Intervention de Dominique Bureau

Réunion du mercredi 19 mai 2021 à 16h00
Commission des affaires sociales

Dominique Bureau :

Le rapport de l'Autorité pour 2020 est centré sur les leçons du covid. Il comprend une partie importante : l'idée d'avoir un projet renouvelé pour la statistique sanitaire et sociale, notamment pour le domaine sanitaire, en lien avec les éléments que vous avez évoqués en introduction.

Je précise que j'interviens bien en plein accord avec la présidente, qui vient de prendre ses fonctions à temps partiel. Notre souci est que nos recommandations fassent l'objet de suites. Je pense que vous aurez l'occasion de dialoguer avec la nouvelle présidente, d'autant plus qu'elle a été directement impliquée dans l'une des missions d'inspection engagées suite à nos demandes.

L'objet de la statistique publique est de mettre à la disposition de tout un chacun une information objective de qualité pour éclairer le débat public, pour éclairer les choix publics et privés ainsi que pour permettre à la recherche de travailler. Nous nous plaçons au niveau de la statistique, c'est-à-dire d'une information construite, et non au niveau des données de gestion, même si les données de gestion sont une source importante pour fabriquer de la statistique, après un certain nombre de retraitements afin de les rendre utilisables pour éclairer les choix et pas seulement pour constater la gestion.

La statistique utilise plusieurs types de sources. Les premières proviennent d'outils dédiés tels que des recensements ou des enquêtes qui ont l'avantage de nous donner la maîtrise intégrale des questions et donc de permettre d'être précis. Ce sont des techniques assez lourdes qui nécessitent des enquêteurs. Nous essayons donc de compléter cette première source par des données existantes et le big data offre évidemment beaucoup plus d'ouvertures et une grande multiplicité de sources de données, notamment les sources de gestion. Cela explique que nous disposions en France de services statistiques dans tous les ministères mais cela ne suffit pas puisque certaines données se trouvent aujourd'hui chez les opérateurs.

Les trois sources principales de la statistique publique sont donc les données d'enquêtes approuvées par le Conseil national de l'information statistique (CNIS), les données collectées par les services statistiques ministériels et les données provenant des opérateurs. Ces dernières ne sont intégrées dans la statistique qu'après avoir été labellisées par l'ASP.

Pourquoi effectuons-nous cette labellisation ? Pour que ces données soient utiles au débat public, il est absolument essentiel qu'elles soient de qualité et que le public ait confiance en la manière dont elles ont été construites, qu'elles n'aient pas été biaisées pour une raison quelconque. Assurer ce contrôle est le rôle de l'ASP, suite à la loi de 2008 qui l'a créée avec le double souci de garantir son indépendance professionnelle – sans indépendance professionnelle, la suspicion est immédiate – et de s'assurer que la statistique publique en France soit de qualité, objective et au meilleur niveau.

Nos recommandations sur la statistique sanitaire et sociale interviennent surtout dans ce sens, en faveur d'un projet renouvelé appliquant un code de bonnes pratiques avec des règles assez précises sur ce qui doit être vérifié. Nous appliquons essentiellement deux principes pour formuler nos recommandations : que la statistique réponde aux attentes de l'usager et que les moyens affectés à la statistique soient en ligne avec ce qui est nécessaire pour répondre à ces besoins. Ces deux aspects sont présents dans notre diagnostic mais celui‑ci n'est pas uniquement un diagnostic sur les moyens. Notre principal souci reste, fondamentalement, d'avoir une statistique publique qui réponde mieux aux attentes de l'usager.

Je précise, pour éviter un malentendu, que notre recommandation de projet renouvelé sur la statistique sanitaire et sociale ne reflète pas un diagnostic selon lequel quelqu'un aurait commis une faute quelque part. Au contraire, nous constatons que le service de la statistique publique s'est mobilisé de manière générale pour suivre l'activité économique, pour suivre le marché du travail, pour suivre la situation sociale ainsi que dans le domaine sanitaire.

Le domaine sanitaire illustre d'ailleurs la façon de réagir du système statistique, lequel a souvent utilisé des outils existants ou en cours de développement. Typiquement, dans le domaine sanitaire, le service de statistique publique fait depuis toujours des analyses de surmortalité à partir des données de l'état civil collectées par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ; il a évidemment adapté ces évaluations de surmortalité au contexte du covid et à la demande nouvelle de disposer d'un retour local, à l'échelon des départements voire des communes. De même, en ce qui concerne la prise en charge des patients, la statistique publique suit des panels de généralistes et a obtenu des informations sur la prise en charge durant le covid au travers de ces panels.

En dépit des conditions plus ou moins complexes pour mener des enquêtes, la statistique publique a développé des instruments nouveaux. Ainsi, l'enquête EpiCov développée avec, d'une part Santé publique France, d'autre part l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), vise non seulement à connaître l'état de santé de la population en termes de prévalence de l'épidémie mais aussi à recueillir des informations sur les conditions sociales dans le contexte du covid. Par ailleurs, la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) s'est attachée à appuyer le ministère, notamment pour améliorer et consolider les remontées des tests de réaction en chaîne par polymérase (PCR) lorsque la question s'est posée. Le service statistique public s'est donc incontestablement mobilisé mais nous avons constaté que la crise révélait un certain nombre de faiblesses.

Le premier point, constaté dès la fin du printemps 2020, est le fait que, contrairement à d'autres pays, nous n'avons pas de statistiques sur les causes de mortalité en temps réel en France. Les données sur les causes de mortalité sont consolidées par une unité de l'INSERM, le centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc). Nous nous sommes rendu compte qu'il se posait un double problème de conception et de mise en œuvre. Le problème de conception est que, jusqu'à présent et contrairement aux données sur la mortalité qui remontent directement par l'état civil, ces données sur les causes de mortalité étaient vues comme des données dites « structurelles », ceci signifiant de façon un peu caricaturale qu'il n'était pas considéré comme grave qu'elles arrivent deux ans plus tard puisque l'évolution des maladies cardiovasculaires ou du pourcentage de cancers évoluait de façon lente. La crise a révélé que cette situation n'est pas tenable. Il est nécessaire de disposer d'une information consolidée et non fragmentée sur les causes de décès, qui doit être construite à partir de l'ensemble des informations disponibles sur les causes de décès. Par ailleurs, les consolidations de données par la statistique publique étaient particulièrement tardives, souvent en retard par rapport aux exigences européennes de transmission. Certes, les processus de consolidation et de gestion dématérialisée sont compliqués mais le CépiDc était confronté voilà quelques années à un retard qu'il n'a pas rattrapé. Cette situation ne paraissait pas tenable, ce qui a conduit à une mission d'inspection. Elle est en cours et précisera les faits.

L'autre point révélé par la crise,, que nous avions déjà senti poindre voici quelques années en auditionnant le CépiDc, est que les causes de mortalité sont de plus en plus complexes, pas forcément univoques. Nous avons besoin d'informations sur les expositions, sur la morbidité et donc de faire le lien entre morbidité et mortalité. La question des comorbidités est au cœur des sujets liés au covid. Nous disposons de manière un peu cloisonnée des causes de mortalité d'un côté et, de l'autre, de la morbidité qui ne rentrait pas vraiment dans le champ de la statistique publique. La statistique publique se caractérise en effet par le fait de respecter un calendrier avec des arrivées régulières de données tandis que les données de morbidité sont souvent fragmentées. Elles proviennent généralement d'études plutôt que de statistiques et nous aurions sans doute besoin d'un cadre qui permette de les faire rentrer dans le débat. Les débats sur la santé et son périmètre n'ont pas manqué. Au-delà des données démographiques, nous avons donc aussi besoin d'un meilleur suivi de la morbidité dans la statistique publique.

Le responsable de la statistique publique à la DREES a changé et, à chaque changement de titulaire, nous auditionnons le service pour savoir s'il a un projet. Nous avons ainsi constaté que ses moyens avaient de manière tendancielle décru régulièrement, même s'ils ont un peu réaugmenté durant cette dernière période. Ses missions se sont pourtant élargies avec la création de différents observatoires, dont l'observatoire du suicide, et le développement d'outils pour le modèle de micro-simulation qui permet d'évaluer les réformes de la protection sociale. Il faut préciser le diagnostic entre ces moyens en décroissance et l'augmentation de la demande mais nous n'avons pas de doute en ce qui concerne deux marqueurs.

Le premier est le fait que des enquêtes « non nécessaires », au sens que leur fréquence n'est pas imposée, peuvent être différées d'un ou deux ans mais, tendanciellement, le calendrier de toutes les enquêtes dérape par manque de moyens. Ainsi, l'enquête « Santé scolaire » a été reportée alors que nous avons bien vu au début du covid que la santé scolaire était un sujet important. Ne pas disposer de données de référence est dommage.

L'autre marqueur consiste en ce que ce service ministériel s'avère uniquement capable de répondre aux obligations internationales alors que le débat public français nécessite plus d'éclairages que ce qui est demandé par les autorités bruxelloises. Nous sommes pourtant quasiment à l'étiage et à nos limites.

Nous avons donc besoin d'un projet renouvelé, construit, coordonné car la bonne statistique nécessite une coordination, pas simplement de piocher des données et de les éclairer en posant sous le réverbère ce que nous pouvons éclairer. Cette coordination est normalement le rôle du service statistique ministériel, qui est producteur et peut être coproducteur, comme dans le cas des données de gestion sur le chômage dont nous disposons en fin de mois.

Il n'est pas forcément grave que des décalages se produisent dans les données de Pôle emploi, par exemple lorsqu'un chômeur a un rappel parce qu'il n'a pas été enregistré à temps mais, pour faire du diagnostic conjoncturel, il est important que les gens soient bien affectés aux mois où ils étaient chômeurs et non à ceux où ils ont touché leurs indemnités de chômage. Un travail est donc nécessaire pour s'assurer que les données de gestion puissent être utilisées en données statistiques. L'un des problèmes, en particulier, est que les statistiques changent lorsque les règles de gestion changent. Il est important que les séries soient homogènes dans la durée de manière à ce que les évolutions puissent être interprétées comme la mesure du phénomène étudié et non comme un artefact ou un changement institutionnel créant une rupture de série. Le rôle du service statistique ministériel est donc important pour coordonner et passer à des données statistiques.

Il ne s'agit pas de faire un projet seulement pour la DREES. Il faut développer un projet d'ensemble pour le système statistique sanitaire et social puisqu'il faut enrichir les données et, notamment, mobiliser plus de données. Sur la morbidité, par exemple, que j'ai déjà évoquée, nous ne disposons pas de données de Santé publique France labellisées dans la statistique publique. Il nous semble que c'est qualitativement une anomalie et je n'ai aucun doute qu'un enrichissement est possible si la DREES et Santé publique France se mettent collectivement au travail de façon à ce que toutes les données de Santé publique France puissent être utilisées ainsi que les données des autres opérateurs.

Certaines données d'opérateurs sont déjà labellisées, par exemple celles de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM), mais cela reste très limité. Il nous semble donc nécessaire d'avoir un projet vraiment construit, qui tienne compte des données facilement mobilisables mais prenne aussi soin de ne pas laisser d'angle mort. Il faut mobiliser toutes les données existantes pour avoir une statistique de qualité répondant aux demandes de l'utilisateur. Nous suggérons par conséquent que le service statistique public puisse se mobiliser avec des moyens adaptés.

Ceci donne actuellement lieu à deux missions. L'une porte spécifiquement sur les causes de mortalité et l'autre est une cartographie destinée à recenser l'existant et à l'utiliser au mieux. Mon intuition est qu'un architecte est nécessaire pour réaliser un saut qualitatif, que nous avons trop procédé par « bricolage » en utilisant des données hétérogènes. Les enjeux à traiter dans le domaine sanitaire et social sont trop lourds pour s'en contenter et la crise du covid a montré que la somme de coups de projecteur ne remplace pas une véritable statistique construite. Notre conclusion est qu'il faut construire ce projet en le concevant vraiment comme un projet, c'est-à-dire en répondant aux attentes du public sans chercher à savoir qui a fauté.

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