Intervention de Alice Casagrande

Réunion du mardi 30 mars 2021 à 17h15
Commission des affaires sociales

Alice Casagrande, présidente de la Commission pour la lutte contre la maltraitance et la promotion de la bientraitance :

Madame Vidal, vous m'avez demandé, ainsi que certains de vos collègues, quelles sont les prochaines étapes. Elles sont de trois ordres.

La première étape est de l'ordre de la pédagogie, hier, demain et après-demain, tout de suite et pour longtemps. Elle consiste à créer des supports adaptés, faciles à lire et à comprendre, à élaborer de petits films YouTube permettant la sensibilisation, à élaborer des programmes de formation disponibles sur smartphone ou en e-learning avec les associations que cela intéresse et auxquelles je donne volontiers mon expertise pour qu'elles l'apportent à leurs salariés, à condition que le résultat soit ensuite en accès libre. Nous avons donc énormément de travail autour de la pédagogie. Il faut faire connaître, faire comprendre et faire débattre.

Comme vous le verrez, le dernier élément à la fin du dossier est une contradiction : une personne du CNCPH ayant exprimé un désaccord avec notre proposition, nous avons pensé qu'il était logique, afin de permettre la pédagogie et l'appropriation, de terminer notre proposition par une contradiction. J'espère que Marc Delatte reconnaîtra un signe propre à ceux qui aiment la philosophie éthique dans ce fait de terminer notre proposition par une contradiction.

La deuxième étape sera, nous l'espérons, l'inscription dans le code de l'action sociale et des familles ainsi que dans le code de la santé publique. Cela rejoint une autre question : nous avons besoin d'une loi. Nous n'avons pas besoin d'inscrire dans la loi la définition de la maltraitance ; nous souhaitons pouvoir la réévaluer de façon périodique et il est donc peu souhaitable d'inscrire la définition elle-même dans la loi. En revanche, nous avons besoin d'une accroche qui permette la modification du code de l'action sociale et des familles ainsi que du code de la santé publique. Nous ne pensons pas que le terrain soit mûr actuellement pour une modification du code pénal.

La troisième étape est la recherche-action, que je détaillerai ultérieurement.

Monsieur Perrut, je suis parfaitement d'accord avec vous : nous avons un problème d'invisibilité. J'en veux pour preuve deux faits : savez-vous qu'un tiers des féminicides en France concerne des femmes de plus de 75 ans ? Savez-vous que, lorsque ces chiffres ont été présentés au ministère de l'intérieur, ils n'ont absolument pas retenu l'attention médiatique ? Nous avons un problème de chiffres connus que personne ne comprend, ne regarde ou ne veut voir.

De même, vous savez que nous redécouvrons en ce moment les violences sexuelles sur les mineurs. Malheureusement, les professionnels de la protection de l'enfance, de la protection judiciaire de la jeunesse ou de l'aide sociale à l'enfance les connaissent. Nous n'avons donc pas un problème uniquement de chiffres, bien que nous en ayons évidemment un : nous avons un problème d'acceptation de voir ce que nous voyons, pour paraphraser Charles Péguy.

Je ne suis pas favorable au référent prévention. Je crois que c'est lui donner une trop lourde tâche. Dans un établissement, c'est à un directeur et à son encadrement de faire de la prévention. J'ai connu des éducateurs spécialisés ou des cadres de santé, référents bientraitance ou référents maltraitance, qui devenaient les confidents d'une manière absolument intenable de situations dont on venait leur parler parce qu'on avait confiance en eux et qu'ils le garderaient pour eux, ce qui était donc totalement inefficace. Je ne suis donc pas pour un référent prévention. Je crois que le référent prévention est celui qui fait le travail : le cadre, le directeur. Ce n'est pas un travail facile, je vous le concède, mais je ne crois pas qu'il faille multiplier les référents. Les référents, comme les ambassadeurs dans les cultures d'entreprise, ont en fait leurs limites.

Vous m'interrogez, monsieur le député, sur le choix des personnes de confiance par les personnes âgées. Ces dispositifs sont-ils suffisamment efficaces ? Je pense qu'il faut moderniser ce dispositif, qu'il faut harmoniser les codes parce que des personnes de confiance sont prévues dans le code de la santé publique et dans le code de l'action sociale et des familles, avec des repères différents. Les Français n'étant déjà pas très portés à l'anticipation de leur vulnérabilité, le fait que les codes ne tiennent pas le même discours embrouille encore la situation. Le dispositif est donc tout à fait perfectible.

Vous me posez également la question de la reconnaissance des personnes âgées, handicapées ou en situation de handicap. Je suis tellement d'accord avec vous que je voudrais revenir sur un mot de la définition, le mot « développement ». Ce mot prévaut normalement pour les mineurs, considérés comme en développement : tout ce qui porte atteinte à leur développement est une forme de maltraitance.

Nous prétendons que cela s'applique également aux majeurs. Nous prétendons que, à 18 ans, les personnes ne cessent pas de se développer. Cela devient plus ambitieux dans le cas de personnes très âgées ou de personnes en situation de handicap. Nous prétendons que toute personne, tout adulte est en croissance, en croissance spirituelle, en croissance physique et sensorielle, en croissance interrelationnelle, en croissance de tous ordres et qu'il est fou que nous en soyons venus à considérer que le développement ne concernait que les mineurs. Dans la formation permanente par exemple, le champ du développement des adultes apparaît bien comme reconnu. Nous considérons donc que reconnaître les adultes et les personnes âgées ou en situation de handicap consiste à les reconnaître comme en croissance.

Pardonnez-moi, mesdames et messieurs les députés, de vous dire qu'il faut en finir avec Charles de Gaulle sur au moins un point : « la vieillesse est un naufrage ». Nous avons tous entendu cette citation, nous savons tous à qui elle s'adressait. Il faut en finir avec cette conviction installée dans la culture collective au nom d'une phrase qui avait peut-être sa pertinence – je ne suis pas là pour en juger – mais qui a provoqué et provoque maintenant des dommages. Il nous faudra de la détermination pour faire sauter ces repères culturels très ancrés.

Madame Goulet, vous m'interrogez sur le lien avec le rapport de la Défenseure des enfants et vous avez parfaitement raison. Les lieux qui doivent être des lieux de la protection de l'enfance sont des lieux où il est établi que les violences sexuelles entre mineurs sont, je ne dirai pas monnaie courante mais, en tout cas, sont un fait avéré. Nous n'avons pas encore réussi à mettre dans les établissements de protection de l'enfance des dispositifs qui font leurs preuves dans les hôpitaux comme les retours d'expérience par exemple. Ces dispositifs sont bien connus dans le monde de la santé mais sont aujourd'hui moins utilisés dans les établissements de protection de l'enfance. Nous avons à faire progresser la culture qualité grâce à des outils et à des savoirs disponibles mais pas encore assez mobilisés.

Comment faire entrer la bientraitance malgré les limitations financières ? La maltraitance coûte très cher donc cela dépend de l'échéance que vous vous donnez. Je ne vais pas du tout prétendre vous dire qu'investir en qualifications et en effectifs ne coûte pas de l'argent. Je suis bien placée pour le savoir et, avec Dominique Libault et Myriam El Khomri, j'ai eu l'occasion de voir à l'œuvre de très grands serviteurs de l'État qui m'ont montré une infinité de choses que je ne comprenais pas du tout avant de les rencontrer.

Quoi qu'il en soit, mon constat est que la bientraitance n'est pas une simple question financière. C'est une question de représentation et de mobilisation du corps social. Or le corps social ne se mobilise pas pour les vieux actuellement et je ne suis pas sûre que le CNCPH soit suffisamment mobilisé pour les personnes en situation de handicap.

Il est impossible de faire de la bientraitance sans un minimum de moyens. Il faut que le corps social accepte aujourd'hui que ces moyens minimaux soient mis pour sa vieillesse et sa très grande vieillesse. Nous voyons finalement une résignation au fait que la vieillesse est une déchéance et que, d'une certaine façon, cette déchéance est un grand tout qui ne vaut pas la peine de se battre. C'est un des vrais problèmes à résoudre. Nous ne disposons pas des ambassadeurs que nous avons pour la planète, pour les arbres ou pour les animaux.

Passons aux outils législatifs manquants. Il nous faut une loi pour installer cette définition et pouvoir travailler. Je vous cite tout de suite la proposition de votre collègue sur les questions de casier judiciaire et de FIJAIS : bien sûr, il nous faut une telle loi et il est aberrant que nous prenions pour les mineurs des précautions que nous n'avons pas pour les majeurs vulnérables.

Si nous suivons cet ordre d'idée, pourquoi avons-nous des cellules de recueil des informations préoccupantes pour les mineurs et rien de tel pour les majeurs ? Pourquoi le 119 emploie-t-il des salariés alors que le 3977 fonctionne avec des bénévoles ? Ce sont tout de même des questions troublantes. J'insiste sur le fait que la transversalité permet de ne pas opposer les tout-petits et les très âgés ou les personnes vulnérabilisées par le handicap. Il faut prendre les enseignements des uns pour les autres.

Nous avons besoin de mesures législatives pour installer une définition, pour installer une possibilité de pilotage. Nous ferons en sorte, dans cette recherche-action, de nourrir cette politique publique, de lui donner un contenu, des évaluations et des données probantes. Je voudrais aussi que, sans attendre, les propositions concernant le casier judiciaire et le FIJAIS soient installées. Le véhicule législatif serait aussi très utile sur les questions de personne de confiance que soulevait M. Perrut.

Madame Chapelier, vous avez eu la gentillesse de rappeler cette question du sens et, effectivement, de voir à quel point cette question a explosé lors de la crise du covid. Il me semble pouvoir ajouter un point à la question que vous avez soulevée. Vous avez parlé du problème relationnel aux aînés. Je suis parfaitement d'accord et je pense qu'il s'est produit un enrôlement sécuritaire qui, chez certains, a été un enrôlement consenti à toute vitesse parce que l'effort de l'autre est un effort permanent.

Lorsque quelqu'un a peur, il économise son énergie et a moins de disponibilité à l'effort. Rencontrer un malade d'Alzheimer, prendre son temps, le laisser déambuler, être attentif et doux avec une personne polyhandicapée pendant une toilette sont des gestes qui demandent une énorme énergie, l'énergie du « care », de la sollicitude, du prendre soin.

Oui, nous nous sommes tous précipités vers une sécurisation automatisée et j'ajoute que nous avons fait disparaître les instances de la démocratie sanitaire. Dans les établissements comme au niveau des régions, les instances de débat ont disparu. Cela a laissé une certaine amertume à toutes les personnes qui s'investissent dans la démocratie sanitaire. Elles ont été congédiées au motif qu'il s'agissait d'un problème sérieux et urgent et qu'il n'était donc pas utile de réfléchir avec elles.

Il faut plus de personnel et mieux formé, revaloriser les métiers de l'autonomie, commencer par ne pas les prendre en pitié. La pitié est une autoroute de facilité consistant à dire : « Oh la la, vous avez vraiment du mérite ! Moi, je ne le ferais pas. Vous êtes courageux ! » Pendant mes premières années de carrière, les auxiliaires de vie d'EHPAD m'en ont beaucoup parlé et m'ont dit à quel point cela ne les aidait pas.

Nous devons les estimer mais les estimer consiste à leur permettre d'évoluer, de se former, d'exercer des responsabilités même à de bas niveaux de qualification car des personnes peuvent être extrêmement bien armées pour assumer un certain nombre de responsabilités. Je rappelle que, au domicile, si les personnes ne sont pas formées pour être responsables, c'est une catastrophe et nous n'avons dans ce cas personne pour réguler. Tout se passe entre les familles, la personne et le professionnel. Cela donne le meilleur mais aussi le pire.

Quels sont les leviers à actionner pour lutter contre l'âgisme ? Nous utilisons les mots « situation de vulnérabilité » parce que, pour nous, la discrimination est une forme de maltraitance et l'âgisme, la ségrégation constituent un fléau dont il faut se départir.

Je ferai référence à une autre de mes casquettes militantes, un plaidoyer qu'Agnès Buzyn a signé voici deux ans : « associons nos savoirs ». Ce plaidoyer propose d'installer à l'école, au collège, à l'université, dans les formations des travailleurs sociaux et des acteurs de la santé la mobilisation des savoirs expérientiels. De quoi s'agit-il ? Pour installer une culture de la non-ségrégation, il faut qu'une personne handicapée ou très âgée, une ancienne personne détenue ou une ancienne prostituée puissent venir parler aux élèves de ce qu'est la citoyenneté. Autrement dit, nous n'avons pas besoin de mobiliser seulement nos enseignants, nos professeurs et nos formateurs de futurs médecins, de futurs travailleurs sociaux. Nous pouvons et nous devons reconnaître que la situation d'avancer en âge, peut-être de perte d'autonomie fonctionnelle, la situation de handicap, la situation de précarité enseignent des savoirs expérientiels que les jeunes étudiants sont passionnés de découvrir.

Dans une expérience menée à Vancouver depuis dix ans, Angela Towle de l'université de Colombie-Britannique fait former tous les futurs médecins, sages-femmes, kinésithérapeutes, dentistes, infirmiers par des tuteurs qui sont soit des malades chroniques, soit des personnes en situation de handicap ou de précarité. Ces tuteurs enseignent à ces étudiants ce qu'est l'interdisciplinarité et comment travailler autour et avec une personne. De telles initiatives modernisent l'enseignement, donnent accès aux élèves à la vraie vie qu'ils connaissent de toute façon mais, au lieu que cette vraie vie soit un extérieur renié par la République, nous la faisons entrer dans un partage d'expérience qui est le propre de la démocratie. Je cite ainsi John Dewey.

Madame Martine Wonner, vous m'avez demandé si la crise covid a abouti à une lecture très chosifiante des personnes âgées. J'en suis absolument convaincue, avec une utilisation à outrance d'un certain nombre de médicaments et de dispositifs. Je crois que, dans un certain nombre de cas, les alertes qui nous sont parvenues au titre de la commission nationale de maltraitance stupéfieraient les personnes qui pensent que le covid a été un moment où nous nous sommes pleinement mobilisés pour les aînés. Des équipes m'ont dit : « C'est bien parce que, maintenant, les familles ne viennent plus. On n'est pas embêtés. » Des personnes m'ont raconté que la cadre de santé a dit à des familles qui, sur un parking d'EHPAD, parlaient à leur maman sur un balcon : « Il ne faut pas revenir parce que vous allez répandre le covid. »

Ce covid a permis de dire n'importe quoi et de légitimer des pratiques de panique. Personne ne peut parler pour ceux qui étaient en place à ce moment. Le covid a légitimé des pratiques de panique mais aussi des amertumes puisque les primes qui ont été accordées ont laissé des équipes très fracturées entre ceux qui en ont bénéficié et ceux qui n'en ont pas bénéficié. Certaines équipes n'ont pas été unifiées mais rendues amères par ces primes.

Il ne me revient pas de rentrer dans les détails mais, madame Wonner, je partage absolument votre analyse. Nous avons eu des déchirements, des soignants exposés à des morts en masse, des étudiants absolument bouleversés. Comment faire la part des choses entre ceux qui ont été bouleversés et se sont battus du fond du cœur, ceux qui ont été enrôlés très vite, pour mille raisons, dans des postures figées, automatisées, robotisées ? Nous ne le saurons jamais et ce n'est pas moi qui peux dire quoi que ce soit mais je sais qu'il est temps de guérir un certain nombre d'amertumes et de folies sécuritaires.

Pour cela, il faudra parler, les nommer et je vous remercie d'entendre ce mot « maltraitance », de comprendre qu'il est complémentaire du mot « bientraitance ».

Madame Limon, vous avez rappelé que, selon les chiffres de l'OMS, une personne âgée sur dix vit la maltraitance. Combien de cas sont-ils signalés ? Nous avons un problème à tous les étages : dans les familles, dans les établissements et nous savons que, dans ce secteur, les lieux les plus secrets sont l'hôpital et les lieux qui accueillent des personnes handicapées. Pour les personnes handicapées, les autorités de régulation enregistrent très peu de signalements par rapport aux personnes âgées. À l'hôpital, nous avons un vaste ensemble « d'événements indésirables graves liés aux soins » dans lequel se noient les actes de maltraitance.

Comment faire pour y répondre ? Madame la députée, nous n'avons pas d'argent et nous n'avons pas de pouvoir. Pour agir, nous écouterons les acteurs sur les territoires, les parquets, les travailleurs sociaux des départements, les médecins des ARS, les policiers, les forces de l'ordre, les gendarmes, les bénévoles d'ALMA... Nous les écouterons sur ce qu'ils font déjà, nous les écouterons débroussailler et raconter les situations. Grâce à la CNSA, nous étudierons ce qui fonctionne, pas pour proposer un modèle car je ne me vois pas proposer les mêmes dispositifs à Dominique Versini qui lance le plan « Paris contre les violences faites aux aînés » et à de tout petits villages ruraux.

Nous essaierons de modéliser des configurations et des invariants. Il ne faut pas que cela coûte de l'argent car les départements, les ARS et nos partenaires n'en ont pas. Nous n'en avons pas non plus pour rembourser ceux qui souhaiteraient participer. Cela signifie que, une fois par mois, en visioconférence, tous les acteurs volontaires sur les territoires viendront exposer une situation et la soumettre à l'intelligence collective. Naturellement, les acteurs présents pourront immédiatement donner leurs outils, leurs protocoles, leurs bonnes pratiques. Tous gagneront donc tout de suite, sans attendre la fin de la recherche-action, et nous pourrons, grâce à un comité de pilotage de chercheurs et au recrutement de professionnels, analyser et voir ce qui fonctionne ou non. Nous en tirerons des éléments pour moderniser la politique publique.

Madame Firmin Le Bodo, l'actualité du jour est le rapport des Petits Frères des pauvres. Je ne l'ai pas lu mais je l'ai vu et parcouru. Pour avoir été destinataire d'alertes, je ne suis pas du tout étonnée par son contenu.

Je pense que le grand mérite de ce rapport est de mettre l'accent, comme savent si bien le faire les Petits Frères des pauvres, sur les personnes au domicile donc les personnes dans leur vie ordinaire. Ils mettent l'accent sur la souffrance sociale, l'isolement et, notamment, j'ai été très frappée par la grande douleur morale de la perte d'utilité. Énormément de personnes âgées avaient l'habitude de contribuer en étant bénévoles ici ou là, ou tout simplement dans leur famille même si cela n'a rien de simple. Ces personnes agissaient dans la sphère personnelle et familiale, dans la sphère citoyenne. Je trouve que c'est aussi le mérite du texte que l'ONU a fait paraître en pleine crise covid sur les personnes âgées : rappeler que le mot « personnes âgées » ne doit pas nous faire oublier combien sont actives et même très actives.

En ce qui concerne les questions de casier judiciaire, je souscris tout à fait, madame, à l'alerte que vous émettez sur les femmes en situation de handicap victimes de violences sexuelles. Hilary Brown, qui était dans notre groupe de pilotage et a piloté les travaux du Conseil de l'Europe en 2002, a découvert qu'une écrasante majorité de ces femmes en situation de handicap avaient eu leur premier rapport sexuel debout lorsqu'elle a fait sa première étude sur la désinstitutionalisation et la vie des femmes handicapées, aux États-Unis dans les années 2000. Elle n'a pas tout de suite compris ce que signifiait ce fait clinique et n'a réalisé qu'au bout d'un certain temps qu'il s'agissait en fait de la concrétisation d'un rapport sexuel non consenti, expéditif et violent. Je souscris donc, madame la députée, à la nécessaire vigilance que vous appelez.

Madame Josiane Corneloup, vous nous avez parlé des personnels d'EHPAD épuisés, exaspérés, perdus, relativement en colère je crois aussi. Des personnels d'EHPAD se trouvaient sur les ronds-points. Cette colère sociale n'est pas à ignorer. À mon avis, pour le moment, elle n'est pas entendue à sa juste mesure, ni pour les salariés au domicile ni pour ceux des EHPAD.

Vous n'ignorez pas que, aujourd'hui, le monde du handicap s'interroge beaucoup sur l'avenir. Le « Ségur » a créé des comparaisons entre ceux qui en sont et ceux qui n'en sont pas, comme la prime covid avait créé des jalousies entre ceux qui étaient présents mais ne l'ont pas eue et ce qui l'ont eue alors qu'ils n'ont rien fait. Les employeurs ne peuvent pas départager les salariés et un malade a évidemment droit à la prime accordée à tous.

Je suis convaincue qu'il faut disposer de plus de temps pour les personnes âgées mais le temps passé avec les personnes âgées est un temps de mobilisation qui exige de surmonter certaines réactions défensives : du dégoût, de la lassitude, parfois des problèmes personnels puisque les salariés en EHPAD ou au domicile peuvent être des femmes en situation précaire, en situation familiale difficile.

Il existe des méthodes, dont l'humanitude que vous avez citée. Je cite aussi la méthode de la validation, la méthode Montessori. La méthode « humanitude » a été évaluée par le conseil scientifique de la CNSA, qui a déduit des données dont il disposait que cette méthode était passionnante mais pas plus probante que d'autres. Autrement dit, ce qui fait du bien aux professionnels est que l'on s'occupe d'eux. Comme vous le précisez, il est important de s'occuper de tous, aussi bien de la secrétaire d'accueil, de l'agent d'entretien et du jardinier que des soignants. Je crois que ces méthodes sont très utiles car elles constituent un refus de résignation et montrent qu'il est possible d'agir, que cela peut marcher. Je n'irai pas jusqu'à privilégier une méthode plutôt qu'une autre mais je pense que ce sont de formidables encouragements à l'action, des encouragements dont nous avons besoin.

Monsieur Marc Delatte, vous avez rappelé l'importance de la question de la maltraitance institutionnelle et je vous en remercie. Je vois certaines ARS être un peu troublées, me demander ce qu'elles peuvent répondre aux directeurs qui leur disent qu'elles sont maltraitantes et que c'est finalement l'ARS qui crée la maltraitance institutionnelle. J'ai répondu que des personnes étaient épuisées, qu'une ARS connaît très bien les jeux de rôle qui ont lieu lorsqu'un directeur explose mais qu'un directeur d'ARS sait aussi reconnaître la mauvaise foi et l'instrumentalisation et doit donc réagir au cas par cas.

Comme vous l'avez relevé, monsieur Delatte, cette maltraitance institutionnelle est une attitude qui n'est pas toujours consciente. J'en veux pour preuve l'exemple de stagiaires qui, au bout de quelques jours dans une institution, se mettent à tutoyer tout le monde. Ce n'est pas révélateur du stagiaire mais de la culture dans laquelle il évolue.

Comment lutter contre une maltraitance institutionnelle ? Il faut commencer par la nommer mais la nommer n'est nullement exclusif de la responsabilité personnelle. Les établissements délétères voient proliférer les vols, les insultes, les violences de tous ordres, les négligences, les retards... La maltraitance institutionnelle ne signifie pas que la responsabilité personnelle n'est pas engagée car il existe aussi, dans des institutions malades, des cruautés individuelles qui justifient la vigilance dans l'analyse.

Comment apprendre la conscience ? Comment réveiller la conscience ? J'avais fait trois propositions au moment du rapport Libault et du rapport El Khomri. La première est la participation des personnes concernées, âgées, en situation de handicap, des aidants, des personnes précaires etc. à la formation des enfants, des adolescents, des étudiants, notamment en médecine et en travail social. C'est la logique que j'appelle « associons nos savoirs ».

Ma deuxième proposition provient de mon sentiment que nous avons besoin de nous réveiller perpétuellement. J'avais proposé que les étudiants en stage – étudiants infirmiers, assistants sociaux, éducateurs spécialisés – soient placés en situation de recueil de la satisfaction des personnes accueillies, avec l'appui bien sûr de documents de la Haute Autorité de santé. Nous savons bien qu'un questionnaire d'hôtel n'est pas adapté à des personnes vulnérables et que la peur des représailles ou des problèmes de confidentialité empêchent de recueillir des informations fines. C'est pourquoi j'avais proposé de faire appel à des étudiants. La sensibilité étudiante est vite enrôlée dans des attitudes puériles, infantilisantes pour eux et pour les autres mais les étudiants constituent aussi des ressources extraordinaires d'indignation, de non-résignation. Pourquoi ne pas leur apprendre à se défaire du collectif d'équipe auquel ils cherchent tellement à participer et à appréhender aussi la perception individuelle ?

Le dernier levier que je propose est constitué de campagnes de communication. Le ministère vient de communiquer à nouveau sur les violences faites aux femmes, sur les numéros d'appel pour les enfants. Avez-vous vu l'équivalent pour les adultes ? Non ; je vous ai cité le 119 et le 3977, les cellules de recueil d'informations préoccupantes et j'ai précisé l'absence dans la loi de tels dispositifs pour les adultes.

Pourquoi avons-nous besoin de penser de manière cloisonnée alors que personne ne nous le demande ? Nous trouverions de nombreux bénéfices à considérer la personne humaine comme un continuum d'apprentissages et de régressions, de forces et de fragilités. C'est cela qui constitue un citoyen.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.