Intervention de Marie-Pierre Rixain

Réunion du mercredi 5 mai 2021 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Pierre Rixain, rapporteure :

La présente proposition de loi est issue de plusieurs mois de travail, sanctionnés par l'organisation de trois colloques et tables rondes au sein de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, que j'ai l'honneur de présider. Ces événements, respectivement consacrés à la place des femmes sur le marché du travail, aux dix ans de la loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance, dite « loi Copé-Zimmermann », et à la lutte contre les violences économiques au sein du couple, ont largement nourri la mission d'information sur l'égalité économique et professionnelle, dont je suis rapporteure, ainsi que la présente proposition de loi.

Celle-ci s'inscrit dans une pluralité d'enjeux et vise autant de moments de la vie : l'autonomie financière et bancaire, l'accompagnement des plus éloignées de l'emploi, notamment en raison de la maternité, et la juste représentation des femmes au sein de l'économie et du monde professionnel.

Entre les femmes et les hommes, l'écart de revenu est de 28,5 %. Ce chiffre cristallise les obstacles qui se dressent dans la vie d'une femme, et cache nombre de disparités parfois plus importantes. Ainsi, au sein du couple, les femmes gagnent en moyenne 42 % de moins que leurs conjoints. Quant aux inégalités de patrimoine entre les hommes et les femmes, bien loin de diminuer, elles augmentent, passant de 9 % en 1998 à 15 % en 2015. Multiples sont les raisons de ces écarts ; nombreuses sont celles qui relèvent d'une conception archaïque du rôle des femmes dans la société.

Même lorsque les femmes participent pleinement au marché du travail, plusieurs blocages, constitutifs de notre organisation collective, contraignent leurs marges de manœuvre économiques, entraînant des conséquences en cascade qui, bien souvent, entravent le développement de leur carrière et entérinent définitivement ces inégalités de destin. En 2021, les femmes doivent encore conquérir leur statut de sujet économique libre et autonome !

Le texte que je vous propose formule plusieurs solutions en vue d'accompagner toutes les femmes, quelle que soit leur situation économique et professionnelle, dans la conquête de leur autonomie économique, préalable indispensable à l'exercice plein et entier de leurs droits.

Les articles 1er et 2 parachèvent la loi du 13 juillet 1965, qui a supprimé l'autorisation préalable du mari permettant à une femme de travailler et d'ouvrir un compte en banque. Il s'agit à présent de garantir à chaque individu la jouissance des revenus de son travail, ainsi que des prestations individuelles décidées par la solidarité nationale. À cette fin, ces deux articles garantissent, par des dispositions contraignantes, le versement des salaires et des prestations sociales individuelles sur un compte bancaire dont le ou la titulaire ou le ou la cotitulaire en est le ou la bénéficiaire.

Cette disposition présente le mérite de la simplicité, garante de son efficacité. Elle doit permettre la stricte adéquation entre l'identité de la personne recevant le versement et celle qui dispose de la ressource. Le délai proposé pour la mise en œuvre de ces dispositions permettra aux services des ressources humaines des entreprises et des caisses de sécurité sociale de s'organiser pour prendre en compte cette nouvelle contrainte.

Inspirée du colloque de la délégation aux droits des femmes sur la lutte contre les violences économiques au sein du couple, cette mesure a été saluée à de nombreuses reprises, lors de nos auditions préparatoires, comme un acte fort et nécessaire en matière d'autonomie financière et de sensibilisation des acteurs financiers à ce sujet. Au cours de nos débats, je vous proposerai d'aller plus loin en levant un blocage, identifié par la Banque de France, en matière de droit au compte dans les situations de violences conjugales.

L'article 3 apporte de nouvelles solutions aux bénéficiaires de la prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE), dont l'écrasante majorité – 95 % – est constituée de femmes. À cet égard, la réforme de 2014 visant à encourager le partage du congé parental entre les deux parents semble avoir manqué son but. La plupart de ces femmes sont en emploi précaire ou peu qualifié, comme en témoigne la surreprésentation des employées et des ouvrières parmi les bénéficiaires ; d'autres sont sans activité ou au chômage avant la naissance de leur enfant. Ce public doit appeler toute notre attention, le taux de chômage des mères de jeunes enfants ayant augmenté de 40 % entre 2014 et 2018. L'objet de l'article 3 est de faire progresser l'offre de formation proposée aux bénéficiaires de la PreParE à l'expiration de leurs droits. Il s'agit du chemin le plus sûr pour celles qui souhaitent retrouver un emploi. Je présenterai un amendement permettant d'inclure dans ce dispositif tous les bénéficiaires de la PreParE, indépendamment du nombre de leurs enfants, pour une durée d'un an avant l'expiration des droits et d'un an après.

En la matière, la coordination et les initiatives locales sont décisives, comme le démontrent notamment des associations telles que Social Builder et les initiatives menées par Mme Sophie Viger à la tête des écoles 42. La caisse d'allocations familiales (CAF) et Pôle emploi devront coopérer, afin de limiter au maximum les démarches déclaratives des femmes, notamment de celles qui souhaitent retrouver le bénéfice de la prestation après une formation n'ayant pas abouti à un retour immédiat à l'emploi.

Dans le même esprit, l'article 4 étend le bénéfice du « berceau social » aux familles monoparentales. Ce dispositif, qui a désormais quinze ans, permet aux crèches et aux structures d'accueil de la petite enfance de réserver des places, par tranches de vingt, aux enfants dont les parents sont engagés dans un parcours d'insertion sociale et professionnelle. Les familles monoparentales, dont je rappelle qu'elles sont composées à 85 % d'une mère célibataire, sont plus exposées que les autres au risque de précarité. Cet article s'inscrit dans la droite ligne des réflexions du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) visant à favoriser l'accès des mères d'enfants en bas âge à des modes de garde leur permettant de poursuivre leur insertion professionnelle. Viser plus spécifiquement les familles monoparentales semble d'autant plus pertinent que 35 % des enfants de ces familles ont leur parent au chômage, contre 9 % de ceux des familles recomposées et 6 % de ceux des familles dites traditionnelles.

L'article 5, comme les articles 6 et 7, relève davantage d'un effort en faveur d'une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans la société, notamment dans l'économie. Au sein de l'enseignement supérieur, la parité avance, en particulier à l'université, en raison notamment de la « loi Sauvadet » de 2012, relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique. Toutefois, si les jurys de thèse et les instances gouvernantes sont de plus en plus paritaires et s'approchent sensiblement du seuil de 40 % pour chaque sexe, certaines formations demeurent presque aveugles à cette évolution. Tel est notamment le cas des sciences dites dures, comme les mathématiques et plus encore les sciences de l'ingénierie, dont les effectifs peinent à se féminiser, alors même que ces filières sont très rémunératrices et planchent sur les usages et métiers de demain. L'enseignement supérieur et le système éducatif en général doivent se sentir investis d'une responsabilité particulière et se placer au premier rang de la lutte contre les stéréotypes sexués, qui sera d'autant plus efficace qu'elle sera engagée dès le plus jeune âge.

Dans la lignée des lois précédentes, notamment la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche de 2013, l'article 5 vise à soumettre un peu plus de quatre-vingts établissements supplémentaires à une obligation de représentation minimale de 30 % du sexe le moins représenté dans leurs jurys d'admission. Il vise également à encourager les établissements d'enseignement supérieur, universités comprises, à adopter un baromètre de l'égalité des chances entre les femmes et les hommes, et à prendre le cas échéant des mesures correctrices.

L'orientation professionnelle est très largement subordonnée à l'orientation scolaire et universitaire. Les établissements d'éducation doivent jouer un rôle actif dans le rééquilibrage des différentes filières. Les inégalités professionnelles y trouvent directement leur source. J'irai même plus loin : les efforts demandés en la matière par les dispositions de l'article 7 de la présente proposition de loi ne porteront leurs fruits qu'associés à des politiques éducatives volontaristes.

L'article 6 s'inscrit dans cette même volonté d'objectiver les inégalités économiques et professionnelles qui perdurent entre les femmes et les hommes. Je suis convaincue qu'on ne peut parvenir à l'égalité sans mesurer ni quantifier les écarts de traitement entre les femmes et les hommes, afin de disposer de données tangibles permettant de transcrire le sexisme parfois impalpable qui est ancré dans nos habitudes. Tel est l'objet de l'index de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, introduit par la loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Il a permis de passer d'une obligation de moyens à une obligation de résultat : désormais, les entreprises d'au moins cinquante salariés doivent publier chaque année leurs notes – sur 100 – en matière d'égalité salariale.

Cet index commence à faire ses preuves, comme en témoigne la progression très nette des notes des entreprises de plus de 1 000 salariés, dont la moyenne est passée de 82,9 en 2019 à 88,3 en 2021. Il est sans nul doute perfectible, comme l'ont démontré nos auditions et de nombreuses publications, mais, trois ans après son introduction, il est trop tôt, me semble-t-il, pour revoir entièrement sa structure, alors même que les plus petites entreprises peinent à se l'approprier, comme l'ont également démontré nos auditions. Il convient d'en stabiliser l'usage. En outre, son évaluation doit être menée par le Parlement très prochainement ; il ne me semble pas opportun de nous mettre en travers du travail de la représentation nationale.

En revanche, je propose, dans le sillage des obligations de transparence imposées aux entreprises bénéficiant du plan de relance, de renforcer les obligations de publication non seulement de chaque indicateur composant l'index précité, mais aussi des objectifs de progression et des mesures de rattrapage que doivent prendre les entreprises pour corriger leur trajectoire. Cet effort de transparence, nécessaire à la négociation collective, permettra de rappeler le caractère dynamique de l'index. Un bon score ne doit pas dispenser de progrès.

Dix ans après l'adoption de la loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance, nous ouvrons, avec l'article 7 de la présente proposition de loi, une nouvelle page dans ce domaine. La France peut s'enorgueillir d'être la championne de l'Union européenne en matière de parité au sein de ces conseils. À l'échelle mondiale, elle se situe, avec une proportion de femmes de 46 %, juste derrière l'Islande. Cette réussite, nous la devons au volontarisme politique sans faille d'une parlementaire que je tiens à saluer très chaleureusement pour son précieux soutien : Marie-Jo Zimmermann.

Catherine MacGregor, Christel Bories, Stéphane Pallez, Marie Cheval, voilà d'autres noms que je souhaite citer devant vous, ou plutôt que j'aimerais ne pas avoir à citer. Catherine MacGregor est la seule femme dirigeante d'une entreprise du CAC 40. Il m'a fallu élargir le spectre de ma recherche aux entreprises du SBF120 pour parvenir à citer trois femmes occupant le poste de présidente-directrice générale (PDG), respectivement d'Eramet, de La Française des Jeux et de Carmila. Nous ne pouvons nous satisfaire de compter les femmes occupant des postes à très forte responsabilité sur les doigts d'une seule main. Je propose donc une disposition ambitieuse consistant à fixer aux entreprises de plus de 1 000 salariés des objectifs chiffrés de juste représentation de chaque sexe au sein de leurs instances dirigeantes, selon un tempo réaliste : 30 % de femmes d'ici à cinq ans et 40 % d'ici à huit ans me semble un bon rythme pour insuffler une dynamique paritaire au sein de ces entreprises.

Pour y parvenir, nous devons mettre au point un dispositif clair dans son objectif, simple dans son application et juste dans son déploiement. Nous devons aussi veiller, comme nous y a appelés Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), devant la délégation aux droits des femmes, à la granularité du dispositif, en descendant de façon fine dans l'organisation de l'entreprise pour éviter qu'une femme ne cache cent hommes.

Définir un périmètre idoine n'est pas chose aisée. Sur cette question épineuse, nous avons beaucoup consulté pour parvenir à une définition claire et ambitieuse que je vous proposerai lors de la discussion des amendements. De même, la sanction me semble un aspect inévitable à aborder. Bien entendu, il ne s'agit pas de sanctionner les entreprises, mais au contraire de faire de la féminisation de leur gouvernance une source d'opportunités économiques. Malheureusement, pour être opérante, une telle disposition doit être assortie de la possibilité d'une sanction. Nous ne manquerons pas d'y revenir lors de nos débats.

À la fois injustice et aberration économique, le partage du pouvoir économique doit être réinventé de façon active au sein des entreprises. La mixité de la gouvernance économique, donc des instances dirigeantes des entreprises, est non seulement un enjeu d'égalité professionnelle et de justice sociale, mais aussi un fort levier de performance et de croissance pour les entreprises. De nombreuses études abondent en ce sens. Citons notamment celle de McKinsey démontrant que les entreprises comptant le plus de femmes dans leurs instances de direction affichent un écart positif de rendement de capitaux propres de 47 %. Également, les travaux de Michel Ferrary, menés dans le cadre de l'observatoire SKEMA de la féminisation des entreprises, produisent chaque année des données allant en ce sens.

Le soutien dont a bénéficié d'emblée l'article 7 de la part de grands dirigeants tels que Gérald Karsenti, PDG de SAP France, Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF, et Hélène Bernicot, directrice générale du Crédit mutuel Arkéa, doit nous conforter dans notre ambition politique. L'objectif, je crois, est collectivement partagé : allons-y !

L'article 8 vise les femmes de notre pays qui ont la volonté d'entreprendre, dont la démarche est trop souvent découragée. Les femmes ont, autant que les hommes, la volonté de créer, d'innover et d'inventer les emplois de demain, mais, à la différence de ces derniers, elles peinent à trouver des financements pour faire naître et grandir leur projet. Seules 4 % des start-up financées en 2020 ont été fondées par une ou plusieurs femmes ; 17 % d'entre elles l'ont été par une équipe mixte. Cela signifie que 79 % des start-up financées en 2020 ont été fondées par une équipe totalement masculine. Doit-on y voir la persistance de stéréotypes de genre dans l'écosystème du financement de l'innovation ?

Ce que je sais, c'est que la recherche de financements ne doit plus être une course d'obstacles sans fin pour les femmes. Je propose donc, par le biais de l'article 8, de faire de Bpifrance le moteur de l'entrepreneuriat des femmes. Le soutenir fait d'ores et déjà partie intégrante de ses missions, mais les résultats, disons-le, ne sont pas là. En tant que bras armé de l'État comme financeur de l'économie, Bpifrance a un devoir d'exemplarité en la matière. Parce que Bpifrance est un acteur central de l'écosystème français du capital investissement, il y a toutes les raisons d'espérer que sa capacité d'impulsion rayonnera sur toute la place financière.

Je reprendrai à mon compte le mantra du collectif Sista, qui œuvre à la réduction des inégalités de financement entre les femmes et les hommes entrepreneurs : il faut compter les femmes pour que les femmes comptent. Tel est l'objet de l'article 8 : compter les femmes présentes dans les comités d'investissement qui sélectionnent et financent les projets, d'une part, et compter les femmes bénéficiaires des actions de Bpifrance, d'autre part. Il ne s'agit pas de déstabiliser tout un écosystème en imposant des obligations hors d'atteinte, mais de fixer des objectifs chiffrés de bonne gouvernance, tout à fait réalisables en quelques années, et surtout collectivement demandés par les acteurs eux-mêmes, par le biais de la signature de deux chartes, en 2019 et en 2020.

Mes chers collègues, c'est avec un grand enthousiasme que j'aborde nos débats. Je me réjouis du travail d'emblée transpartisan mené sur ce texte, qui reflète, je le crois, la volonté sincère de la représentation nationale d'avancer sur ce sujet. L'effectivité des droits des femmes requiert des politiques volontaristes, qui constituent autant d'opportunités pour les individus, pour les entreprises et pour notre société, ce dont je vous crois convaincus.

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