Intervention de Marie-Anne Montchamp

Réunion du mercredi 7 avril 2021 à 9h30
Commission des affaires sociales

Marie-Anne Montchamp, présidente de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) :

Cette audition me donne l'opportunité de présenter le contenu de ce rapport faisant suite à votre saisine du conseil de la CNSA par l'article 33 de la LFSS 2021.

Je souhaite, en vous présentant les points à mon avis essentiels de ce rapport, vous permettre d'appréhender l'état d'esprit des membres du conseil de la CNSA et en particulier de ses parties prenantes. Ces parties prenantes sont particulièrement ciblées par l'article 33 de la LFSS 2021, notamment dans la méthode prévue par cet article 33, qui préconisait une concertation de ces parties prenantes afin que nous sortions de la posture assez classique des rapports qui présentent des hypothèses pour devenir capables de vous présenter un système de financement. La particularité de l'avis adopté lors du conseil exceptionnel dont vous parliez, madame la présidente, est de contenir une représentation de ce que pourrait être un système de financement de la politique de soutien à l'autonomie, à l'horizon 2030.

Nous avons choisi de travailler sur la période 2022-2030. Le choix de 2022 est dicté par le fait qu'il faut prévoir un certain nombre de transformations qui demandent un peu temps de conception mais, surtout, par le fait que le contenu de cet avis renvoie à une adhésion de la Nation à l'hypothèse d'un système de financement pour la société de la longévité. La société ambitionne désormais, grâce à vous, d'adresser dans son système de sécurité sociale la question de la vie autonome de chacun, que nos concitoyens soient en situation de perte d'autonomie du fait de l'âge ou d'un handicap.

Ce travail comporte une forme de prise de risques. Nous n'arrivons pas devant vous avec des certitudes, mesdames et messieurs les députés. Nous arrivons avec une hypothèse de travail. Rien que le fait de formuler une hypothèse de travail nous semble déjà être un élément de progrès. En effet, jusqu'à présent, nous avions essentiellement un inventaire de possibilités présentant toutes des intérêts et des contreparties. Le fait de passer d'un inventaire des possibilités à l'imagination de ce que pourrait être un système de financement est une prise de risques. Ce n'est pas simple et je vous prie de croire que cela a amené nombre de débats et d'échanges entre les parties prenantes du conseil de la CNSA. En particulier, les organisations syndicales se sont remarquablement impliquées dans les consultations que nous avons réalisées.

Pourquoi nous sommes-nous fixé l'horizon 2030 ? C'est un horizon qui nous paraît prudent car il ne relève pas d'une approche en « politique-fiction » et nous pouvons nous projeter à 2030. Une autre raison, plus opérationnelle et stratégique, est que la situation deviendra plus compliquée pour notre pays à partir de 2030 parce que la question de la longévité, de la place des personnes qui avancent en âge et de leur situation particulière sera beaucoup plus marquée.

C'est entre 2030 et 2050 que les effets du vieillissement de la population française se feront sentir avec le plus d'ampleur. Jusqu'à 2030, nous irons notre bonhomme de chemin. Les personnes âgées seront plus nombreuses mais l'évolution sera assez progressive. L'effet de seuil aura lieu en 2030 et, si nous ne sommes pas collectivement prêts, je pense que les conséquences pour notre système de sécurité sociale pourraient être déstabilisantes.

Nous nous sommes posé la question de savoir si nous avions le choix. Face au vieillissement de la population française, tout ce qui relève de la prévention primaire aura un effet important si nous sommes capables de mobiliser la population. Pour autant, la question de la longévité est inscrite dans les tendances démographiques, non seulement de notre pays, de notre vieille Europe mais aussi dans une perspective quasi planétaire, pour tout l'hémisphère nord en particulier. Cette idée que nous pourrions regarder ailleurs et échapper à l'effet du vieillissement nous semble assez risquée car les conséquences de l'avancée en âge se feront sentir sur notre système de protection sociale, que nous le voulions ou non, que cela nous fasse plaisir ou non. En d'autres termes, si ce n'est pas la politique de l'autonomie qui s'y colle, ce seront les politiques de santé, les politiques familiales et les politiques vieillesse qui subiront les conséquences d'une absence d'anticipation, parfois de manière assez désordonnée. La question n'est pas de savoir s'il s'agira de dépenser ou de ne pas dépenser mais de savoir comment nous serons en mesure de piloter ou non les conséquences de la longévité pour nos équilibres de financement de la sécurité sociale et plus largement de la protection sociale.

Après avoir soigneusement fait l'exégèse de l'article 33, le cahier des charges que nous nous sommes assigné consiste à imaginer un système de financement – au sens systémique du terme donc avec des composantes et une forme d'organisation assez complète des modalités de financement – permettant de soutenir la vie autonome de nos concitoyens entre 2022 et 2030, avec un effet de progressivité de façon que le système arrive à maturité en 2030.

Nous sommes arrivés à un système à plusieurs étages, allant du plus large au plus précis. Le premier étage de la fusée « système de financement » vue par le conseil de la CNSA engage toutes les politiques publiques dans une mobilisation pour faire face à la société de la longévité. Il s'agit d'inviter chaque politique publique à prendre sa part de l'effort à consentir face à l'avancée en âge de la société française. Ce n'est pas récent et la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement avait en son temps déjà signalé que tout le monde devait s'y mettre, que seule une mobilisation économique, sociale et sociétale permettrait de faire face à l'avancée en âge.

Il nous est apparu opportun de proposer la mise en œuvre d'un agenda « autonomie » pour 2030, à l'instar d'un agenda climat. Il s'agirait pour chaque politique publique, à partir d'une évaluation de l'impact des décisions prises, de regarder comment une mobilisation permettrait de faire en sorte que chaque politique publique prenne sa part et que la sécurité sociale ne soit pas une espèce de voiture-balai assumant le coût de la non-qualité de politiques publiques qui n'auraient pas suffisamment intégré l'enjeu de l'avancée en âge.

Cet agenda autonomie est à construire et devrait être accompagné d'une loi de programmation indiquant, pour chaque politique publique, la part qu'elle peut prendre d'ici 2030 à la question de la vie autonome de nos concitoyens. Il nous semble que ce serait une avancée extraordinaire et, surtout, une approche raisonnable.

Par exemple, nous savons tous que la politique du logement a une incidence évidente sur la qualité de la vie de nos concitoyens qui avancent en âge. C'est une banalité. Vivre dans un logement dont l'accessibilité est problématique conduit immanquablement à faire le choix de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) à la première chute.

Une politique fiscale peut aussi avoir une incidence sur les comportements des acteurs économiques et des ménages. Une politique culturelle a évidemment une incidence sur la capacité à soutenir ou non le lien social.

Sans énumérer tous les périmètres politiques mais à l'instar de ce que propose l' Institute for Climate Economics (I4CE) présidé par Jean Pisani-Ferry, qui a mis en œuvre une forme d'évaluation à 360° de l'impact des décisions publiques en matière de climat, nous pensons que réaliser une évaluation des conséquences de la longévité constituerait une bonne pratique. L'idée est de faire en sorte que la sécurité sociale se mobilise pour ce qu'elle a à porter en matière d'autonomie mais qu'elle fasse uniquement ce qu'elle a à faire et ne subisse pas de façon parfois regrettable les conséquences de politiques publiques n'intégrant pas suffisamment cette dimension.

À l'instar de ce que la loi « décentralisation, différenciation, déconcentration, décomplexification » (« 4D ») permettra de porter pour tout ce qui concerne l'action publique à l'échelon des territoires, nous pourrions imaginer que, lors des conférences territoriales de l'action publique, les ordres du jour permettent de répercuter cette vision transverse des politiques publiques à l'échelon des territoires. La déclinaison territoriale de cette mobilisation des politiques publiques est incontournable, indispensable pour produire son plein effet.

Ce premier bloc relève d'une volonté et d'un consensus. Nous n'avons pu nous empêcher de comparer la situation avec l'enjeu du réchauffement climatique et la nécessité de se mobiliser pour le climat. Il nous apparaît que nous sommes avec cette question et les risques pandémiques dans l'ordre des grands risques contemporains : risque climatique, risques environnementaux, longévité et risque pandémique.

Le deuxième bloc procède de la même logique mais est beaucoup plus circonscrit à la question de la sécurité sociale et des différentes branches de la sécurité sociale. Nous pensons que ce même exercice doit être réalisé entre toutes les branches de la sécurité sociale pour créer la cinquième branche autonomie. Je veux redire ici à quel point la présidente du conseil de la CNSA, parlant en son nom propre mais aussi au nom des parties prenantes, est absolument convaincue qu'il s'agit d'une avancée historique pour notre système de protection sociale. Nous entendons bien sûr les commentateurs qui reprochent à cette branche d'être sur un périmètre un peu étroit. L'important est de savoir comment cette branche arrivera à maturité et c'est tout l'enjeu de la question de notre système de financement.

Cette branche est d'une essence nouvelle. Elle n'est pas à proprement parler construite sur la perspective d'un risque, même si le risque lié aux conséquences de la longévité et du vieillissement de la population est très présent. Elle est aussi construite sur une gigantesque ambition sociale et sociétale, celle de garantir à nos concitoyens qu'ils pourront rester des citoyens à part entière et être des citoyens capables d'une vie autonome quels que soient les coups du sort, quel que soit l'âge qu'ils atteindront, dans des conditions parfois difficiles du fait des maladies neuro-dégénératives et des conséquences naturelles du vieillissement.

Greffer dans le système de protection sociale et dans la sécurité sociale une branche porteuse d'une telle ambition rappelle des moments historiques. Une même ambition avait animé la création de la sécurité sociale. Nous sommes certes appelés à la plus grande modestie mais nous ne pouvons pas nous empêcher de revisiter ce grand dessein des fondateurs de la sécurité sociale dans une période aussi dramatique que celle que nous vivons aujourd'hui. Leur ambition était de protéger les actifs qui pouvaient se trouver empêchés de rester actifs, empêchés de subvenir aux besoins de leurs familles du fait de la maladie ou d'un coup du sort. Toutes choses égales, notre philosophie est similaire.

Pour parvenir à notre but, la branche autonomie ne peut pas réaliser seule l'exploit de garantir la vie autonome de nos concitoyens. Il faut une très grande interaction des branches entre elles. Il est évident que, si la branche maladie n'est pas au rendez-vous et n'accompagne pas les effets de la longévité, les discours du conseil de la CNSA auront bien piètre figure. Nous n'arriverons jamais au résultat souhaité si la branche famille ne conçoit pas l'effet de la longévité dans la politique familiale, comme pour le transfert de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) à la branche autonomie. La branche famille prend en compte le fait que l'enfant en situation de handicap bénéficiant de l'AEEH par la CNSA est certes concerné mais aussi qu'il faut toute une politique de soutien à ses parents et à sa fratrie par une politique familiale assurant la perte d'autonomie de toute la famille liée à la situation particulière de l'enfant en situation de handicap.

Nous devons donc renforcer le travail sur le périmètre de la branche, renforcer le débat parlementaire pour bien mesurer l'effort de protection sociale nécessaire pour la vie autonome de nos concitoyens, pour que nous soyons capables de procéder à des évaluations et à un véritable pilotage transverse à toutes les branches de l'ambition de l'autonomie.

Le troisième bloc est le cœur du système. C'est pour en définir le périmètre et l'ossature que nous avons eu les échanges les plus soutenus avec les différentes parties prenantes du conseil de la CNSA. Le premier élément concerne la solidarité nationale. Créer une nouvelle branche de la sécurité sociale nécessite pour moi la mobilisation de la solidarité nationale. Cette branche est d'ailleurs construite à partir de la mobilisation de la solidarité nationale puisque nous y retrouvons les financements propres de la CNSA mais aussi une très large part de contribution sociale généralisée (CSG). Cette contribution constitue l'essentiel des ressources de la branche, ce qui est une véritable sagesse dans la mesure où, dans une société du vieillissement, nous sommes bien convaincus que nous ne pouvons pas demander aux seuls citoyens actifs de faire l'effort de financement nécessaire pour tous. L'idée de recourir à une ressource à assiette large et à dynamisme comparativement vertueux nous semble être une condition incontournable pour aborder la question du financement de la politique de soutien à l'autonomie à l'horizon 2030.

L'acte fondateur de la cinquième branche qu'est la loi du 7 août 2020 permet, au motif qu'un des compartiments de la dette sociale aura été remboursé, d'affecter une fraction de CSG à cette branche, pour un total de 2,3 milliards d'euros à horizon 2024. Dans l'écriture de la loi du 7 août, vous avez donc déjà donné le tempo de ce que doit être la logique du financement de la cinquième branche autonomie.

Pouvons-nous en rester là ? Le conseil de la CNSA pense que la marche de 2024 est décisive pour atteindre l'objectif de maturité de la branche en 2030 mais qu'elle ne peut suffire pour des raisons qui tiennent essentiellement à trois grands objectifs que la branche doit se fixer.

Le premier objectif est d'« encaisser » l'effet du vieillissement. Ce ne sera pas terminé en 2024 et la situation commence à devenir vraiment sérieuse en 2030 et au-delà. Il faut que la branche dispose des ressources nécessaires à son action à cet horizon de 2030. Il s'agit donc d'un effet de volume.

Le deuxième élément est l'enjeu de transformation de notre modèle. Nos concitoyens attendent le virage domiciliaire. Cela ne signifie pas laisser, de force, une personne désorientée dans un appartement mal agencé ou dans une maison desservie par les corbeaux sous le prétexte que la mode est au domiciliaire. L'EHPAD doit devenir domiciliaire, c'est‑à‑dire qu'il doit apporter des réponses ressemblant à celles que la personne a chez elle, lorsqu'elle est le patron chez elle, qu'elle décide pour elle-même et est un citoyen debout, à part entière, même au fond de son lit. Cette transformation appelle des transformations en investissement et je souligne d'ailleurs l'importance des investissements que permet le Ségur de la santé, grâce auxquels de très nombreuses rénovations et adaptations des infrastructures institutionnelles pourront être réalisées.

Un président de conseil départemental me racontait récemment avoir encore de nombreux EHPAD dont les chambres accueillaient plusieurs personnes. Comment imaginer que nos concitoyens puissent être clients d'une solution d'accompagnement des vieux jours dans un mode d'hébergement franchement collectif et non simplement mutualisé ?

Il faut aussi que l'EHPAD transforme son modèle pour devenir un véritable soutien, un poumon pour le secteur du domicile qui a besoin de trouver des ressources, des points d'appui, des lieux de formation, des lieux d'expertise, sans les recréer au domicile de chaque personne ce qui serait impossible.

Il faut également soutenir le secteur du domicile par la reconnaissance de ses salariés. La ministre Brigitte Bourguignon a annoncé – et le secteur s'en réjouit – des mesures extrêmement volontaristes en matière de rémunération avec l'avenant 43. Au-delà de ces dispositions, nous voyons que nous avons de véritables besoins de recrutement dans ce secteur, comme le signale le rapport de Myriam El Khomri.

Le troisième élément concerne la politique du handicap, dont je rappelle qu'elle est ciblée par la branche autonomie. Un certain nombre de besoins ne sont aujourd'hui pas satisfaits dans le champ du handicap. En particulier la prestation de compensation n'est pas adaptée aux personnes souffrant d'un handicap cognitif ou psychique. Ces personnes ne bénéficient pas à proprement parler du droit à compensation alors que la prévalence de ce type de handicap est particulièrement élevée.

Nous constatons donc un besoin de financement fondé sur les réponses que nous devons à nos concitoyens dans le champ de l'âge et dans le champ du handicap, la nécessité d'une adaptation du modèle et un effet volume. Cela nous a conduits à imaginer la création d'un compartiment de CSG affecté à la branche autonomie. Nous en avons évalué l'impact à environ 0,28 point de CSG. Nous n'avons aucune prétention à être dans une science exacte et il est évident qu'une très forte dimension paramétrique doit être intégrée à cette réflexion.

Si nous sommes capables de mobiliser une très forte capacité de prévention primaire dans les dix ans qui viennent, les besoins de financement de la branche autonomie seront sans doute contenus. Si d'aventure la branche réussit à dégager des excédents du fait des politiques publiques qui verront le jour, nous pourrons recalibrer ce besoin de financement.

Dans l'annexe B, nous avons pris comme hypothèse une pente de croissance qui ressemble à celle que nous connaissions avant la crise du covid mais nous pouvons aussi imaginer que les capacités de financement évoluent naturellement dans le bon sens du fait des rendements des ressources de la branche si la croissance économique est forte. À l'heure où nous parlons, compte tenu de l'impact du vieillissement que nous mesurons, des rapports qui ont été produits et font consensus, il nous est apparu que 0,28 point de CSG environ, dans un compartiment que nous avons appelé « CSGA », serait de nature à solvabiliser le besoin de financement à l'horizon 2030.

Pour un salarié touchant le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), l'impact de cette cotisation de 0,28 point est d'environ 4,35 euros par mois. Je ne dirai jamais que c'est peu, c'est beaucoup, c'est quelque chose mais nous avons fait le choix d'un effort supplémentaire modéré dans notre recherche de financement.

Dans notre esprit, tout cela doit procéder d'un débat avec la Nation. Il ne s'agit pas d'imaginer que de telles dispositions peuvent être prises de façon accidentelle, arithmétique et non débattue. Sommes-nous prêts, collectivement, à considérer que notre système de protection sociale et notre sécurité sociale à travers sa branche autonomie méritent un effort supplémentaire de la Nation pour rendre à nos concitoyens la capacité d'être autonomes, d'être des citoyens à part entière quels que soient les effets de l'âge ou de la situation de handicap ? Nous pensons que ce débat n'est pas un débat médiocre, qu'il mérite d'être tenu. Nous ne l'affirmons pas, nous donnons une orientation qui nous paraît correspondre à l'esprit de la sécurité sociale.

La question de la solidarité nationale déclinée à l'échelon du territoire se pose aussi. Nous avons souligné dans notre système de financement un principe extrêmement important à nos yeux : celui d'accroître la capacité de pilotage par la branche du système de solidarité territoriale que nous connaissons aujourd'hui mais qui sera renforcé par la capacité qu'aura la branche à soutenir les financements territoriaux si ses ressources sont accrues. Aujourd'hui, nous ne faisons pas l'hypothèse d'une évolution constitutionnelle de notre République décentralisée. Nous prenons en compte les éléments qui parviennent à notre connaissance sur la préparation de la loi « 4D » et nous nous inscrivons dans cette philosophie. En revanche, le défaut de pilotage actuel et l'incapacité à coordonner et égaliser les contributions territoriales produisent des effets très choquants dans la mesure où tous les territoires ne sont pas à égalité des chances. Par conséquent, nos concitoyens ne sont pas à égalité des chances, en fonction du territoire dans lequel ils vivent.

C'est la raison pour laquelle il nous apparaît que, lorsque la branche diligentera son concours aux différentes collectivités territoriales, cet abondement du financement des collectivités territoriales devra se faire dans un cadre contractuel renforcé par des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) territoriaux. Le pilotage de ces financements doit être pensé dans une logique conjointe de solidarité nationale et de solidarité territoriale.

À titre personnel puisque rien de tel n'a été tranché dans l'avis qui vous a été communiqué, je serais favorable à la constitution d'un groupement d'intérêt public qui permettrait un pilotage équilibré de ce double financement afin de garantir l'autonomie des territoires et leurs choix politiques qui sont évidemment extrêmement dépendants de leur situation propre.

Accompagner l'avancée en âge de nos concitoyens dans un territoire rural ou dans un territoire urbain à fort potentiel fiscal ou non sont deux processus très différents. Ces environnements très différents pèsent très fort sur la situation de nos concitoyens. Nous devons envisager, selon une vision moderne d'un État pilote et stratège, comment nous pouvons assurer de façon conjointe la bonne fin de ces financements partagés. Il nous semble que des conférences territoriales pour l'autonomie pourraient assurer que ces CPOM territoriaux soient le « bras armé » de la politique de l'autonomie dans les territoires, sous la houlette du président du conseil départemental et en accord avec le directeur de l'agence régionale de santé (ARS) et du préfet ainsi que des autres grands responsables territoriaux des politiques publiques. L'idée n'est pas de renforcer la contrainte, la norme et de tordre le bras à qui que ce soit mais de produire du consensus et une communauté de vues pour la mise en œuvre de ces politiques pour l'autonomie à l'échelon territorial.

Comme conséquence de ce bloc constitué de la solidarité nationale et de la solidarité territoriale, nous affirmons qu'il est possible de transformer profondément la notion de reste à charge. Nous savons tous qu'il s'agit pour nos concitoyens d'une question insupportable. Tout récemment, la CNSA a actualisé les éléments tarifaires. Le reste à charge continue d'augmenter et c'est une situation incompréhensible car la structuration du reste à charge nous paraît contradictoire avec l'esprit même d'une politique de l'autonomie, contraire à l'esprit même de l'autonomie comme cinquième branche de la sécurité sociale.

À travers ces financements supplémentaires par la solidarité nationale et la mobilisation coordonnée et pilotée de la solidarité territoriale, nous pensons pouvoir laisser à la charge de nos concitoyens uniquement la part hébergement et solvabiliser la part dépendance. Ce faisant, nous sortons de cette logique d'un reste à charge perçu par nos concitoyens comme une forme d'échec de notre politique de l'autonomie puisque tout ce que la solidarité nationale ne sait pas financer se reporte sur la personne et le bénéficiaire. Ce serait une révolution dans notre manière d'aborder le sujet. Cela nous semble indispensable pour que la solution institutionnelle, lorsqu'il n'existe pas d'autre possibilité, soit un vrai choix pour nos concitoyens et non une équation insoluble pour tous ceux dont le niveau de revenus à la retraite ne permet pas de faire face à la charge d'un EHPAD.

Le dernier bloc concerne les financeurs supplémentaires. Nous n'avons pas voulu considérer que les assureurs devaient « hybrider » le modèle de la solidarité nationale dans ce système de financement. Nous nous défions d'un modèle que nous connaissons bien dans le champ de l'assurance maladie car la politique de l'autonomie obéit à des règles très différentes. La question de la vie autonome est très liée aux choix de la personne, à ses aspirations et nous ne pouvons pas imaginer, dans la construction de la réponse en financement, nous retrouver dans le modèle que nous connaissons dans le champ de l'assurance maladie.

Nous avons bien sûr besoin que des financeurs supplémentaires interviennent mais nous avons besoin qu'ils interviennent sur des domaines et selon des axes que la solidarité nationale et plus généralement l'État réussissent moins bien à traiter. Je pense en particulier à ce qui relève du libre choix, de certaines actions de prévention.

Le grief que je fais aujourd'hui à la conférence des financeurs est qu'elle nous produit un résultat impressionniste avec de multiples initiatives partout, pilotées nulle part. Tout le monde s'ébahit parce que, à tel endroit, il existe tel « machin » épatant. Je le reconnais mais je ne sais pas ce que cela construit globalement et le défaut de pilotage me paraît préoccupant.

Lorsque j'entends que des assureurs s'organisent pour produire des contrats d'assurance permettant d'obtenir des rentes afin de solvabiliser le reste à charge, je pense que nous sommes dans une forme de distorsion logique. Les assureurs, en particulier la Mutualité française et les groupes de protection sociale, doivent mobiliser leurs énergies pour faire ce qu'ils ont à faire auprès de leurs assurés. Ils doivent s'intéresser à la transition entre la vie active et la retraite. Ils ont une aide très importante à apporter à nos concitoyens dans ce cadre mais dissuadons-les de s'intéresser à des questions purement financières et actuarielles qui les amèneraient à se focaliser sur la solvabilisation du reste à charge, d'autant plus que notre système de financement se propose précisément d'en transformer l'équilibre pour le rendre supportable et juste pour nos concitoyens. Sauf s'ils sont très démunis, ils doivent évidemment payer comme tout le monde leur loyer lorsqu'ils sont accueillis en EHPAD. Or le loyer d'une chambre de 23 mètres carrés à Aurillac n'est pas de 2 000 euros. Ce tarif contient des questions d'autonomie qui ne sont pas solvabilisées.

Nous avons imaginé des trajectoires de financement. Ce sont des exercices assez risqués parce que pleins d'incertitudes mais il est tout de même intéressant de voir le résultat de la mobilisation des différents étages de notre système de financement. Si toutes les politiques publiques font un effort, si toutes les branches de la sécurité sociale pensent autonomie, si la solidarité nationale fait le choix d'être renforcée dans le cadre d'un débat avec la Nation pour que la branche soit dotée d'une capacité de financement, si nous prenons en compte le choix du vieillissement et la transformation du modèle, alors l'effet de levier sur notre système de protection sociale est significatif et permet de répondre à l'ambition de la vie autonome. J'ose même dire qu'il évite les effets délétères d'une non-prise en compte de ce besoin de financement sur les autres branches de sécurité sociale.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.