Intervention de François-Michel Lambert

Réunion du mercredi 31 mars 2021 à 21h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois-Michel Lambert, rapporteur :

Le moment est, à bien des égards, historique, puisque c'est la première fois que l'Assemblée nationale est amenée à discuter de la légalisation du cannabis. La proposition de loi relative à la légalisation contrôlée de la production, de la vente et de la consommation de cannabis, dont je suis l'auteur et le rapporteur, vise à mettre un terme à la répression hypocrite du commerce et de la consommation de cannabis qui prévaut depuis cinquante ans. Il est temps d'en finir avec les postures morales qui empêchent l'ouverture d'un réel débat sur la question de la légalisation du cannabis !

La prohibition, fil conducteur de la politique de lutte contre le cannabis depuis des décennies, est un cuisant échec ; il faut savoir le reconnaître. Plutôt que de s'enfoncer dans cette voie sans issue positive, prenons le train en marche, partout dans le monde, de la dépénalisation, voire de la légalisation du cannabis. Des pays de plus en plus nombreux innovent et proposent des approches alternatives. Il faut savoir en tirer les enseignements, dans une société où les mœurs et les pratiques ont évolué.

Les Français sont prêts à ce changement. Plus de la moitié d'entre eux est désormais convaincue que les politiques publiques actuelles de répression ne fonctionnent pas, et est favorable à une régulation du marché du cannabis. Le succès de la consultation citoyenne lancée par la mission d'information commune sur la réglementation et l'impact des différents usages du cannabis a confirmé cette attente forte : plus de 250 000 personnes y ont participé.

En France, la politique de répression n'a jamais été aussi importante. Les forces de police sont usées par une tâche qui n'a guère de sens. Depuis 1970, le nombre des personnes interpellées pour usage simple de stupéfiants a été multiplié par cinquante, et 90 % de ces personnes sont des consommateurs de cannabis. Plus de la moitié de la part proactive de l'activité policière est consacrée à la répression de l'usage du cannabis plutôt qu'à des fins autrement plus nécessaires. Ces forces de police, qui nous disent avoir le sentiment de vider l'océan avec une petite cuillère, ne peuvent que déplacer le problème, pas le régler.

La hausse du nombre des interpellations reflète l'amplification de la répression encouragée par une politique du chiffre. Depuis des années, les statistiques de la répression de la délinquance sont affichées comme témoins de la lutte contre la consommation de cannabis sans régler les questions de fond ni avoir le moindre effet en matière de sécurité. Pis, la politique de répression actuelle provoque une embolie judiciaire puisque les parquets ne peuvent engager les poursuites ou appliquer les peines dans tous les cas. Ainsi la sévérité et l'application de la loi varient-elles d'un territoire à l'autre selon un facteur 4, ce qui est inacceptable dans une République égalitaire.

De surcroît, la prohibition du cannabis, couplée à la croissance de sa consommation, favorise l'installation d'une économie parallèle, source de violence et de délinquance. Celle-ci s'est considérablement développée ces dernières années, jusqu'à former des territoires gangrenés par le trafic de drogue, où la République n'est plus la perspective pour des centaines de milliers de nos concitoyens. Dans ces territoires où aucune autre porte de sortie ne semble pouvoir exister et où le chômage atteint des sommets, les trafics se structurent et se professionnalisent, devenant un débouché naturel et accepté. Ces trafics sont générateurs de méfaits importants, qui aggravent les inégalités préexistant dans ces territoires où certains professionnels n'osent même plus pénétrer. Les nombreux plans de transformation et de reconquête lancés depuis des décennies ont tous échoué dans les bas-fonds de l'économie souterraine ! Sans un changement de perspective, l'économie informelle et la loi des trafiquants, la loi du plus fort, continueront de former l'horizon des habitants de ces quartiers.

Malgré cette politique insensée que l'on entretient par hypocrisie, les consommateurs de cannabis sont, dans notre pays, toujours plus nombreux et surtout, toujours plus jeunes. La France détient ainsi le triste record du pays européen où le taux d'expérimentation du cannabis est le plus haut et l'âge d'entrée dans la consommation le plus bas. Selon le baromètre 2017 de Santé publique France, notre pays compte 5 millions de consommateurs, dont 700 000 usagers quotidiens. En raison de la prohibition, ces millions de consommateurs, notamment les plus jeunes d'entre eux, ne peuvent bénéficier d'une politique de prévention adéquate. De fait, la politique de prévention et de soin contre les usages non contrôlés du cannabis est le parent pauvre du budget de la lutte contre le cannabis : elle ne représente que 10 % de l'ensemble des crédits finançant la prohibition.

L'heure n'est plus à traiter ces millions de Français comme des délinquants et à les discriminer socialement. La société a évolué : faisons évoluer la législation sur le cannabis pour qu'elle réponde aux attentes des Français ! Tel est l'objet de cette proposition de loi.

La légalisation contrôlée du commerce et de la consommation de cannabis apparaît comme la seule solution pour mettre fin à tous les maux que causent son trafic et sa consommation illégale. Toutefois, elle ne doit pas être mise en œuvre n'importe comment. C'est pourquoi nous proposons de créer la société nationale d'exploitation du cannabis (SECA), qui prendrait en charge les conditions de production, de vente et de consommation du cannabis. L'une de ses premières missions serait de doter enfin la France d'une politique de prévention digne de ce nom, à destination de tous, surtout des plus jeunes, en participant à la protection de la santé et au développement de programmes de prévention, de lutte contre les conduites addictives et de sensibilisation.

La vente de cannabis serait évidemment strictement interdite aux mineurs. Lorsqu'il est consommé de manière non contrôlée, trop jeune, le cannabis, peut être à l'origine de troubles psychotiques. Ce danger ne doit pas être écarté ou caché sous le tapis : il faut le regarder en face. Seule la légalisation permettra de saisir ces problématiques à bras‑le‑corps ; les différentes expériences internationales nous le démontrent. Elle doit toutefois être conjuguée à une forte politique de prévention.

La proposition de loi a également trait aux conditions de production et de vente du cannabis légalisé. Les points de vente pourraient être créés via le réseau des débitants de tabac, habitués à commercialiser ce type de produits, qui assure un maillage territorial sans pareil puisque près de la moitié d'entre eux sont implantés dans des communes de moins de 3 500 habitants.

La qualité du produit pourrait enfin être garantie. De fait, les millions de Français qui consomment actuellement du cannabis n'ont aucune visibilité sur son origine ou sa qualité. Le marché noir n'offre aucune transparence, si bien que peuvent y être écoulés des produits frelatés nocifs pour la santé et que, ces dernières années, la concurrence sauvage et non réglementée a conduit à une explosion du taux de tétrahydrocannabinol (THC). La transparence, caractéristique de la vente légale du cannabis, sera un atout de taille pour enfin réussir à assécher le marché noir, qui ne parviendrait plus à s'aligner. La quantité proposée, c'est-à-dire l'approvisionnement en amont, la légalisation et le prix fixé seront des éléments déterminants dans la lutte contre le trafic.

Enfin, la légalisation contrôlée du cannabis offrirait d'importantes retombées économiques au secteur agricole. Les agriculteurs français, dont le savoir-faire est sans pareil, y trouveront assurément l'opportunité économique d'une diversification qui leur bénéficiera en tout premier lieu, ainsi qu'aux territoires français. Qui plus est, la création d'un secteur du cannabis favoriserait d'importants développements économiques et industriels. Outre l'économie considérable réalisée par la fin de la politique de prohibition, qui coûte 560 millions d'euros par an, la légalisation aurait pour effet, selon les travaux d'économistes, de créer près de 2 milliards de recettes pour les finances publiques ainsi que des dizaines de milliers d'emplois dans l'agriculture, l'industrie et le commerce. La politique de répression actuelle prive ainsi notre pays d'importantes recettes fiscales, de débouchés économiques et d'emplois. Ces ressources considérables permettraient de financer enfin une politique de prévention des usages excessifs du cannabis qui soit, cette fois, réellement à la hauteur des enjeux, tout en favorisant une reconquête des territoires perdus de la République ; nous aurions enfin les moyens de nos ambitions.

Cette proposition de loi a pour vocation de faire avancer le débat sur la légalisation du cannabis, d'apporter une pierre à l'édifice de cette grande avancée économique et sociale. Nous devons, tous ensemble, faire évoluer la législation actuelle, qui est hypocrite, à rebours de l'évolution des pratiques et des mœurs, sur le plan international et surtout en France.

J'ai souhaité compléter le dispositif proposé en déposant des amendements visant à : faire de la société d'exploitation du cannabis un établissement public à caractère industriel et commercial, puisque son objet est assimilable à celui d'une entreprise privée ; préciser que le cannabidiol (CBD) ne relève pas de la réglementation prévue par la présente proposition de loi ; clarifier les conditions dans lesquelles la fabrication et la transformation du cannabis s'organisent ; permettre la production de cannabis à domicile sous certaines conditions ; centraliser les dispositions d'ordre fiscal pour les affilier au code général des impôts.

En conclusion, si la légalisation contrôlée de la production, de la consommation et de la vente de cannabis à des fins récréatives ne permettra pas de faire face à tous les enjeux, elle apparaît comme la solution la plus à même de nous permettre de relever les défis sanitaires, sociétaux et sécuritaires et elle est une manne économique. La question qui se pose est celle du modèle dont elle s'inspirera et de la date à laquelle elle adviendra, car elle adviendra. Le plus tôt sera le mieux !

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