Intervention de Valérie Six

Réunion du mercredi 17 mars 2021 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Six, rapporteure :

Malgré le nom trompeur de « gaz hilarant » donné au protoxyde d'azote, ce sujet n'est ni léger, ni drôle. Ce combat m'est cher, il a fait l'objet de ma première question au Gouvernement, et je suis fière et honorée de le mener dans le cadre de la niche parlementaire de mon groupe.

Le protoxyde d'azote, que l'on trouve dans tous les supermarchés afin de faire fonctionner des siphons à chantilly faite maison , est de plus en plus souvent utilisé pour ses effets psychoactifs, consistant en une hilarité et une distorsion des perceptions. Pour ce faire, seuls une cartouche de ce gaz, un cracker pour l'ouvrir et un ballon de baudruche pour le contenir sont nécessaires.

Autrefois limitée à certains milieux, notamment les facultés de médecine, la consommation de ce gaz est devenue une triste banalité, et voir des cartouches joncher les trottoirs de nos villes est monnaie courante.

En tant que députée du Nord, cette question me tient à cœur puisque les Hauts‑de‑France sont particulièrement touchés par ces pratiques. Toutefois, ce phénomène est observable dans l'ensemble de la métropole. Aucun de nos territoires n'est épargné. Les centres d'addictovigilance observent un nombre de cas d'exposition au protoxyde d'azote toujours plus élevé, tandis que les individus concernés sont de plus en plus jeunes.

Il est terrible de constater que beaucoup de jeunes croient que le protoxyde d'azote est inoffensif et sans danger. Après tout, le gaz hilarant produit des effets sympathiques, est légal et en vente libre partout ! La réalité est toute autre. Ses mésusages sont dangereux et peuvent avoir des conséquences graves, voire dramatiques.

La manipulation seule est risquée, pouvant provoquer brûlures et œdèmes pulmonaires au consommateur. Quant à son inhalation, elle a été à l'origine de décès par asphyxie et arrêt cardiaque, mais également de comas et de lésions neurologiques importantes, comme une paralysie des membres inférieurs ou des troubles de la mémoire.

L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) alerte également sur la reprotoxicité de ce produit qui, consommé par la femme enceinte, peut affecter le développement de l'enfant à naître.

L'autre danger de ce gaz est l'addiction que sa consommation peut entraîner. Le caractère fugace de ses effets invite à la répétition de l'expérience par le consommateur, et peut le pousser à une addiction caractérisée par des quantités de doses inhalées toujours plus extrêmes. On a vu le cas d'une personne ayant inhalé plus de 500 cartouches en vingt‑quatre heures ! Des cas de consommation quotidienne supérieure à plusieurs centaines de cartouches m'ont également été signalés.

La consommation chronique de protoxyde d'azote peut entraîner un déficit en vitamine B12. Cette carence peut conduire à l'apparition de graves lésions neurologiques, parfois irréversibles parmi lesquelles des neuropathies, d'expression parfois sévère, et des myélopathies, notamment des scléroses combinées de la moelle.

La dangerosité de ce gaz contraste fortement avec son statut et son accessibilité. Le protoxyde d'azote étant légal, il est facile de s'en procurer partout : dans les supermarchés, les épiceries de proximité ou en ligne, voire sur les réseaux sociaux, avec un service de livraison assorti ! Le prix dérisoire des cartouches de gaz joue un rôle non négligeable dans l'amplification du phénomène. Vingt-cinq euros suffisent à acquérir une bonbonne de grande capacité, contenant l'équivalent d'environ quatre‑vingts cartouches.

Des commerces physiques et en ligne ne font même plus semblant de destiner ces cartouches à la fabrication de chantilly faite maison, les uns proposant des lots de bonbonnes de grande capacité, tandis que d'autres mettent en vente des kits, incluant des cartouches ou bonbonnes, des crackers et des ballons de baudruche. Certains sites proposent même des tanks, contenant bien plus d'une centaine de cartouches.

Cela ne peut plus durer. Les maires de nombreuses villes ont tenté de remédier au phénomène par le biais d'arrêtés municipaux. Seulement, leur bilan démontre les limites d'une approche locale. Il suffit pour les consommateurs de se rendre dans la rue d'à côté, dans un autre parc ou dans la commune voisine pour se procurer du protoxyde d'azote et le consommer sur la voie publique.

Il est donc nécessaire de prendre des mesures nationales fortes pour soulager nos maires et nos concitoyens. Le Sénat a pris les choses en main en adoptant, à l'unanimité, une proposition de loi en 2019. Ce texte ambitieux vise un équilibre fragile entre la lutte contre ces pratiques et le fait que le protoxyde d'azote reste un produit de consommation courante. Il n'est pas interdit à la vente et n'est pas une substance psychoactive. Il est donc inenvisageable, à ce stade, d'interdire ou, plus encore, de pénaliser sa consommation.

Ce ne sont ainsi pas les consommateurs que nous souhaitons pénaliser, mais les vendeurs mal intentionnés et les trafiquants. Parallèlement, concernant les consommateurs, souvent très jeunes, nous souhaitons mettre l'accent sur la prévention.

Cette proposition de loi cherche également à trouver l'équilibre entre la lutte contre ces pratiques au niveau national et le respect du droit européen. Au vu des dispositions qu'elle contient concernant l'étiquetage et les restrictions à la vente, elle devra être notifiée à la Commission européenne. Les restrictions que nous imposons devront donc être proportionnées par rapport à l'objectif recherché de préservation de la santé publique. Une voie de passage est possible entre ces objectifs à concilier, le Danemark et la Belgique l'ont fait il y a quelques mois.

Le Sénat a ainsi créé un délit de provocation des mineurs à faire un usage détourné d'un produit de consommation courante pour en obtenir des effets psychoactifs. Ce délit est inspiré de ce qui existe depuis 2016 pour l'alcool. Cet article et la proposition de loi ne se limitent donc pas au protoxyde d'azote mais permettront d'englober d'autres produits, comme l'hélium, et surtout d'éviter le développement de nouvelles modes similaires.

Le Sénat a également interdit la vente de protoxyde d'azote, y compris de siphons à chantilly, aux mineurs. L'interdiction concerne la vente directe comme en ligne. Les sites internet devront la signaler. Enfin, des dispositions relatives à la prévention de la consommation ont été adoptées.

Je remercie nos collègues sénatrices, Valérie Létard et Jocelyne Guidez, pour la détermination dont elles ont fait preuve pour faire adopter ces dispositions. J'ai travaillé avec elles pour préparer le passage à l'Assemblée nationale, car nous souhaitons que le Sénat puisse, dès que possible, adopter ce texte conforme. La navette parlementaire est l'occasion d'aller plus loin pour empêcher ce fléau de se développer.

Tout d'abord, nous pouvons ne pas cantonner la proposition de loi aux seuls mineurs. Davantage de jeunes majeurs abusent de cette pratique, toutes les personnes auditionnées nous l'ont signalé. Selon l'ANSES, l'âge moyen des cas recensés par les centres antipoison est de vingt et un ans. Envoyons un signal fort.

Je souhaite également étendre l'interdiction de la vente aux mineurs à tous les lieux, publics comme privés, notamment les soirées étudiantes, agir quant aux quantités vendues et à la taille des contenants, et interdire la vente de crackers et autres accessoires dédiés à l'inhalation du gaz hilarant. Les bonbonnes, tanks ou fontaines à protoxyde doivent disparaître, elles n'ont aucun autre usage que l'inhalation ! Le Danemark a récemment légiféré pour limiter le nombre de cartouches pouvant être vendues à des particuliers. J'ai déposé des amendements en ce sens.

Cette proposition de loi, seule, ne sera pas suffisante. Ne relâchons pas nos efforts. Elle ne sera tout d'abord utile que si des moyens de contrôle sont effectivement déployés pour assurer son application, notamment concernant l'interdiction de vente aux mineurs. Des mesures complémentaires, ne relevant pas du domaine de la loi, doivent être prises.

Au‑delà de la proposition de loi, la prévention doit évidemment être notre priorité. J'aimerais ainsi créer avec la grande distribution une charte spécifique, à l'image de celle qu'ont signée en 2019 les représentants du secteur et ceux de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA), afin de responsabiliser les distributeurs, notamment pour l'interdiction de vente aux mineurs.

En matière de sécurité routière, les travaux sur la dangerosité de la consommation de protoxyde d'azote au volant restent à approfondir.

Enfin, j'espère vivement que des avancées auront lieu au niveau européen, qui reste la meilleure échelle pour lutter contre les mésusages. Par cette proposition de loi, nous disons, comme la Belgique ou le Danemark avant nous, qu'il faut agir.

La proposition de loi présente un dispositif innovant, montrant notre volonté d'avancer. Je ne doute pas que, comme au Sénat, elle fera l'unanimité malgré des débats sur certains points.

Cette question est transpartisane, le groupe La France insoumise a notamment déposé très tôt une proposition de loi à ce sujet. Je serai évidemment ouverte, durant nos discussions, aux amendements et remarques issus de tous les bancs.

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