Je vous prie d'excuser l'absence de notre directeur général. Je représente aujourd'hui l'Unédic, accompagné de Mme Céline Jaeggy, directrice des affaires juridiques et institutionnelles, ainsi que de Mme Lara Muller, directrice des études et des analyses.
S'agissant des trois parties du questionnaire qui nous a été adressé, portant sur la genèse de cette allocation, le bilan à date et les perspectives d'évolution au regard de la faible mobilisation du dispositif, je souhaitais commencer par rappeler les deux rôles de l'Unédic. Le premier consiste à accompagner les négociations sur l'évolution réglementaire dans le champ de l'assurance chômage. Cette mission est normalement tenue par les partenaires sociaux, mais depuis 2019, elle est fixée par le Gouvernement. Nous assumons aussi le rôle de gestionnaire de l'indemnisation et de l'allocation des travailleurs indépendants, à savoir s'assurer que les règles sont mises en œuvre correctement, sans difficulté opérationnelle, juridique ou financière à la mise en place des différents dispositifs.
En ce qui concerne la genèse de l'ATI, cette allocation est définie par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Elle est réglementée par décret, et non par l'assurance chômage. Le détail de son montant et de sa durée ne relève donc pas du régime d'assurance chômage, que celui-ci soit piloté par les partenaires sociaux ou par l'État, comme c'est le cas aujourd'hui. L'Unédic n'est donc pas légitime pour prendre des décisions dans le champ de cette allocation.
Le régime d'assurance chômage a par contre deux missions bien spécifiques, qui sont définies dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel : la coordination entre l'Allocation de Retour à l'Emploi et cette allocation, d'une part, la fixation des règles de cumul d'une activité et d'un revenu salarial ou non salarial avec cette allocation, d'autre part.
Ainsi, cette allocation, même si elle entre dans le champ de l'assurance chômage, n'y est pas tout à fait. Elle possède un statut quelque peu hybride qui n'en fait pas une allocation relevant d'un régime assurantiel ni une allocation totalement de solidarité, puisqu'elle est conditionnée par un ensemble de critères, notamment des critères d'éligibilité et de niveau de revenu qui s'apparentent à ceux du régime assurantiel. Même si la lettre de cadrage montre une volonté présidentielle d'universaliser le droit à l'assurance chômage, on constate qu'aujourd'hui, cette allocation n'est pas de nature assurantielle.
De plus, une mission a été menée par l'Inspection générale des finances (IGF) et l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Ces deux inspections ont beaucoup contribué à configurer le besoin des travailleurs indépendants, en 2017 et 2018. Même l'analyse d'impact qui était jointe au dossier définissant ce dispositif résulte en grande partie des conclusions de leur rapport.
Ce dernier notait que les besoins des travailleurs indépendants sont complexes, car ils relèvent d'une hétérogénéité de statuts et de typologies de travailleurs qui sont plus ou moins indépendants. Cette classification va du dentiste indépendant au micro-entrepreneur, en passant par les travailleurs des plateformes, dont nous pouvons imaginer qu'ils sont indépendants, mais financièrement dépendants d'un ou plusieurs donneurs d'ordres. Ainsi, la situation et les besoins de ces populations ne sont pas fortement homogènes.
Il existe également une forte inégalité de revenus. Or, si nous en faisons une allocation qui relève d'un régime assurantiel, cela implique à la fois une logique contributive et une logique de revenu de remplacement, c'est-à-dire que le revenu couvert par le régime assurantiel doit être proportionnel au revenu précédemment perdu. L'allocation mise en place ne reprend pas du tout ces principes puisqu'elle est de 800 euros, quels qu'aient été les revenus des travailleurs indépendants, avec une condition restrictive à l'entrée puisqu'il faut présenter un chiffre d'affaires annuel supérieur à 10 000 euros pour en bénéficier.
Un dispositif a été mis en place, presque de manière expérimentale, pour reprendre les conclusions du rapport des inspections. Il était très prudent, car les besoins n'étaient pas clairement exprimés pour l'ensemble de la population concernée et que nous, au sein de l'Unédic, avions très peu de recul. Il s'agit d'une population que nous ne connaissons pas, car nous gérons le régime assurantiel des travailleurs salariés. Une logique de prudence a guidé l'instauration de critères à l'entrée.
Si j'en viens au bilan du dispositif final, celui-ci n'est pas une assurance. Il ne dispose pas de financement dédié. Même s'il est financé par le régime d'assurance chômage, il n'existe pas de système contributif spécifiquement ciblé sur ces travailleurs indépendants. Cette allocation repose sur l'impôt puisqu'en 2019, une partie du financement du régime d'assurance chômage a basculé sur un mode de financement par la contribution sociale généralisée (CSG) portant sur les revenus d'activité. Le régime est financé par le régime d'assurance chômage, donc sur la base du versement des revenus salariés et des revenus d'activité, mais il possède certaines caractéristiques de l'assurance, notamment sur les critères. Il faut répondre à un certain nombre de critères qui ont déjà été évoqués : avoir une ancienneté minimale dans l'activité, un revenu minimal annuel de 10 000 euros et bénéficier de ressources personnelles inférieures à l'équivalent du RSA. À ce titre, il s'agit donc davantage d'une allocation que d'un revenu de remplacement. Enfin, il existe une notion de chômage involontaire, qui résulte elle aussi du régime assurantiel. Elle est fixée par le fait de faire face à un redressement ou une liquidation judiciaire de son entreprise.
Dans l'analyse d'impact qui avait été produite, le dispositif devait concerner 30 000 indépendants, pour un impact sur les dépenses estimé à 140 millions d'euros. Aujourd'hui, nous disposons des mêmes chiffres que Pôle emploi, à savoir 900 bénéficiaires en 2020, pour environ 3 millions d'euros de dépenses.
Comment l'expliquer ? Je rejoins parfaitement les constats de Pôle emploi, nous n'avons pas identifié de freins ou de difficultés opérationnels à l'entrée du dispositif. Les critères sont relativement contraignants et impactés par la crise. Pour prendre un exemple, du fait des mesures de soutien et des délais administratifs, le nombre de liquidations judiciaires a baissé de 34 % entre 2019 et 2020. La crise a un effet retardant. Les prévisions financières de l'assurance chômage expliquent qu'en 2020, une grande partie du déficit du régime est liée aux mesures de soutien, mais en 2021 et 2022, nous devrions constater des effets en termes de destruction d'emplois ou de défaillances d'entreprises beaucoup plus marqués qu'aujourd'hui au regard de l'ensemble des mesures de soutien déployées, au premier rang desquelles figure l'activité partielle. Il existe donc des critères très contraignants à l'entrée, amplifiés par l'effet de la crise.
Je voulais aussi insister sur des dispositifs ou des aides qui viennent en complément de cette allocation, qui couvrent d'autres risques des travailleurs indépendants. Nous pouvons nous interroger sur le filet de sécurité à apporter à des travailleurs indépendants. Il me semble que le moment du cycle de vie d'une entreprise joue beaucoup sur ce point. À la création de l'entreprise, les risques sont maximaux pour l'entrepreneur, puisque l'entreprise se lance, qu'il fait face à son développement et qu'il a aussi besoin de sécuriser l'entrée en activité. Un dispositif de l'assurance chômage permet aux salariés en transition professionnelle de continuer à bénéficier d'une protection contre le chômage quand ils souhaitent créer ou reprendre une entreprise. En 2019, 90 000 allocataires ont touché l'Allocation de Retour à l'Emploi pendant qu'ils percevaient ou non un revenu d'activité non salariée entrepreneuriale. Ce chiffre a énormément augmenté ces derniers temps ; le nombre d'allocations est en hausse croissante depuis 2015.
Pour le régime d'assurance chômage, ces dépenses représentent 1,45 milliard d'euros au bénéfice des entrepreneurs, qui se sécurisent par une forme de capital ou de revenu qu'ils ne peuvent se verser pendant qu'ils créent leur entreprise, sur la base de l'allocation chômage qu'ils ont perçue. Ces dépenses ont doublé par rapport à 2015. Elles représentaient alors 720 millions d'euros, consacrés à l'utilisation de l'allocation chômage à des fins de création ou de développement de son entreprise.
Un autre exemple est peut-être méconnu, mais je souhaite insister dessus : quand on démissionne pour créer une entreprise, si celle-ci cesse son activité dans les trois ans, on peut revenir à ses droits anciens et demander le versement de ses allocations chômage. Je vous en parle pour deux raisons. La première est qu'en 2020, cette situation concerne plus de 350 personnes, ce qui est faible, mais correspond à un tiers des 900 bénéficiaires de l'ATI. La seconde raison est que, lorsque nous avons analysé les chiffres, nous avons constaté que la proportion de ces allocataires avait tendance à augmenter lors des crises. En 2009 et 2020, ce filet de sécurité apporté par l'assurance chômage est bien mobilisé. Cela peut expliquer que les bénéficiaires se tournent vers ces dispositifs avant de demander l'ATI, car les conditions d'indemnisation sont un peu plus favorables. Pour rappel, l'assurance chômage correspond à environ 900 euros, mais sur une durée moyenne de dix mois, rapportés aux 800 euros pendant six mois de l'ATI. La moyenne de la couverture assurantielle des régimes des salariés est légèrement plus favorable que cette allocation pour les travailleurs indépendants.
Enfin sur les perspectives d'amélioration, l'Unédic n'est pas politique et travaille pour les gouvernances ; nous n'avons pas à porter des propositions d'évolution réglementaires. Néanmoins, la question que nous semble poser la situation des travailleurs indépendants à ce stade des réflexions est celle de la finalité, du besoin que l'on souhaite couvrir.
Il me semble que nous sommes à la frontière entre deux besoins relativement différents. Souhaite-t-on étendre le régime assurantiel aux travailleurs indépendants, c'est‑à‑dire conserver un système de revenu de remplacement, dans une logique contributive, en cherchant à conserver une logique proportionnelle au revenu perdu ? Ou sommes-nous davantage dans un encouragement à la transition professionnelle à l'entrepreneuriat, au rebond ? Doit-on prévoir une allocation qui aide au rebond des travailleurs indépendants, notamment au regard de leurs différentes spécificités, au niveau sectoriel, des statuts ou des territoires ? On voit que la crise va marquer de manière différenciée les populations de travailleurs indépendants. Faut-il penser une protection qui aide à rebondir et qui favorise les transitions professionnelles ? L'allocation telle qu'elle est définie, telle qu'elle existe dans la loi, et les critères d'octroi ne nous semblent pas répondre de manière claire à cette question. Nous souhaitions la soumettre à la réflexion de cette commission.