Intervention de Olivier Falorni

Réunion du mercredi 31 mars 2021 à 15h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Falorni, rapporteur :

Le 4 mars dernier, Paulette Guinchard, qui fut secrétaire d'État chargée des personnes âgées du 28 mars 2001 au 6 mai 2002, a décidé de mettre fin à ses jours, à l'âge de 71 ans, en recourant au suicide assisté en Suisse. Elle était atteinte d'une maladie neurodégénérative. Sa pathologie l'a amenée à prendre une décision qu'elle n'aurait sans doute pas imaginée quelques années plus tôt. Ainsi, en avril 2005, elle signait une tribune dans Le Monde pour défendre le choix de la France d'écarter la légalisation de l'euthanasie, contrairement aux Pays-Bas et à la Belgique. Cette décision a sans aucun doute été le fruit d'une longue réflexion personnelle sur le sens de la vie.

Pourquoi vouloir rester jusqu'au bout quand vous savez que vous êtes condamné à court terme, et que vos souffrances physiques et psychiques seront, en dépit des progrès de la médecine et du dévouement des soignants, réfractaires à tout traitement thérapeutique ? Pourquoi endurer une cruelle agonie quand la mort peut vous délivrer d'une vie qui n'est plus qu'une survie douloureuse sans espoir de guérison ? Ces questions existentielles, nous sommes tous amenés à nous les poser un jour, pour nous-mêmes ou pour nos proches.

La crise sanitaire que nous traversons, malheureusement, depuis plus d'un an, a encore accentué cette réflexion de fond parmi une large majorité de nos concitoyens. Dès lors, en quoi ne serait-il pas opportun pour nous, représentants de la nation, de nous interroger sur les conditions et les modalités de la fin de vie des Français ? Bien au contraire, cela me semble plus que jamais nécessaire. Une réponse ici et maintenant s'impose comme une impérieuse nécessité.

Depuis une vingtaine d'années, plusieurs évolutions législatives ont eu lieu. La loi Leonetti du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie, a interdit l'obstination déraisonnable, afin d'éviter tout acharnement thérapeutique. Elle a aussi reconnu le droit de toute personne en fin de vie de décider d'arrêter ou de limiter ses traitements. La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite « loi Claeys-Leonetti », a reconnu la possibilité de recourir, dans certaines conditions, à une sédation profonde et continue jusqu'au décès, par le biais de l'arrêt de la nutrition et de l'hydratation.

Contrairement à ce que l'on entend dire çà et là, ces lois ont fait l'objet d'un suivi ou d'une évaluation par divers organismes, tels que l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), le Comité consultatif national d'éthique et des sciences de la vie (CCNE), le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), ainsi que par l'Assemblée nationale, dans le cadre du groupe d'études sur la fin de vie, qui réalise depuis trois ans un travail remarquable.

Certes, on peut saluer certaines avancées permises par ces lois. La prise en compte de la volonté des patients par les équipes médicales a été améliorée, tout comme celle de la parole de l'entourage, notamment de la personne de confiance s'il s'agit d'un patient inconscient.

Toutefois, notre droit souffre toujours de plusieurs failles et insuffisances majeures. Certaines notions, telles que l'obstination déraisonnable, ne sont pas toujours appréhendées à l'identique par les équipes soignantes. Il en va de même de certains critères déterminant la mise en œuvre de la sédation profonde et continue jusqu'au décès. Surtout, cette technique soulève des questions. Dès lors que l'arrêt de la nutrition et de l'hydratation du patient peut le placer dans une situation susceptible de durer plusieurs jours, voire plusieurs semaines, peut-on sincèrement considérer cela comme humainement tolérable ? Dans ces conditions, comment ne pas comprendre que certains de nos concitoyens, parce qu'ils sont atteints d'un cancer généralisé, d'une sclérose en plaques ou de la maladie de Charcot en phase avancée, souhaitent abréger leur vie ? Pourquoi leur refuser le droit de mourir sereinement de façon apaisée ?

En refusant jusqu'à présent de légaliser toute aide active à mourir, la France a fait preuve d'une grande hypocrisie. Face à l'absence de solution institutionnelle, deux types de réponse ont vu le jour : l'exil dans les pays frontaliers pour y mourir et la pratique d'euthanasies clandestines dans notre pays.

Tout d'abord, de plus en plus de malades décident de se tourner vers la Belgique ou la Suisse pour mettre un terme à leur vie. Ces départs à l'étranger constituent indéniablement une souffrance supplémentaire pour ces personnes et pour leur entourage. Il s'agit en quelque sorte d'une double peine. J'ai auditionné la semaine dernière le docteur belge Yves de Locht, qui reçoit quotidiennement des patients français demandant une euthanasie. En raison de l'afflux de patients étrangers, de plus en plus de médecins et d'établissements belges refusent les demandes d'euthanasie de patients français.

Ensuite, il n'est pas rare que des médecins français procèdent à des euthanasies clandestines pour mettre fin aux souffrances de leurs patients, parfois à l'insu de ces derniers et de leurs proches. Selon une étude de l'Institut national d'études démographiques, on en compterait entre 2 000 et 4 000 par an. Pire : les deux tiers de ces euthanasies clandestines seraient réalisés à l'insu des patients et de leurs proches. Pour reprendre les mots du CESE, cette pratique est totalement inacceptable.

Les législations relatives à l'aide à mourir en vigueur dans des pays étrangers n'incitent pas les personnes atteintes d'affections graves et incurables à se résigner à la mort en l'anticipant à l'excès. Ainsi, la légalisation de l'euthanasie en Belgique n'a pas entraîné sa prolifération. En revanche, elle a permis d'en améliorer le suivi et le contrôle, car elle avait déjà cours, là-bas aussi, de façon illégale.

En matière d'accompagnement des patients en fin de vie, la Belgique, contrairement à la France, n'a pas fait le choix d'opposer les soins palliatifs et l'aide active à mourir. En 2002, elle a adopté successivement trois lois : une première pour légaliser l'euthanasie, une deuxième pour développer les soins palliatifs et une troisième pour préciser les relations entre les patients et le corps médical. Vingt ans après, on ne peut que constater que la légalisation de l'euthanasie n'a pas empêché l'instauration d'un système de soins palliatifs performant en Belgique. Le législateur belge a conçu les soins palliatifs et l'euthanasie comme deux solutions complémentaires : d'un côté, des moyens pour soulager les patients souhaitant laisser arriver la mort ; de l'autre, une solution permettant aux patients qui le demandent d'en déclencher l'arrivée.

En France, nous n'avons guère avancé sur les soins palliatifs. Les moyens financiers et humains qui leur ont été alloués n'ont jamais été à la hauteur de l'ambition affichée. Entre 20 % et 25 % des mourants seulement y ont accès ; un département sur quatre ne compte aucune unité de soins palliatifs. On ne peut qu'être dans l'expectative à l'annonce d'un nouveau plan national d'accompagnement de la fin de vie et des soins palliatifs.

Que devons-nous faire ? Développer les soins palliatifs, à l'évidence. Le Gouvernement aura sans doute l'occasion de dire, en séance publique, ce qu'il compte faire à cette fin. Toutefois, tel n'est pas l'objet du présent texte, qui vise à répondre à une très forte attente des Français : choisir librement sa fin de vie.

Depuis plusieurs années, les enquêtes d'opinion montrent avec constance, et de façon claire, que l'immense majorité des Français – 96 % d'après un sondage publié par Ipsos en 2019 – qu'ils sont favorables à la légalisation de l'euthanasie, toutes sensibilités politiques et catégorie d'âge ou socioprofessionnelles confondues. Sur cette question, il existe très peu de différences entre les sympathisants de La République en Marche – 99 % d'opinions favorables –, ceux des Républicains – 95 % –, ceux du Rassemblement national – 98 % –, ceux du Parti socialiste – 96 % – et ceux de La France insoumise – 94 %. Cela ne signifie pas que neuf Français sur dix veulent être euthanasiés, mais qu'ils souhaitent, dans leur écrasante majorité, maîtriser leur destin jusqu'au bout.

Cette aspiration, on la retrouve également de l'autre côté de nos frontières, y compris dans des pays à forte tradition catholique. Il ne vous a pas échappé que l'Espagne vient de légaliser l'euthanasie et le suicide assisté. Demain, ce sera au tour du Portugal, qui est dans la même démarche. L'Irlande a engagé un processus législatif pour légaliser le suicide assisté. Là où le législateur ne prend pas les devants, la justice s'en charge. Ainsi, la Cour constitutionnelle italienne a dépénalisé l'aide au suicide en 2019. Au même moment, en Allemagne, le Tribunal constitutionnel fédéral a considéré que le droit à l'autodétermination du patient prime sur le devoir du médecin de lui porter assistance. Plus loin de chez nous, plusieurs pays anglo-saxons, tels que le Canada en 2016 et la Nouvelle-Zélande en 2020, ainsi que des États fédérés australiens – la Tasmanie au début de l'année – et américains – onze en tout, dont le Nouveau‑Mexique – ont légalisé l'aide active à mourir ou sont sur le point de le faire.

Ce qui se passe à nos frontières ne peut nous laisser indifférents. Demain, les Français pourront se rendre toujours plus nombreux dans plusieurs pays voisins pour mettre fin à leurs jours en étant accompagnés sur le plan médical. Pourquoi ne pourrions-nous pas accorder à nos concitoyens ce droit de mourir que demandait Vincent Humbert au Président de la République il y a déjà vingt ans ? Plus récemment, l'écrivaine Anne Bert, qui était atteinte de la maladie de Charcot et qui a rédigé avec moi l'exposé des motifs de la présente proposition de loi, décédée en Belgique le 2 octobre 2017, s'est battue pendant les dernières années de sa vie pour obtenir cette ultime liberté.

Plus de trois ans après, nous nous apprêtons à examiner ce texte, dans le cadre de la niche parlementaire du groupe Libertés et Territoires. Je remercie mes collègues du groupe d'avoir accepté qu'il soit inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Ce texte n'est pas l'apanage d'un groupe politique. Il rejoint d'autres propositions de loi similaires, issues de tous les bancs de cette assemblée, déposées notamment par Jean‑Louis Touraine, Caroline Fiat, Marine Brenier et, au Sénat, Marie-Pierre de La Gontrie, pour ne citer que leurs auteurs. Tous portent cette cause avec autant de conviction et de détermination que moi.

Compte tenu de ces observations, de l'attente très forte des Français et des évolutions en cours à l'étranger, j'affirme que l'heure n'est plus à la procrastination, mais à l'action. Mes chers collègues, ce texte n'est déjà plus le mien. Il sera le nôtre, si vous le voulez. Il sera celui de tous les députés qui l'enrichiront, le soutiendront et le voteront. Ce texte, s'il est adopté, sera la loi de tous les parlementaires qui auront permis, par leur vote, que les Français obtiennent le droit à une fin de vie libre et choisie, et puissent enfin accéder à leur ultime liberté.

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