Intervention de Jeanine Dubié

Réunion du mercredi 9 juin 2021 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJeanine Dubié, rapporteure :

« J'aimerais seulement qu'on me donne l'équivalent du revenu décent pour vivre. Je ne suis pas un miteux, je n'ai pas besoin de faire la quête. Je continuerai à lutter toute ma vie pour qu'on me donne cette dignité. » Ces mots, ce sont ceux de Frédéric, militant d'Act Up, qui nous a fait part en audition de son combat de longue date pour l'individualisation de l'AAH et la reconnaissance d'un véritable droit à l'autonomie. Ils sont aujourd'hui des milliers, comme lui, à vivre avec le handicap ou la maladie et à se battre pour réparer une profonde injustice : celle de la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l'AAH.

En effet, le montant de l'AAH est aujourd'hui calculé en tenant compte des revenus du bénéficiaire mais également de ceux de son conjoint, lesquels ne doivent pas dépasser un plafond. Si les revenus du bénéficiaire, ajoutés à ceux de son conjoint, dépassent 19 626 euros par an pour un couple sans enfant, il perd son allocation. Si le conjoint bénéficie d'un revenu inférieur à ce plafond, l'AAH est amputée proportionnellement.

Ce mode de calcul est absurde. Les associations nous ont rapporté de nombreux témoignages selon lesquels les personnes en situation de handicap renoncent à être en couple ou à vivre avec leur conjoint pour ne pas perdre leur allocation. Il est ensuite dangereux : la dépendance financière envers son conjoint est particulièrement problématique pour les femmes victimes de violences conjugales pour lesquelles la dépendance financière constitue un frein supplémentaire pour s'extraire des situations d'emprise qu'elles subissent. Il est enfin intolérable, car il contrevient au principe d'autonomie des personnes en situation de handicap, et plus largement, à leur dignité. C'est pour ces raisons que j'ai déposé l'année dernière la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, qui prévoit d'individualiser l'AAH dans ses règles de calcul et de plafonnement. Je tiens à remercier très chaleureusement le groupe de la Gauche démocrate et républicaine de l'avoir inscrite à l'ordre du jour de sa journée de niche. J'ai également une pensée pour Marie‑George Buffet, qui, la première, avait présenté un texte semblable.

Cette proposition de loi, je le rappelle, a été adoptée en première lecture le 13 février 2020 à l'Assemblée nationale puis le 9 mars 2021 par le Sénat, dans le cadre, à chaque fois, d'un vote dépassant les clivages politiques. Nous devons saluer la qualité du travail de nos collègues sénateurs, qui ont permis d'enrichir le texte et d'en éviter les effets de bord. Ils ont ainsi rétabli la majoration du plafond pour enfant à charge et proposé une période de transition pour les perdants de l'individualisation de l'AAH. Le texte nous paraît tout à fait équilibré et répond à son objectif initial. Nous appelons à son adoption sans modification. En ce sens, je l'ai dit à plusieurs reprises, tout amendement serait considéré comme la marque d'une volonté de faire échouer la proposition de loi. C'est pourquoi nous serons défavorables aux amendements proposés par la majorité et le Gouvernement, qui ignorent la mesure phare de la proposition de loi qu'est l'individualisation de l'AAH.

L'argument principal contre cette réforme est l'appartenance de l'AAH à la catégorie des minima sociaux. Or il est important de rappeler que l'AAH n'est pas un minimum social ; c'est une prestation à vocation spéciale. D'une part, elle est prévue dans le code de la sécurité sociale et non, comme le revenu de solidarité active auquel certains veulent la comparer, dans celui de l'action sociale et des familles. Son contentieux relève des juridictions de la sécurité sociale. Le principe de l'aide sociale est celui de la subsidiarité ; l'un des principes de la sécurité sociale est l'universalité et l'uniformité. Il n'est donc pas possible de tenir compte des disparités de revenus dans le domaine de la protection sociale.

D'autre part, par sa nature même, l'AAH ne peut pas être considérée comme les autres minima sociaux. En effet, elle est une aide durable, donnée à des personnes qui ne peuvent travailler qu'à temps partiel, voire pas du tout, et dont la situation n'évoluera pas favorablement. L'individualisation de l'AAH représente une demande de longue date des personnes en situation de handicap et, nous le savons, son adoption serait historique. Il ne faut pas non plus oublier les autres mesures de cette proposition de loi, qui prévoit également le report de 60 à 65 ans de la barrière d'âge au-delà de laquelle il n'est plus possible, sauf exceptions, de solliciter la PCH, mesure adoptée conforme par le Sénat, ainsi que les dispositions visant à soutenir et à encourager le parcours sportif des personnes en situation de handicap.

Nous ne pouvons ignorer la mobilisation particulièrement forte au sujet de la proposition de loi, en particulier les quelque 100 000 signatures de la pétition en ligne sur le site du Sénat, qui l'ont conduit à inscrire le texte à son ordre du jour. J'invite véritablement chaque député à voter en son âme et conscience. L'attente des personnes en situation de handicap est très forte ; nous ne devons pas les décevoir.

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