Intervention de Jérôme Salomon

Réunion du jeudi 11 février 2021 à 10h00
Commission des affaires sociales

Jérôme Salomon, directeur général de la santé :

Nous nous battons tous collectivement et solidairement depuis plus d'un an contre la pandémie de Covid-19 qui a malheureusement frappé plus de 107 millions de personnes et tué plus de 2,3 millions de malades dans le monde. Nos efforts au quotidien, nos sacrifices familiaux, personnels, professionnels, l'exemplarité de chacune et chacun et la mobilisation de toutes et tous ont permis de sauver nombre de vies. Nous avons pleinement conscience de la fatigue accumulée, de la lassitude liée à la durée de cette crise, des angoisses liées aux multiples incertitudes scientifiques quant à l'évolution de cette épidémie, des lourdes conséquences économiques, sociales et sociétales sur notre quotidien.

Ce formidable effort de recherche et de prise en charge préventive et curative nous permettra de progressivement desserrer l'étau du virus sur nos vies. L'épidémie demeure à un niveau d'incidence extrêmement élevé, la troisième au monde, et impacte aujourd'hui des régions qui avaient été jusque-là relativement préservées, notamment l'ouest de la France, mais également la région PACA.

Les indicateurs sont préoccupants : le nombre de cas quotidiens est élevé, le R0 reste proche de 1, les entrées à l'hôpital et en réanimation sont nombreuses. Par conséquent, la tension hospitalière se maintient à un niveau élevé dans de nombreuses régions. Plus inquiétant, les formes variantes du virus sont détectées dans plusieurs territoires et présentent une contagiosité accrue. De plus, l'incertitude demeure quant à la possibilité de réinfection et d'éventuel échappement vaccinal. D'où notre vigilance et notre réaction rapide face à l'émergence de ces formes évolutives du virus.

Le 27 janvier dernier était le triste anniversaire de l'activation du centre de crise sanitaire, suite aux trois premiers cas confirmés de Covid-19. Après le signalement fin décembre 2019 par les autorités sanitaires de Wuhan de 27 cas suspects de pneumonie, le centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales avait assuré une veille active et informé en continu les agences régionales de santé, les établissements de santé et les professionnels.

Depuis, nous avons collectivement fait face à une situation exceptionnelle, sans précédent dans l'histoire moderne, qui a nécessité une adaptation permanente de notre stratégie aux évolutions du virus. Nous avons affronté et continuons d'affronter une crise mondiale d'une violence inouïe, qui a déstabilisé notre société et profondément réorganisé nos vies personnelles et professionnelles. Nous avons traité le premier cas groupé de Contamine-Montjoie, assuré les évacuations des ressortissants français de Wuhan, puis accompagné la montée en puissance de la logistique d'approvisionnement des équipements de protection individuelle, mais aussi des produits de santé. Nous avons également mis en place des dispositifs d'évacuation sanitaire hors-norme et innovants, avec notamment les TGV sanitaires et l'appui de moyens militaires aéroportés. Les évolutions de cette crise ont nécessité des mesures très fortes : périodes de confinement, périodes de couvre-feu.

Cette maladie émergente encore quasiment inconnue il y a un an poursuit sa progression dans le monde. Il nous faut aujourd'hui agir pour freiner la diffusion des variants et éviter que les formes les plus préoccupantes de ces évolutions virales ne gagnent trop et trop vite du terrain, mettant en péril notre système de santé, en ville comme à l'hôpital. Nous devons absolument prendre en charge l'ensemble des malades, ainsi que toutes les pathologies liées à la santé mentale – troubles anxieux, dépression, troubles du sommeil, risques suicidaires, difficultés que rencontrent notamment les jeunes...

Ce que je retiens des deux premières vagues, c'est une prise en charge des patients et une capacité d'adaptation exceptionnelles de la part des professionnels de santé et du système sanitaire. Nous recensons à ce jour 863 évacuations sanitaires inter-régionales (658 lors de la première vague et 98 lors de la deuxième). En parallèle, l'effort logistique est à souligner, avec 1,89 milliard de masques chirurgicaux, 267 millions de masques FFP2, 12,6 millions de masques pédiatriques, près de 200 millions de gants. De même, le développement de la recherche est remarquable, avec la production et le déploiement de candidats vaccins puis de vaccins en à peine une année, ce qui constitue une véritable prouesse scientifique. L'effort fut également numérique, au travers du système d'information de dépistage (SI-DEP) ou de StopCovid, devenu TousAntiCovid, téléchargé par 13 millions de Français. 70 000 utilisateurs ont été informés qu'ils avaient été à proximité de plus de 130 000 personnes déclarées positives dans l'application.

Nous avons fait le choix de la transparence des données de santé et je me félicite que de très nombreux Français se connectent régulièrement aux sites d' open data tels que Géodes ou les sites du ministère des solidarités et de la santé, de Santé publique France ou du Gouvernement. Pour connaître le comportement adapté à chaque situation, le ministère a mis en place le site mesconseilscovid.fr, qui propose en 3 minutes des conseils personnalisés pour agir contre le virus en fonction des conditions de vie et de la santé de chacun.

Je souhaite saluer, outre la mobilisation de tous les soignants et professionnels de santé de France, la mobilisation extraordinaire et sans faille des femmes et des hommes du ministère, des agences de santé nationales et des agences régionales de santé (ARS). Je citerai également l'évolution de la stratégie Tester-Alerter-Protéger. En effet, depuis quelques jours, chaque personne isolée se voit proposer la visite à domicile d'un infirmier. Ainsi, 40 000 infirmiers libéraux sont mobilisés, notamment pour tester sur place les personnes du foyer, et plus de 16 000 visites ont déjà été réalisées.

Nous portons également nos efforts sur les tests. Depuis le 1er mars 2020, soit en moins d'un an, nous avons passé la barre des 50 millions de tests, PCR ou antigéniques. La capacité en test est très élevée puisque nous réalisons 2,3 à 2,5 millions de tests hebdomadaires. C'est le fruit d'un engagement inédit de l'État et des acteurs de terrain, qui a permis de sécuriser les approvisionnements, d'investir dans les automates et de multiplier les vecteurs de test. Je salue la forte mobilisation des services de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), des professionnels de santé libéraux et des ARS. Ainsi, 120 000 appels sont passés chaque jour et chaque cas positif donne lieu à un appel de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) dès le lendemain. Les contacts sont ensuite joints par téléphone, mail ou SMS. Cette stratégie de s'isoler puis de se tester et de prévenir ses contacts fonctionne grâce à l'appui de tous ces acteurs.

J'insisterai sur l'évolution de la recherche, qui affiche de nombreuses avancées en termes de traitements, de candidats à la vaccination, d'anticorps monoclonaux, de cocktails d'anticorps, de molécules antivirales avec l'interféron, mais également de soins de support pour les formes sévères avec les corticoïdes, l'oxygénothérapie à haut débit ou les anticoagulants. Enfin, nous avançons sur les immunothérapies ciblées et sur le secteur des sciences sociales et humaines, qui nous appuient pour mieux comprendre les mesures de prévention, la mise en application des mesures et les enjeux de déterminants de santé. À ce titre, je salue la formidable coopération interministérielle et de toutes les équipes du ministère.

Un an après son émergence, la pandémie se poursuit dans le monde et en Europe et nous affrontons la nouvelle menace que représente la diffusion communautaire rapide des variants plus contagieux. Leur effet a déjà été observé au Royaume-Uni et au Portugal, ainsi qu'à Mayotte. Les scientifiques s'inquiètent d'un risque d'échappement immunitaire, avec la possibilité de réinfection, et d'un risque d'échappement vaccinal. Face à cette situation sanitaire et en attendant que les campagnes de vaccination offrent une immunité suffisante, la plupart des États européens ont mis en place différentes mesures. Le couvre-feu à 18 heures instauré par la France permet un contrôle épidémique journalier. La situation reste fragile, sachant que les conditions météorologiques jouent un rôle sur la diffusion du virus. En outre, l'arrivée des variants peut modifier les équilibres locaux. La pression épidémique reste très élevée et la situation nationale est hétérogène. Ainsi, la situation s'améliore sur certains territoires et départements, tandis qu'elle reste stable ou qu'elle se détériore dans d'autres zones. Nous restons donc très attentifs, notamment dans les territoires les plus touchés par la circulation des variants, Royaume-Uni, Portugal et Mayotte mais également les régions PACA, Ile-de-France et Hauts-de-France.

La tension est également hospitalière et nous nous approchons des niveaux records observés lors des deux précédentes vagues, avec près de 28 000 malades actuellement hospitalisés contre 20 000 lors du deuxième confinement, avec un pic à 32 000 au mois d'octobre. Cette pression hospitalière est comparable à celle qu'endure le Royaume-Uni. Nos territoires ne sont pas impactés de la même manière, la tension étant plus forte dans la moitié est de la France, ainsi qu'outre-mer. Les équipes soignantes sont épuisées et mobilisées depuis des mois. C'est pourquoi nous sommes très attentifs aux enjeux de ressources humaines et de soutien psychologique, tout en poursuivant la lutte contre les clusters hospitaliers et la prise en charge des malades. Nous avons ainsi réalisé 33 évacuations sanitaires au cours des derniers jours, pour soutenir notamment les régions Bourgogne‑Franche-Comté, PACA et Mayotte.

Face à l'apparition des variants, le déploiement de la stratégie vaccinale est une priorité absolue du Gouvernement. Nous avons dépassé le seuil des deux millions de personnes ayant reçu une première injection. Plus de 440 000 Français ont pu bénéficier des deux injections. Les professionnels de santé se préparent à une éventuelle troisième vague, du fait de la tension épidémique, de la pression hospitalière et de la diffusion communautaire des variants.

Le bilan de la pandémie, apparue il y a encore moins d'un an – soit à compter du 1er mars 2020 –, dépasse déjà les 80 400 décès. Le contrôle épidémique est assuré mais demeure complexe, impliquant la totale mobilisation de nos équipes, sept jours sur sept depuis une année. Je souligne le caractère collégial de notre action, en lien avec les professionnels de terrain, les associations, les élus, les sociétés savantes, les ordres, les instances d'expertise, les directions du Ministère, le centre de crise interministériel, les armées, l'Assurance maladie, les agences nationales et les agences régionales de santé (ARS).

J'évoquerai ensuite le sujet de la santé mentale. Près de 76 % des Français se déclarent satisfaits de leur vie, mais la récente enquête menée par Santé publique France CoviPrev révèle que 29 % des personnes interrogées font part d'états anxieux ou dépressifs. Les troubles du sommeil sont importants, en particulier chez les jeunes. L'incertitude ambiante, l'apparition des variants et la durée exceptionnelle de l'épidémie ressemble pour certains à un cauchemar sans fin et entraîne une certaine anxiété. C'est pourquoi il est primordial d'être vigilant dès lors que nous constatons des modifications de comportement chez nos proches, nos amis ou nos collègues. Des ressources ont été mises à disposition, telles que Psycom.org, la plate-forme d'équipe nationale qui aide à guider et soulager, pour une prise en charge adaptée. Nous sommes très attentifs aux plus fragiles (personnes en situation de précarité, jeunes, étudiants, sans emploi, etc.). Le président de la République a annoncé la mise en place du « chèque psy », permettant aux jeunes qui en auraient besoin d'accéder gratuitement et aisément à un professionnel de la santé mentale.

La démarche est longue, mais nous avons la possibilité d'être la solution de manière collective. La France a su témoigner de la responsabilité et de la solidarité qui l'animent. Nous pouvons nous en féliciter car nous prenons soin les uns des autres depuis maintenant plus d'un an. Nous attendons une immunité collective et individuelle post-infectieuse ou post‑vaccinale et les Français respectent très bien l'isolement, l'information des cas contacts, les mesures barrières, l'aération des locaux, le port du masque, le lavage des mains. Nous avons adapté les mesures relatives aux catégories de masques et à la distanciation, désormais portée à 2 mètres. Les bonnes pratiques ont été rappelées, en soulignant l'importance du télétravail, de la prudence vis-à-vis des rassemblements, des déplacements et des brassages.

Nous portons une attention particulière aux activités à risque, les épidémiologistes ayant mis en avant les dangers du co-voiturage et des repas collectifs. La notion de « bulle sociale familiale » peut ainsi être transposée au milieu professionnel, où les salariés sont encouragés à ne fréquenter qu'un petit groupe de collègues. Nous avons également insisté, avec les sociétés savantes et les associations de patients, sur l'importance de l'auto-isolement volontaire des personnes les plus fragiles. De plus, l'ensemble des acteurs de terrain (élus locaux comme responsables d'établissements scolaires, de santé ou médico-sociaux) s'est investi dans la lutte précoce contre les clusters scolaires. Nous prenons tous collectivement part à cet effort de prévention, traduisant la capacité de résilience de notre Nation.

Au-delà de la lutte contre le Covid-19, des actions en matière de santé publique perdurent et s'amplifient. La longueur de la crise impacte en effet fortement les déterminants de santé et nous devons rester vigilants sur ce sujet.

Si les mesures barrières ont permis de contenir certaines maladies telles que la grippe saisonnière ou la gastroentérite, d'autres problèmes de santé publique demeurent, à l'image de la santé mentale, mais également des inégalités de santé, au travers de l'accès à l'éducation à la santé, à la promotion de la santé, aux dépistages des cancers, au suivi des maladies chroniques. Nous avons par conséquent œuvré pour l'élaboration de la stratégie décennale de lutte contre les cancers, finalisé le quatrième plan national santé environnement (PNSE), poursuivi avec vos collègues du Sénat les travaux en vue de la révision de la loi de bioéthique, et conclu nos réflexions en vue de l'expérimentation du cannabis thérapeutique.

Pour conclure, nous travaillons à mieux répondre aux défis de demain, qu'il s'agisse de crises naturelles, de crises d'origine humaine, de l'impact de l'environnement sur la santé, de l'évolution démographique, des priorités de santé liées au défi du vieillissement ou du réchauffement climatique. Nous devons également internaliser et valoriser ce que nous avons appris des enjeux de santé numérique. Il est impératif d'anticiper davantage, dans la perspective d'une crise qui dure, et d'éclairer la gestion de crise par la prise en compte des effets de moyen terme. Il nous faut améliorer notre réponse face aux épidémies, la réponse de l'État face aux catastrophes sanitaires majeures, quelles qu'en soient les origines, inscrire dans un cadre européen l'élaboration des plans de gestion de crise et d'évaluation, et réapprécier la gestion des stocks. De même, il est nécessaire d'envisager un travail prospectif et d'anticipation avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS), mais également l'Union européenne et les principaux acteurs français. À ce titre, je mentionnerai la création de l'Agence nationale de la recherche sur le sida et les maladies infectieuses émergentes (ANRS‑MIE), qui a mis en lumière l'excellence et la réactivité de la recherche française dans le champ des maladies infectieuses, mais aussi l'importance de mieux coordonner et financer la recherche sur les maladies émergentes, en période de crise et sur le long terme. Cette nouvelle agence est pilotée par le professeur Yazdanpanah et animera l'ensemble de la recherche sur toutes les maladies émergentes et ré-émergentes.

Nous devons amplifier notre préparation à la crise, avec l'implication systématique du terrain. Cet objectif passera par des retours d'expérience et la constitution d'un vivier d'experts, afin de garder une mémoire vive de cette crise et investir sur ce potentiel humain.

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