôle emploi ne disposait pas de l'ensemble des éléments nécessaires dans son système d'information. Ils sont en train d'être recontactés afin de vérifier s'ils peuvent être éligibles à cette aide.

Les SIAE sont très importantes. Nous avons absolument besoin de structures adaptées pour les personnes qui ne pourraient pas travailler dans des entreprises classiques. Des améliorations ont été apportées au fonctionnement des contrats de travail de l'IAE, et je suis ouverte à toute proposition en faveur de ce secteur. Nous avons prévu de réaliser d'importants investissements dans ce domaine : notre ambition est d'ouvrir 60 000 places supplémentaires en 2021, ce qui représente une marche considérable. Par ailleurs, au travers du fonds départemental d'insertion, nous soutenons les investissements et le développement des structures de l'IAE. Nous menons aussi une réflexion sur les achats inclusifs ; en effet, pour créer des postes dans ces structures, il faut qu'elles puissent offrir du travail. Nous devons nous mobiliser pour permettre à des demandeurs d'emploi et des personnes éloignées de l'emploi de retrouver une activité.

J'en viens au RUA. Deux questions se posent. Premièrement, nous devons simplifier et harmoniser les règles. Le Premier ministre a demandé que les travaux sur le RUA se poursuivent. Deuxièmement, le volet insertion – cela ne vous surprendra pas – me tient particulièrement à cœur. Ouvrir les droits est une chose, une autre est de permettre aux personnes qui peuvent bénéficier par exemple du RSA de revenir dans l'emploi. Tel est le projet du service public de l'insertion et de l'emploi que nous portons avec Brigitte Klinkert. Ce volet me semble fondamental. Dans la même logique, je soutiens l'extension de la garantie jeunes plutôt que le principe d'un RSA jeunes. Nous devons d'abord à nos jeunes un accompagnement vers l'emploi, par la formation, par l'immersion en entreprise, par un apprentissage sur des savoirs de base ou par un apprentissage au savoir-être. Nous leur devons d'abord cet accompagnement, et, par ailleurs, s'ils en ont besoin, un soutien financier. Ce point est fondamental. Ainsi, nous permettons aux jeunes de gagner leur autonomie. Je défends cette politique avec une grande détermination.

Concernant l'apprentissage, je vous confirme que la part des diplômés de niveau bac et infra‑bac a baissé parmi les contrats d'apprentissage. Cela n'est pas lié à une baisse du nombre de contrats d'apprentissage à ces niveaux, heureusement, mais au fait que la dynamique a été plus forte d'abord pour les diplômés de niveau bac+2, qui représentent un tiers de l'augmentation nette des contrats, puis pour ceux de niveau bac+3 et plus. Voilà qui mérite notre attention. Il va nous falloir accompagner une rentrée de l'apprentissage en 2021 tout aussi positive que celle de 2020, et voir comment encourager encore plus les recrutements en contrats d'apprentissage pour les niveaux bac et infra‑bac, notamment dans les métiers pour lesquels l'apprentissage est la seule voie d'accès. Je m'entretenais ce matin avec les branches du secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) : pour ces métiers, nous devons faire plus, tout comme pour les métiers de l'artisanat. Je porterai une attention particulière à ces diplômes de niveau bac et infra‑bac, voire bac+2. Il est crucial de montrer que l'apprentissage permet d'accéder à tous les niveaux de diplômes.

J'ai entendu les interrogations concernant les entreprises qui distribuent des dividendes tout en procédant à des plans sociaux. J'ai les mêmes préoccupations que vous. De façon générale, pour toute entreprise qui effectue un plan social, le rôle de mon ministère est de s'assurer que les impacts sur l'emploi sont les plus faibles possible, que le dialogue social soit de qualité et que les entreprises s'emparent de tous les outils mis à leur disposition, à commencer par l'activité partielle de longue durée. Au cours des derniers mois, ces outils nous ont permis, si ce n'est d'éviter toute suppression d'emplois, au moins de limiter fortement les impacts de la crise.

Une entreprise qui bénéficie d'un PGE ne peut pas distribuer de dividendes. Ce sujet doit être abordé au cours des négociations d'un accord d'activité partielle de longue durée. Un tel accord ne vient pas de nulle part, il doit faire l'objet d'un accord majoritaire au sein de l'entreprise. Il revient aux salariés d'apprécier le bon équilibre entre la modération dans la distribution ou l'absence de distribution de dividendes et les efforts demandés aux salariés. Nous sommes évidemment très attentifs à ce que les efforts soient répartis de façon équitable entre les salariés, les dirigeants et les actionnaires, pour tous les projets de restructuration qui nous sont présentés.

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