Paul Christophe me pose la question de la politique de l'autonomie dans les territoires, avec la nécessité d'y mettre en œuvre le choix domiciliaire, d'y promouvoir l'habitat inclusif et de trouver une articulation harmonieuse entre l'État et le conseil départemental, chef de file de l'action sociale.
Il me semble que nous devons réussir à formaliser ce pilotage partagé. Un pilotage partagé doit bénéficier de financements croisés, venant de la branche et du territoire, et doit prendre en compte le principe de la différenciation que la loi « 4D » se prépare d'ailleurs à expliciter.
La différenciation ne consiste pas à refuser la loi de la République ou à vouloir sortir des écrans radar d'une politique publique mais à permettre à cette politique publique de se mettre en œuvre de façon efficace en prenant en compte des déterminants invisibles à l'échelon national. Certains de nos territoires tels que le département du Nord ou des départements ruraux – ma Corrèze natale ou d'autres – peuvent décliner des approches spécifiques pour l'autonomie mais non dérogatoires d'une politique publique de l'autonomie. Il nous faut réaliser ceci en transformant nos modalités de pilotage qui sont actuellement imparfaites.
Nous ne savons pas intégrer de mécanisme efficace de péréquation. Il nous arrive même de nous retrouver dans des espèces de seringues assez regrettables entre un discours de l'État et un discours du département qui laissent professionnels et citoyens assez perplexes. Je crois aux communautés de vue, de projet et je crois que le consensus est possible à la condition de l'inscrire dans un cadre précis, des concours de la branche au département. Il faut un pilotage partagé du préfet, du directeur général de l'ARS et du président du conseil départemental, une conférence pour l'autonomie dotée d'un conseil tel que le conseil départemental de la citoyenneté et de l'autonomie (CDCA) existant mais repensé comme un conseil de la CNSA à l'échelon territorial, avec ses équilibres et une représentation des parties prenantes. Ceci peut garantir un pilotage qui n'exclut pas le libre choix de la personne, associée à cette gouvernance dans l'esprit de la sécurité sociale : de la même manière que les intéressés sont autour de la table du conseil, les intéressés sont autour de la table de la conférence pour l'autonomie dans les territoires.
Cet équilibre est assez réformateur de l'État parfois un peu injonctif que nous connaissons et de départements qui parfois se retranchent de façon un peu maladroite et contestable. Il faut que nous sortions de cette difficulté. La loi « 4D » nous invite à cette maturité et, dans cette loi, la définition de la différenciation est pour moi une pépite à laquelle il faut se référer. C'est ce qui rend la République humaine.
Julien Borowczyk a reparlé du virage domiciliaire et de la nécessité de proposer des réponses aux personnes. Je me méfie un peu lorsque le parcours des personnes devient une institution. Le fil, pour moi, est celui d'une personne qui vit chez elle, qui avance en âge et connaît des difficultés pour se mouvoir, faire ses courses, qui est un peu isolée et a quelques petits soucis de santé. Cette personne a une aide à domicile pour les tâches de la vie quotidienne et la branche autonomie lui permet de bénéficier d'un nombre d'heures suffisant pour maintenir sa capacité de vie autonome. Cette aide à domicile est très pénétrée de principes de prévention primaire par sa formation. Elle sait identifier les difficultés pour la personne et saura faire le lien avec l'infirmière, avec le médecin traitant et avec la famille pour faire en sorte que, avant que la chute ne se produise, avant que l'événement problématique n'intervienne, des réponses soient trouvées.
Ces réponses doivent être identifiées à l'échelon de chaque territoire et ce ne sont pas les mêmes partout. C'est pourquoi nous avons besoin d'une grande souplesse dans la définition des constituants de la réponse à la vie autonome. En milieu urbain, cela peut être un service d'aide à domicile qui se trouve à deux pâtés de maison tandis que, à un autre endroit, cela peut être un EHPAD qui constitue un lieu ressource dans lequel la personne peut aller passer la nuit lorsqu'elle est fragilisée et retourner chez elle pour vivre sa vie comme d'habitude ou l'inverse. Il s'agit de trouver des réponses en accueil de jour ou des solutions pour se nourrir et bénéficier d'une alimentation structurée... Ce fil est finalement plein de souplesse, de mobilisation d'acteurs qui dépendent des réponses existantes à l'échelon du territoire.
Julien Borowczyk a aussi parlé de la proposition du groupe La Poste que les facteurs veillent sur les parents. J'échangeais récemment avec Philippe Wahl, le président de La Poste. Si les facteurs sont perçus comme un concurrent des services d'aide et d'accompagnement à domicile (SAAD), cela ne fonctionnera pas. Le modèle de La Poste ne prendra pas et les SAAD ne comprendront pas cette approche un peu concurrentielle.
Je pense qu'il ne faut pas s'y prendre ainsi, qu'il faut très vite se mettre autour de la table pour identifier toutes les ressources humaines, toutes les capacités d'intervention et faire que, dans un équilibre suffisant, chacun puisse trouver son propre modèle. Le modèle des SAAD est encore très fragile. Les décisions de la ministre Brigitte Bourguignon vont dans le bon sens et sont très volontaristes mais il nous faut recruter encore et encore dans les SAAD. Ils ont subi une forme de concurrence avec des dispositions du « Ségur » qui ont pu amener à comparer les rémunérations en établissement et en SAAD. Il faut aussi nous poser la question de ceux qui relèvent du statut de particulier employeur.
Nous avons encore beaucoup à construire. Nous devons l'envisager ensemble mais, tant que nous n'avons pas cherché à résoudre l'équation du financement, nous n'arriverons pas à promouvoir suffisamment le modèle vers lequel nous voulons aller.
Belkhir Belhaddad m'a interrogée sur le sport. La branche doit bien sûr contribuer à la promotion de la pratique sportive et nous retrouvons là cette notion de responsabilité interbranche. Il faut que l'assurance maladie, pour ce qui la concerne, continue d'aller dans ce sens et que la branche autonomie fasse son chemin pour les personnes âgées et les personnes en situation de handicap, y compris celles qui vivent chez elles. C'est cette convergence de vues sur l'importance de la pratique sportive pour maintenir la capacité de mobilité des personnes et leur capacité à maintenir du lien social qui nous permettra de réussir. Cela me semble illustrer de façon caractéristique la convergence de la mobilisation de tous les acteurs de l'autonomie, qu'ils soient dans la branche ou hors branche.
Charlotte Parmentier‑Lecocq m'a interrogée sur la difficulté à envisager un effort supplémentaire de la Nation à travers la CSGA. Il est effectivement difficile de dire aux électeurs : « Nous avons une bonne nouvelle ; nous avons créé une nouvelle branche et il faudra la financer à travers la CSGA. » Mais ce n'est pas tout à fait ce que nous proposons au travers de notre système de financement. Nous proposons de dire que nous supprimons la notion de reste à charge. Les personnes devront s'acquitter de la contribution individuelle à la vie quotidienne, c'est-à-dire de l'hébergement – gîte et couvert –, et nous enlevons la part autonomie. Ce n'est donc pas une pression fiscale aveugle supplémentaire mais une orientation de leur effort pour que leurs parents et eux-mêmes n'aient pas à supporter des niveaux importants de reste à charge en établissement. Ceux-ci créent une vraie perte de chance pour ceux qui ont des revenus à la fois trop élevés et trop faibles pour envisager sans difficulté de telles solutions.
Le conseil n'a pas retenu l'option des recours sur succession car ils relèvent d'une forme de privation de liberté. Je ne dis pas que la personne doit faire supporter ses choix à la solidarité nationale mais, quand elle subit une perte d'autonomie du fait de son âge ou de sa situation de handicap, la solidarité lui permet de rester autonome, charge à elle d'assumer sa contribution à la vie quotidienne.
C'est en ce sens que l'idée de la CSGA me semble moins violente que l'idée d'un prélèvement obligatoire de plus sans contrepartie. Par contre, il faut le présenter ainsi et gager le fait que nous sommes bien sur la mise en place d'une contribution individuelle à la vie quotidienne.
Dominique Da Silva a évoqué la question de l'habitat inclusif et a mis en évidence son intérêt. La CNSA y est extrêmement favorable. Dès 2021, des financements accrus sont fléchés pour la mise en œuvre de l'habitat inclusif. C'est à partir de l'idée que la personne se fait de son propre vieillissement qu'il faut concevoir ce projet de développement de l'habitat inclusif. C'est pourquoi je crois beaucoup à votre projet communal d'habitat de proximité.
Ce n'est pas tout à fait de l'habitat inclusif. Il est inclusif au sens où la réponse se trouve juste à côté mais ce n'est pas vraiment une mutualisation à l'intérieur de l'habitat. Si vous avez l'occasion de m'en faire savoir plus pour que nous l'intégrions à nos réflexions, je suis très intéressée. Je pense qu'il faut enrichir encore notre offre avec cette formule et, en termes d'investissements, nous sommes désormais capables de véritables développements grâce au « Ségur » et grâce à une nouvelle approche de l'investissement par la branche.
Véronique Hammerer a parlé du pilotage territorial. Il faut penser le CDCA comme un mini‑conseil territorial de la CNSA qui anime et fait vivre la politique de l'autonomie comme une structure de gouvernance territoriale. Nous avons ainsi bien un effet d'association des parties prenantes à la déclinaison territoriale de la politique de l'autonomie dans l'esprit que nous souhaitons, encadré par un CPOM territorial avec une forte mobilisation de tous ceux qui portent les politiques publiques. Ce n'est pas un simple effet de fumée. C'est contractualisé, large et abouti.
L'accueil familial, abordé par plusieurs d'entre vous, est effectivement une solution remarquable, à condition que nous fassions évoluer le statut de l'accueillant familial. En matière de droit, nous ne pouvons pas avoir une solution hybride qui fragiliserait l'accueil familial. Il faut assumer son importance. Le développement de l'accueil familial est très lié à la culture du territoire. C'est une bonne réponse pour certains types de public – personnes qui n'ont pas beaucoup de famille ou qui ont des besoins spécifiques – qui ne peuvent évoluer de façon équilibrée que dans la mesure où ils retrouvent un univers familial.
J'ai eu l'occasion de travailler sur le sujet dans le champ de la psychiatrie et ce sont des réponses extrêmement efficaces, qui préviennent les risques de glissement. C'est aussi une démonstration magistrale du retour à l'économie réelle, une façon de rendre une vitalité aux territoires et en particulier aux territoires ruraux dans lesquels l'offre peut être assez discontinue. J'ajoute que, si un EHPAD ressource se trouve à proximité, l'accueillant familial sera impliqué dans un système qui ne le laisse pas isolé pour faire face à la complexité de la situation de certaines personnes. Je pense effectivement que la MSA est tout à fait capable de développer l'accueil familial.
Philippe Chalumeau est intervenu au conseil de la CNSA pour présenter la démarche de la loi de programmation militaire, ce qui a été très important pour nous en nous permettant de visualiser le principe d'une loi de programmation. La question de l'affectation des ressources à la branche est un choix, une option que nous présentons avec beaucoup de modestie mais il me semble que l'heure est venue de nous poser la question de comment nous nous y prenons.
Vous avez posé un acte dans la protection sociale contemporaine en accroissant le périmètre de la protection sociale lors de la création de la cinquième branche. Nous devons maintenant nous projeter dans un horizon que le covid nous impose d'aborder. Nos concitoyens ne pensent plus l'avancée en âge et la perte d'autonomie comme avant le covid. Je pense qu'il est incontournable de porter le débat avec la représentation nationale pour les prochaines échéances et de porter à maturité cette nouvelle branche.
Marc Delatte a noté que le système de financement comporte une dimension prudentielle. Nous y tenons beaucoup. Notre branche a été construite à l'équilibre mais subit déjà les conséquences du covid et se trouve en situation de déséquilibre du fait de moindres recettes et de dépenses accrues. Il est important qu'elle garde ce principe d'un équilibrage et d'une recherche de constitution de réserves. Cela doit faire partie de l'évolution de la feuille de route de la branche et, sans doute, être présent dans la future COG.
Si d'aventure une année, du fait de dépenses moins importantes ou d'une politique faisant des choix spécifiques, la CNSA parvenait à se constituer des réserves, même peu importantes, il est très important que ces réserves soient isolées et fassent l'objet de placements dans le cadre de l'ACOSS afin de participer à la recherche d'une plus grande efficience des financements. Nous devons imaginer que l'effort de financement accru ne se traduit pas par une baisse d'efficience mais au contraire par une recherche d'efficience supplémentaire. La dimension prudentielle dans un risque comme celui du vieillissement appelle une gestion prudentielle des masses de financement de la branche autonomie, à son niveau en infra‑annuel et au niveau de l'ACOSS en supra‑annuel.