Il est difficile d'évaluer une telle réforme après si peu de temps. Elle est très importante et touche à des sujets culturels. Pouvons-nous changer la relation des parents séparés en considérant qu'il n'existe plus de lien financier direct entre eux et qu'un intermédiaire intervient aussi systématiquement que possible ?
La loi n'a pas prévu que cette intervention soit obligatoire mais l'objectif du Gouvernement est de faire en sorte qu'elle soit la plus systématique possible, d'où les objectifs ambitieux de déploiement à deux ou trois ans. Tout cela demande évidemment beaucoup d'informations mais suppose aussi d'agir sur les représentations. Il faut que le parent créancier, le plus souvent la mère, ne soit pas confronté à une forme de crainte au moment de faire cette demande.
Nous ne pouvons pas imaginer que de telles évolutions soient immédiates et interviennent dès l'entrée en vigueur de la réforme. Celle-ci est entrée en application progressivement en octobre 2020 pour une première part puis en janvier 2021 pour une seconde part. Ainsi, nous n'en sommes encore qu'au tout début. Nous recensons actuellement 28 000 demandes d'intermédiation financière, dont 8 000 sont mises en place et cela augmente chaque mois.
Vous nous avez interrogés sur les répercussions sur l'ASF. Il conviendrait de mener des études fines pour établir un lien direct avec la réforme mais nous constatons une augmentation du nombre d'ASF versées ces derniers mois : celui-ci est en effet passé de 790 000 à 840 000 entre fin 2019 et fin 2020. Nous ne pouvons pas y voir directement l'impact de la réforme mais il n'en demeure pas moins que le nombre d'ASF augmente.
Sur le plan purement financier, nous prévoyons plus de recours à l'ASF ainsi qu'un meilleur taux de versement des pensions alimentaires, avec moins d'impayés. La pension sera plus souvent payée et, lorsqu'elle n'est pas payée, le recouvrement sera plus élevé avec cette réforme, après ce qui avait déjà été mis en place avec l'Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (Aripa). Le parent créancier sera plus aidé, que ce soit par un meilleur recours à l'ASF ou, à chaque fois que possible, par un meilleur paiement de la pension elle-même.
D'après les chiffres de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, les pensions alimentaires représentent 18 % du revenu des parents créanciers. Il s'agit donc d'un montant important. D'où l'intérêt de la réforme pour les revenus des personnes concernées.
Comment pouvons-nous faire en sorte que cette démarche se banalise ? Nous disposons de plusieurs leviers. Le premier levier, du côté des CAF, est celui de la communication, avec en ce moment-même des campagnes de communication vers les parents. Un autre levier est celui de la justice. Il faut absolument que les juges s'en saisissent et, si nous y parvenons, que les avocats s'en saisissent. On ne constate pas vraiment de « frémissement » du côté des avocats mais, du côté des juges, la situation évolue et nous en attendons beaucoup. Si la décision est automatiquement prise de passer par l'intermédiation lorsque la pension est fixée dans le cadre du divorce, le parent créancier n'aura pas à y revenir et à faire lui-même ou elle-même la demande ultérieurement.
Vous posez la question philosophique de la reproductibilité du modèle québécois. Nous y croyons. Toutefois, nous n'appliquerons pas exactement ce modèle mais conserverons nos spécificités sur le mode de fixation du montant des pensions. Nous ne pourrons certainement faire la preuve de ce concept qu'au bout de deux ou trois ans mais nous y croyons.
Cette réforme a répondu à une attente très forte lors du Grand débat. Si les mères en particulier ont exprimé aussi fortement cette attente à cette occasion, il serait logique qu'elles fassent appel à cette nouvelle possibilité dans les années qui viennent.