Intervention de Geneviève Chêne

Réunion du mercredi 3 mars 2021 à 9h30
Commission des affaires sociales

Geneviève Chêne, directrice générale de Santé publique France :

Je voudrais commencer par vous assurer, mesdames et messieurs les députés, de la mobilisation pleine et entière de l'ensemble des agents de Santé publique France (SPF). De la situation exceptionnelle que nous vivons depuis un an, nous retenons une chose : nous avons affaire à un virus tenace et imprévisible. Nous n'en avons pas moins beaucoup appris au cours de cette période et nous avons accumulé de nombreuses connaissances scientifiques. Il n'est toutefois pas encore temps de baisser la garde.

Comment décrire la situation actuelle ? Elle reste complexe et préoccupante en raison d'une dynamique épidémique globalement à la hausse. La circulation élevée du virus se conjugue avec une pression hospitalière forte, qui s'exerce en particulier sur les services de réanimation, alors que des variants davantage transmissibles se diffusent de plus en plus, au point de tendre désormais à prédominer en métropole, comme d'ailleurs dans certains territoires d'outre-mer.

L'incidence des cas augmente de nouveau, de 8 %, depuis la troisième semaine de février 2021, après deux semaines d'amélioration. Chaque jour, 20 000 à 21 000 nouveaux cas en moyenne sont confirmés. Le taux d'incidence augmente dans toutes les classes d'âge entre 15 et 75 ans. Un nombre élevé de patients sont à ce jour hospitalisés : environ 25 000 à la date du 2 mars 2021, dont près de 3 600 en réanimation. Les tensions hospitalières persistent, alors même que le nombre de nouvelles hospitalisations, lui, se stabilise depuis une semaine autour de 9 400. Les nouvelles admissions en réanimation progressent en revanche – 1 900 cette semaine contre 1 800 la précédente, soit environ 9 % de plus. Cette hausse intervient alors que nous observons également un excès de mortalité, toutes causes confondues, depuis la fin du mois de septembre 2020.

Si le virus continue de toucher fortement les personnes âgées de 75 ans et plus, nous observons depuis la mi-février 2021 une amélioration de la majorité des indicateurs épidémiologiques dans cette classe d'âge : diminution des nouveaux cas, moindre proportion de patients hospitalisés par rapport aux autres classes d'âge et recul du nombre de cas en établissements d'hébergement pour les personnes âgées dépendantes (EHPAD). Le taux de mortalité a, dans l'ensemble, légèrement diminué (de 5 %) à la mi‑février 2021.

Cette amélioration résulte vraisemblablement des effets de l'augmentation progressive, dans cette classe d'âge, de la couverture vaccinale. En effet, 83 %, soit une très grande majorité, des résidents d'EHPAD avaient reçu une première dose de vaccin au 1er mars 2021 et 28 % des plus de 80 ans, où qu'ils résident, ont reçu une première dose de vaccin, contre un quart des personnes de 75 à 79 ans. Ces signes sont encourageants à l'heure où la campagne de vaccination dans les EHPAD touche à son terme. Ils témoignent d'une protection croissante des plus vulnérables face au virus.

Malgré tout, l'apparition, depuis janvier 2021, de nouvelles formes de ce dernier rend incertaine l'évolution de la situation, au moins dans l'immédiat. Trois de ces variants nous préoccupent plus que les autres : l'un a été identifié en décembre 2020 au Royaume-Uni, un autre plus récemment en Afrique du Sud et un autre enfin au Brésil. Ces trois variants présentent la particularité d'être davantage transmissibles. Compte tenu de leur impact potentiel sur le cours de l'épidémie, nous les qualifions de variants d'intérêt.

Dès leur identification, nous avons mis en place un système de surveillance spécifique grâce au Centre national de référence des virus des infections respiratoires, à l'Institut Pasteur et au CHU de Lyon. Cette surveillance a été renforcée depuis le signalement de premiers cas d'infection due à ces variants en France et elle repose sur une stratégie globale. Celle-ci passe par la réalisation systématique par les laboratoires de tests PCR de criblage en cas de test positif, de manière à surveiller les variants d'intérêt connus tout en évaluant leur diffusion sur l'ensemble du territoire.

À cela s'ajoutent des enquêtes flash faisant appel au séquençage du génome viral à partir d'une sélection aléatoire de prélèvements PCR positifs, répétée à intervalles réguliers. Ces enquêtes sont effectuées en lien avec le réseau des centres nationaux de référence ainsi qu'avec l'Agence nationale de recherche sur le SIDA et les hépatites virales-Maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE). Leur objectif consiste en priorité à dresser la cartographie complète des types de virus circulant en France, qu'ils correspondent à des variants d'intérêt connus ou non, et à détecter l'émergence de nouveaux variants.

Enfin, une surveillance épidémiologique renforcée de l'ensemble du territoire doit permettre de repérer tout signal épidémiologique précoce, tel qu'une hausse brutale de nouveaux cas, susceptible de donner l'alerte, vu la transmissibilité accrue des nouveaux variants.

Nous sommes donc aujourd'hui en mesure de décrire quotidiennement la distribution de ces suspicions de variants jusqu'à l'échelon départemental. Ces données seront prochainement en accès libre.

Le variant d'abord identifié au Royaume-Uni prédomine aujourd'hui : il rend compte d'environ 60 % des tests positifs au niveau national. Environ 6 % des tests de criblage correspondent à une suspicion d'un des deux autres variants d'intérêt.

La circulation de ces trois variants détectés dans l'ensemble des régions du territoire demeure hétérogène compte tenu des fortes disparités entre départements. Plus de 30 % des tests criblés réalisés dans 90 d'entre eux laissent soupçonner la présence du variant initialement isolé au Royaume-Uni, tandis que l'un des deux autres variants apparaît dans plus de 10 % des tests criblés réalisés dans 10 autres départements.

Depuis une à deux semaines, cette augmentation de la circulation des variants s'associe à une élévation du taux d'incidence.

En conclusion, malgré l'effet fort probablement bénéfique de la vaccination, en particulier sur les classes d'âge les plus vulnérables, la situation reste préoccupante. L'évolution des indicateurs et l'analyse des risques territoriaux dans les prochains jours et semaines s'avéreront donc déterminants. Voilà qui explique qu'une surveillance renforcée de certains départements en particulier, en lien avec nos cellules régionales, les agences régionales de santé et le ministère de la Santé, vienne soutenir les mesures de gestion prises sur l'ensemble du territoire.

Au-delà de la surveillance de tous ces indicateurs, de nombreuses questions subsistent encore sur les dynamiques de l'épidémie. Il nous revient, à nous et à nos partenaires, européens en particulier, de les investiguer, notamment en confrontant les connaissances théoriques avec la réalité des données collectées.

Nous savons ainsi que, lorsque la proportion du variant augmente dans un territoire, les nouveaux cas d'infection augmentent à leur tour. Pour autant, la corrélation observée reste-t-elle constante dans le temps ? Comment les mesures prises l'influencent-elles ? Répondre à ces questions réclame un travail d'analyse des données quotidiennes qui fasse aussi appel à la modélisation. Nous nous intéressons fortement à l'évaluation de l'efficacité vaccinale en vie réelle, en particulier sur les formes hospitalisées, au sein d'un groupe de travail européen du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC).

Quelle est l'efficacité de la vaccination sur les formes graves de la Covid-19 en vie réelle ? Combien de temps après l'injection d'une première puis d'une seconde dose peut-on escompter un impact sur les indicateurs et la dynamique de l'épidémie ?

Nous nous intéressons par ailleurs à l'identification précoce des cas de réinfection, c'est-à-dire quand une même personne est testée positive à deux mois d'écart. Les réinfections seraient-elles associées à certains variants ?

Enfin, il apparaît fondamental de renforcer les efforts collectifs menés dans le cadre de la stratégie « tester, alerter, protéger ». SPF contribue également aux réflexions sur la stratégie de déploiement des tests dans les écoles en soutien au ministère de l'Éducation nationale, ainsi qu'à la définition de stratégies d'expérimentation dans les secteurs culturel ou sportif.

Pour terminer, sachez que nous avons grandement conscience de notre responsabilité de rendre accessible à tous l'information sur cette épidémie. Les chiffres publiés chaque jour proviennent de nos indicateurs. Chaque semaine, nous publions des points épidémiologiques à l'échelon national et régional qui participent à l'analyse de la situation. Toutes les données sur lesquelles se fonde notre analyse figurent sur notre site ou sont accessibles en open data, en particulier sur la plateforme Géodes.

Toute crise, et en particulier celle-ci, a un impact sur d'autres facettes de la santé. C'est pourquoi l'agence reste très attentive aux effets de l'épidémie sur d'autres déterminants de santé, tout comme elle s'attache à maintenir, voire à renforcer son action en faveur de la santé dans sa globalité.

En ce qui concerne la santé mentale des Français, nous avons mis en place, dès le début du premier confinement, une étude répétée à intervalles réguliers. Ses derniers résultats révèlent une augmentation significative des états anxieux et dépressifs par rapport à la vague précédente. Cela nous a conduits, avec l'ensemble de nos partenaires, et en lien avec le ministère de la Santé, à renforcer les dispositifs de surveillance, d'une part, et de soutien individualisé, d'autre part.

Enfin, rester mobilisés contre la Covid-19 ne doit nous détourner ni du suivi ni de la prévention des maladies chroniques ou encore des addictions. Nous devons favoriser la prévention parallèlement à l'amélioration continue des connaissances. C'est d'ailleurs l'objectif que nous poursuivons avec les programmes de lutte contre le cancer et nos actions de prévention concernant le tabac ou l'alcool.

Nous restons donc pleinement mobilisés pour la santé de tous.

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