Intervention de Brigitte Bourguignon

Réunion du mercredi 10 mars 2021 à 15h00
Commission des affaires sociales

Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, chargée de l'autonomie :

Nous aborderons ensemble la réforme qui nous mobilise et que nous souhaitons tous. Je m'y attelle depuis le premier jour de ma nomination. Le Premier ministre en a rappelé hier le caractère prioritaire. À l'occasion de notre déplacement dans la Nièvre, il a confirmé l'ouverture d'un chantier législatif qui la porterait.

Chacun se rappelle le contexte de mon entrée au Gouvernement cet été, alors que l'épidémie de Covid-19 marquait le pas. Comme nous commencions à tirer des enseignements de la première vague de confinement, j'ai tenu dès mon arrivée à préparer un nouveau protocole sanitaire destiné aux EHPAD le 11 août, anticipant ainsi une dégradation de la situation épidémique.

J'ai trop entendu dire que l'État n'avait pas anticipé la deuxième vague. C'est faux, surtout en ce qui concerne les EHPAD.

J'ai suivi dans ma gestion de la crise un principe intangible relevant d'une conviction personnelle de longue date : protéger nos aînés sans les isoler. Je me suis engagée à défendre cette position difficile à tenir en mettant tout en œuvre pour éviter la propagation de l'épidémie, en particulier dans les établissements, sans nier pour autant que les personnes âgées sont des citoyens à part entière et non des objets de soins comme d'aucuns semblent le croire. Une telle conviction, que je sais partagée, notamment au sein de cette commission, guide mon action depuis huit mois.

Les personnes âgées en perte d'autonomie, en particulier résidant en EHPAD, ont payé le plus lourd tribut à l'épidémie, c'est pourquoi nous leur avons donné la priorité dans la campagne de vaccination. Celle-ci a commencé en poursuivant un objectif simple : protéger avant tout les plus vulnérables, c'est-à-dire ceux qui risquent le plus de développer une forme grave de la Covid-19 et d'en mourir.

À ce jour, près de 85 % des résidents d'EHPAD ont reçu une première dose de vaccin et 61 % une deuxième également. Bien peu tablaient en décembre sur le succès de la campagne de vaccination. Certains même prédisaient son échec avant même son lancement. Son succès, logistique notamment, a tout lieu de nous réjouir. Je tiens à féliciter les acteurs locaux et les équipes du ministère de la Santé qui y ont contribué. Amener des vaccins fragiles dans 7 500 établissements auprès de 600 000 résidents et 400 000 professionnels représente un tour de force.

Depuis fin janvier 2021, la part des résidents d'EHPAD dans les contaminations et les décès a fortement diminué. Lors de la dernière quinzaine de février, ils ne représentaient plus que 1,2 % des contaminations et 22 % des décès, contre près de la moitié avant le lancement de la campagne.

Ce que nous avons appris de la première vague nous a permis de diminuer drastiquement le nombre de clusters en établissements durant la seconde. Cette dynamique s'accentue sous l'effet de la vaccination. Des travaux montrent une corrélation entre le taux de vaccination des résidents et le recul des contaminations.

Les données épidémiologiques à notre disposition ont confirmé notre choix de vacciner en priorité les plus vulnérables. Ce succès issu d'une décision politique assumée nous permet d'établir un nouveau protocole sanitaire en vue du retour à une vie sociale renforcée des résidents en EHPAD. Aujourd'hui, près de la moitié d'entre eux bénéficie d'une protection maximale contre le virus ; quinze jours s'étant écoulés depuis qu'ils ont reçu la seconde dose de vaccin.

Voilà pourquoi j'ai saisi avec Olivier Véran à la mi-février le Haut conseil de la Santé publique et le Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale du professeur Fischer afin de définir les meilleures conditions possibles d'un retour à la vie sociale tant attendu par nos aînés, leurs familles et amis. Il y a près de trois semaines, j'ai décidé de conduire une concertation avec toutes les parties prenantes  fédérations de professionnels, représentants des familles et des résidents, juristes, gériatres, éthiciens.

Comme nous y invitait le Premier ministre jeudi dernier, je détaillerai sous peu l'assouplissement des mesures de gestion en établissement. J'aimerais que chacun de vous mesure bien la difficulté de cette tâche. Il faut tenir compte de la situation épidémique actuelle, volatile, et du statut vaccinal des résidents et des professionnels. J'appelle d'ailleurs quotidiennement ces derniers à se faire vacciner au plus vite.

C'est de manière responsable que nous guiderons au mieux les directions d'établissement au cas par cas, en fonction de la réalité à laquelle ils font face et des dilemmes éthiques qu'ils auront à trancher. Il nous faut ouvrir ensemble le chemin des retrouvailles avec nos proches, mais aussi le baliser pour que la sécurité s'y conjugue à la joie de retrouver ses proches.

Mon credo de protéger sans isoler doit se traduire par un nouvel équilibre laissant plus de place à ces liens qui nous ont tant manqué. Un jour, d'ici quelques mois, j'ose le croire, cette crise sanitaire sera derrière nous et nous renouerons avec une vie aussi normale que possible. Cependant, rien ne sera jamais plus comme avant, car nous avons appris de cette crise et la réforme longuement attendue du grand âge et de l'autonomie est en marche. Je m'active à la finaliser pour proposer à la représentation nationale et au pays un nouveau modèle de soutien à l'autonomie.

Hier encore, à Cosne-Cours-sur-Loire, lors du lancement du plan d'investissement prévu dans le cadre du Ségur de la santé, le Premier ministre que j'accompagnais rappelait le chantier législatif destiné à répondre à l'aspiration des Français de vivre dans un cadre le plus semblable possible au domicile.

Changer de modèle nécessite de changer notre regard sur les personnes âgées. Il m'est insupportable que certains ne voient plus en une personne âgée en perte d'autonomie une personne à part entière ayant des envies, une voix, des aspirations et surtout des droits. En tant que citoyens, ces personnes âgées ont un rôle actif à jouer dans notre société.

Ce principe m'a guidée dans la gestion de la crise sanitaire touchant les EHPAD et les personnes âgées résidant chez elles. Il anime en outre le groupe de réflexion que j'ai instauré sur les enjeux éthiques. Ce groupe a produit un document destiné aux directeurs de structures accueillant des personnes âgées en perte d'autonomie. Il ne prétend pas leur apporter de réponses à toutes les situations complexes qu'ils rencontrent, mais les guider dans leur travail. Une charte éthique sur les valeurs et principes de l'accompagnement des aînés le complètera pour encadrer plus durablement la prise en charge des personnes âgées en perte d'autonomie en établissement. Loin de se vouloir des injonctions émises depuis Paris, ces documents, concrètement appliqués sur le terrain en s'appuyant sur les bonnes pratiques et les initiatives locales en la matière, aideront les professionnels dans leurs tâches quotidiennes en s'adaptant à leurs besoins.

Changer de modèle implique aussi de ne pas se soucier de l'isolement des personnes âgées uniquement pendant les crises épidémiques ou les canicules, mais de rassembler tous les acteurs qui luttent contre cet isolement – par exemple les associations, les élus locaux – pour mettre en place un accompagnement durable en décloisonnant les pratiques et en établissant des synergies sur les territoires. Le changement de modèle passera aussi par la revalorisation des métiers de ceux qui se sont distingués par leur engagement auprès de nos aînés pendant la crise sanitaire.

Le Gouvernement mobilise des enveloppes budgétaires sans précédent pour répondre aux attentes légitimes en la matière. D'abord, le versement d'une prime covid aux services d'aide à domicile a trouvé sa réalisation, grâce à un accompagnement de l'Etat, dans une démarche partenariale et concertée avec les départements, en mobilisant 80 millions d'euros. Ensuite, l'agrément de l'avenant 44 augmente de 2,5 % la valeur du point de rémunération des salariés de la branche de l'aide à domicile, c'est-à-dire deux tiers des structures. Enfin, un amendement que vous avez porté à l'unanimité lors de l'examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour cette année prévoit le versement à la CNSA de 200 millions d'euros par an pour revaloriser les salaires de ces professionnels dans le cadre de la négociation de l'avenant 43.

Les professionnels du secteur attendent beaucoup, et avec raison, de ces négociations avec les départements. Elles doivent trouver une issue favorable au cours de ce mois, pour aboutir à une revalorisation globale de 15 % ; cette revalorisation est essentielle et contribuera à rendre ces métiers plus attractifs. J'y vois en tout cas une condition indispensable pour traduire dans les faits le virage domiciliaire attendu par nos concitoyens.

Les salaires de tout un secteur trop longtemps délaissé augmentent grâce au plan du Ségur de la santé et du médico-social. Des travaux se poursuivent sous l'égide de Michel Laforcade pour donner suite à la clause de revoyure spécifique prévue par ce plan.

Avec la prime grand âge, les mesures de revalorisation du plan Ségur et leur récente extension, l'État mobilisera dorénavant plus de 8,4 milliards d'euros chaque année, dont 1,8 milliards pour le personnel des EHPAD.

Il faut changer la façon dont nous concevons la prise en charge des personnes âgées. Chacun devra trouver demain la solution d'hébergement adaptée à sa situation et à ses aspirations. Le plan de relance consacrera 2,1 milliards d'euros en cinq ans à la rénovation et à la transformation des établissements médico-sociaux après des années de disette. Nous devons construire l'EHPAD de demain  un établissement bien-traitant, plus sécurisant et plus ouvert sur la société, ou plus à même de la faire venir en son sein en se constituant par exemple en tiers-lieu.

Une enveloppe de 1,2 milliard d'euros financera la rénovation de 65 000 places en EHPAD d'ici à 2025. Dès la semaine prochaine, 450 millions d'euros iront aux agences régionales de santé (ARS) pour financer des appels à projets dédiés. Ce programme de rénovation immobilière soutiendra le nouveau modèle structuré en petites unités de vie plus chaleureuses, adaptées aux troubles cognitifs et aux aspirations de nos aînés.

En parallèle, débutera dès cette année la création de 30 000 places supplémentaires d'ici 2030. Un programme d'investissement en petits équipements à forte valeur ajoutée a été lancé pour les résidents et le personnel des EHPAD. Un budget de 300 millions d'euros financera le déploiement de rails de transfert, de fauteuils électriques et de capteurs de détection de chute.

Enfin, 600 millions d'euros seront consacrés en cinq ans à la mise à niveau numérique des établissements du grand âge et du handicap au travers du développement d'outils facilitant le quotidien des professionnels, pour qu'ils se coordonnent mieux et prennent mieux en charge les résidents.

Notre grande réforme de l'autonomie bat son plein. Elle tire les enseignements de la crise pour préparer la France à accompagner la transition démographique qui s'engage. Quand la crise que nous traversons se terminera enfin, que laissera-t-elle derrière elle ?

D'abord, un formidable élan de solidarité a vu le jour entre les générations. Des jeunes ont envoyé des cartes postales aux résidents d'EHPAD, d'autres allaient s'assurer que des personnes âgées de leur immeuble ou de leur quartier ne manquaient de rien. Des personnes âgées ont quant à elle donné de leur temps et de leur savoir pour répondre aux attentes des plus jeunes.

Je pourrais citer autant d'initiatives que vous le souhaitez, illustrant la solidarité entre des générations qui s'enrichissent mutuellement. À l'heure où certains voudraient créer un conflit entre générations dans notre pays, ces exemples sont porteurs d'espoir pour notre futur. Loin des polémiques, ces Français jeunes ou âgés agissent pour faire vivre au quotidien la fraternité dans notre République. L'année de crise sanitaire que nous venons de vivre a mis en exergue les fragilités de notre système social, qui n'est pas vraiment prêt à aborder une transition démographique pourtant appelée à s'accélérer sous peu. Cette dynamique rebat les cartes pour notre société, qui n'a rien connu de semblable depuis les guerres mondiales.

Les difficultés que rencontrent par ailleurs les plus jeunes nous interpellent. Pour éviter que les souffrances des uns et des autres ne débouchent sur une fracture générationnelle, nous devons sortir de la crise sanitaire en offrant à notre pays toutes les opportunités de développement suscitées par une société de longévité.

J'y vois le meilleur moyen de dépasser, en ouvrant le champ des possibles, les conflits que certains aimeraient provoquer. Ce quinquennat a réaffirmé la priorité du projet de loi sur l'autonomie, dont je souhaite qu'il réponde à ces questions. En cours de finalisation, il sera présenté dès que le permettront la situation sanitaire et le calendrier parlementaire. J'ai foi en notre capacité collective à faire aboutir cette grande réforme sociale annoncée par le Président de la République.

C'est ensemble que nous conjuguerons solidarité et transition démographique et c'est dans cette perspective que j'accueille volontiers vos questions.

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