Je vous interrogerai cet après-midi sur une mesure emblématique de la LFSS 2020 : la mise en place de l'intermédiation financière en matière de pensions alimentaires. Sous ce vocable quelque peu technique se niche une promesse du Grand débat, celle visant à résoudre les importantes difficultés rencontrées par de nombreux parents dans le paiement des pensions alimentaires. Ce progrès avait été salué sur tous les bancs de notre assemblée et a été adopté à l'unanimité, en commission comme en séance publique. Un an et demi plus tard, où en est sa mise en œuvre ?
J'ai à ce sujet quelques observations et interrogations. Entré pleinement en vigueur au 1er janvier, le dispositif est encore très jeune et il ne peut donc s'agir que d'un premier point d'étape. Cependant, le mécanisme mis en place ne partait pas de rien. En réalité, la construction d'un filet de protection contre les impayés de pension remonte aux années 1970, avec de nombreuses étapes depuis. Il s'agit donc d'une nouvelle pierre apportée à l'édifice et non d'une révolution.
Le dispositif retenu voici un an et demi entend compléter la logique réparatrice par une logique préventive qui consiste à organiser en amont le versement de la pension alimentaire à la CAF ou à la Mutualité sociale agricole (MSA) qui, elle-même, la reverse au parent créancier. En cas d'impayé, elle lui substitue l'allocation de soutien familial (ASF) et procède à la mise en recouvrement forcé des sommes dues. Ce mécanisme est évidemment très utile et complémentaire de la logique de recouvrement des impayés a posteriori qui prévalait jusqu'à maintenant.
Enfin, je souligne l'effet mobilisateur qu'ont créé la mise en place et la valorisation de ce dispositif au sein des équipes chargées de son déploiement comme chez les assurés susceptibles d'être concernés ce qui, à mes yeux, est une excellente chose.
Ces constats globalement positifs n'interdisent pas de se poser quelques questions inspirées par les auditions que j'ai conduites pour préparer cette évaluation. Pour évaluer un dispositif, il convient tout d'abord d'en confronter l'objectif avec ses résultats et les moyens qui lui sont alloués.
S'agissant de l'objectif, je constate qu'il était assez ambitieux puisque l'étude d'impact évoquait une montée en charge de 42 millions d'euros en 2020 à 122 millions en 2023 avec en parallèle une augmentation du nombre d'allocataires de l'ASF de 50 000 à 90 000. Nous estimons que 300 000 familles environ sont confrontées à des difficultés d'impayés.
Maintenez-vous ces estimations du coût et de la cible à atteindre ? Avez-vous un objectif de réduction des impayés de pension alimentaire plus précis, par exemple en termes de taux de pensions impayées ?
S'agissant des résultats, je me félicite que le nombre des bénéficiaires de l'intermédiation fasse partie des objectifs de la vie quotidienne. D'après le site Internet dédié, 5 903 familles percevaient une pension alimentaire intermédiée en mars 2021. Considérez‑vous ce chiffre comme satisfaisant ? Pourrons-nous disposer dans les mois à venir d'informations plus qualitatives sur les motifs de ces recours et les profils concernés ?
S'agissant enfin des moyens mis en œuvre, j'ai déjà évoqué le chiffrage budgétaire mais l'étude d'impact évoquait une importante campagne de recrutement de 450 ETP supplémentaires en 2020. Où en sommes-nous ? À quelles tâches ont précisément été affectés ces personnels ? Comment a été calibré ce chiffre pour un public encore relativement limité ? J'ai cru comprendre que l'UNAF avait établi une comparaison avec les faibles moyens dévolus à la médiation familiale, qui disposerait des mêmes effectifs pour une mission a priori plus large.
Ma deuxième série d'interrogations est davantage liée aux freins auxquels peut se heurter le développement de la mesure. J'ai noté un manque d'informations sur ce dispositif, qui demeure selon moi encore un obstacle aujourd'hui, comme l'ont rappelé certaines associations. Quelles sont les mesures de communication mises en œuvre, à l'égard du grand public mais aussi des professionnels du droit et sur quelle durée ?
Un autre frein possible est lié à la perception de la mesure. Elle a été construite pour apaiser les relations mais il nous a été signalé que l'intermédiation, au moment de sa mise en place, est au contraire parfois perçue comme un signe de défiance alors qu'aucun problème ne s'est encore présenté. Cela expliquerait que certaines personnes refusent d'y recourir en amont. N'est-ce pas une grande limite à cette démarche préventive ? Comment faire en sorte que cette démarche se banalise dans les perceptions ?
Les experts ont aussi souligné qu'avec l'ASF d'une part et le RSA d'autre part, le recouvrement de la pension impayée était pour certaines familles un jeu financier à somme nulle. Quel serait pour ces parents aux revenus modestes l'intérêt de recourir à ce dispositif ?
Enfin, l'intermédiation ne peut pas résoudre les difficultés liées à l'insolvabilité, réelle ou parfois organisée, du parent débiteur. De ce point de vue, le renforcement parallèle des moyens des CAF est-il envisagé et, le cas échéant, est-il suffisant ?
Je terminerai par une interrogation qui porte davantage sur la philosophie d'ensemble de cette mesure. Elle s'inspire du modèle québécois mais ce modèle, comme le rappelaient les personnes auditionnées, repose sur un accompagnement très fort des parents et des enfants au moment de la séparation, bien en amont, et sur une très grande latitude accordée aux caisses dans la fixation des pensions à la différence de ce qui prévaut en France avec une fixation judiciaire. Pensez-vous dans ces conditions que ces résultats québécois soient totalement reproductibles en France sans ces fondamentaux qui sous-tendent ce modèle ?