Intervention de Annie Chapelier

Réunion du mardi 29 juin 2021 à 17h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnie Chapelier, rapporteure :

Lors de son allocution aux Français le 13 avril 2020, le Président de la République, M. Emmanuel Macron, déclarait : « Il nous faudra nous rappeler que notre pays, aujourd'hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. » Avons-nous pris véritablement la mesure de ce constat, après de longs mois où les personnels soignants ont fait preuve de leur dévouement, voire pour certains de leur héroïsme ? Si beaucoup de professions ont obtenu, quoique de manière disparate, des avancées réellement majeures en matière de rémunération, les professions de santé souffrent encore d'un manque de reconnaissance criant et particulièrement alarmant. Moins attractives, ces professions suscitent dans certaines filières de moins en moins de vocations, et sont surtout confrontées à une démobilisation et une démotivation des professionnels en activité, qui sont nombreux à chercher à se réorienter. À terme, c'est tout le système de santé qui sera menacé.

Ce manque de reconnaissance affecte plus particulièrement les professions médicales visées aux titres Ier à VII du livre III de la quatrième partie du code de la santé publique, et qui font l'objet de mon rapport : les infirmiers, bien sûr, qui en représentent la plus grande partie, en incluant les infirmiers spécialisés : infirmiers anesthésistes diplômés d'État (IADE), infirmiers de bloc opératoire diplômés d'État (IBODE), infirmiers puériculteurs, et depuis peu infirmiers en pratique avancée (IPA) ; mais aussi les professionnels de la rééducation et de la réadaptation, à savoir diététiciens, pédicures-podologues, orthophonistes, orthoptistes, kinésithérapeutes, ergothérapeutes et psychomotriciens ; les professionnels de la vision, de l'audition et de l'appareillage, comme les opticiens-lunetiers, les audioprothésistes, les orthoptistes à nouveau et les prothésistes-orthésistes ; les professionnels de l'assistance médicale et technique, techniciens de laboratoire et manipulateurs en électroradiologie médicale.

Parmi les nombreuses difficultés rencontrées par ces professionnels, nous avons choisi de nous concentrer sur la problématique de la formation, au carrefour d'un grand nombre d'enjeux. En effet, comme l'a rappelé la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, Mme Frédérique Vidal, à l'occasion du lancement de la stratégie « Ma Santé 2022 » : « Former les futurs professionnels de santé, c'est préparer l'avenir de notre système de soins ». La formation joue en effet un rôle clé dans la valorisation des métiers et contribue pleinement à leur attractivité. C'est aussi grâce à leur formation que les professionnels de santé développent les aptitudes et savoir‑faire indispensables à l'exercice de leur mission. La réflexion sur la formation renvoie également aux périmètres d'activité et aux compétences exercées par chaque métier.

Or, le système de formation aux professions paramédicales souffre de nombreuses failles, dénoncées par les professionnels au cours des auditions que nous avons menées. En particulier, ce système contrevient aux engagements pris lors des accords de Bologne en 1999, qui avaient pour objet l'harmonisation de l'enseignement supérieur européen autour du schéma licence-master-doctorat, dit « LMD ». L'universitarisation des études paramédicales, revendication partagée de longue date par l'ensemble des professions et proposée par de nombreux rapports restés lettre morte, est en effet loin d'être achevée. Je tiens quand même à saluer les efforts importants réalisés depuis quelques années dans ce champ, mais à rappeler que cet objectif est néanmoins bien loin d'être atteint. Je rappelle qu'aujourd'hui, les professions qui peuvent être qualifiées d'« universitarisées » incluent, en plus des infirmiers, les infirmiers anesthésistes et les IPA, les manipulateurs en électroradiologie médicale, les pédicures-podologues, les orthoptistes et les orthophonistes. Cette situation n'est pas acceptable et a de nombreuses répercussions.

D'abord, les formations aux professions paramédicales se caractérisent par leur très forte hétérogénéité. Pour chacune de ces professions, il existe en effet des formations, diplômes, niveaux d'étude et des statuts totalement disparates ! Certaines professions, comme celle des techniciens de laboratoire, font même appel à des dizaines de formations différentes : j'en ai répertorié treize, relevant de quatre ministères de tutelle différents. À ce paysage hétéroclite est associée une gouvernance complexe, faisant intervenir un grand nombre d'acteurs, aux compétences souvent enchevêtrées. La répartition des prérogatives entre l'État et les régions n'est pas claire, notamment s'agissant du pilotage financier des formations. La multiplication des tutelles ministérielles sur les formations apparaît elle aussi très problématique, au regard de la difficulté qu'ont les acteurs à se retrouver dans ce paysage institutionnel complexe.

L'intégration à l'université des formations paramédicales, intervenue au par cas, sans souci de cohérence globale, pose aussi un enjeu de reconnaissance et d'égalité. Le système LMD permet en effet de favoriser un meilleur équilibre des relations de travail entre les professionnels de santé, et un respect mutuel de chaque corps de métier. Les formations qui en sont exclues sont ainsi particulièrement défavorisées.

Enfin, les professionnels auditionnés ont parfois souligné l'inadéquation de leur formation à l'exercice de leur profession. Pour certaines d'entre elles, les formations sont en effet particulièrement datées : il faut par exemple évoquer les opticiens-lunetiers ou les audioprothésistes, dont les formations n'ont respectivement pas évolué depuis 1998 et 2001. Au‑delà de la seule formation, ce sont parfois les référentiels d'activité et les compétences mêmes des professionnels qui ne sont plus adaptés.

Voilà pourquoi, nous devons répondre à l'attente légitime des professionnels de santé d'une réingénierie de leur formation, associée à une réingénierie de leurs statuts et de leurs compétences.

Je demeure convaincue que la formation, et plus précisément son universitarisation, doivent constituer une véritable priorité au vu des nombreux avantages qu'elles comportent. Au-delà de l'enjeu essentiel de la reconnaissance, l'intégration complète des formations paramédicales à l'université contribue à la flexibilité des parcours d'étude et professionnels et favorise la libre circulation des professionnels de santé dans l'Union européenne. Il faut par ailleurs évoquer l'intérêt de l'universitarisation pour la recherche, particulièrement essentielle dans le domaine des sciences paramédicales. Je souhaite dès à présent répondre à la principale objection à l'universitarisation : celle d'une incompatibilité supposée entre université et apprentissage pratique. Je le répète : la dimension professionnelle peut tout à fait être conciliée avec la formation universitaire. Un grand nombre de métiers, au premier rang desquels figurent les professions médicales, ont en effet montré leur capacité à intégrer les savoirs pratiques au sein de l'université. Il nous faut abandonner à tout prix ce clivage désuet entre sachants et praticiens.

Notre rapport comporte une série de préconisations visant à rendre véritablement effective l'universitarisation de ces formations. Nous proposons ainsi d'intégrer dans le schéma LMD l'ensemble des professions paramédicales. Cela implique de conférer à l'ensemble des formations de niveau bac + 3 le grade licence qui devrait leur être reconnu, celui de master aux formations de niveau bac + 5 et d'amener à trois ans d'études reconnues au grade licence l'ensemble des formations qui se déroulent aujourd'hui en deux ans ou en trois ans, mais ne sont reconnues qu'au niveau bac + 2. Il est par ailleurs essentiel de simplifier le système de formation, en ne prévoyant qu'une seule formation par profession et en clarifiant les responsabilités respectives de chaque acteur dans la gouvernance des formations. À cet égard, nous proposons de définir le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et le ministère des solidarités et de la santé comme seuls ministères compétents pour les treize professions, à l'exclusion de tout autre ministère.

L'universitarisation nous paraît en outre constituer un levier essentiel pour favoriser l'interprofessionnalité et la connaissance par les étudiants de l'ensemble des corps de métier. Nous préconisons de mettre en place, autant que possible, des modules et enseignements communs aux étudiants de spécialités médicales et paramédicales, en particulier au travers d'exercices de simulation, de colloques ou de jeux de rôle, essentiels pour les familiariser au travail d'équipe et à la pluridisciplinarité dès l'université. Il s'agit d'une demande forte de la part de tous les étudiants.

S'agissant des modalités concrètes de l'universitarisation, nous considérons que les conventions passées entre les instituts de formation et les universités doivent constituer la voie privilégiée de l'intégration à l'université. Alors que la création de nouvelles universités ne nous paraît pas réaliste, il est préférable de s'appuyer sur les instituts existants et leur personnel, afin de maintenir un enseignement pratique élevé et adapté au cœur de métier de chaque profession.

Notre rapport comporte par ailleurs une série de propositions visant à adapter les professions paramédicales aux besoins de santé de la population. Il est d'abord indispensable d'ajuster en continu la formation et les compétences des professionnels de santé aux besoins identifiés en matière de santé publique. Nous proposons ainsi de procéder, à échéance régulière, par exemple tous les deux ou cinq ans, à l'évaluation des référentiels d'activité et des compétences des formations et d'adapter, en fonction, les maquettes de formation. Nous ne pouvons en effet nous contenter de la situation actuelle d'une réingénierie partielle et tardive, toujours suspendue aux crises et menée sans concertation des professionnels, ni souci de cohérence globale.

Nous recommandons aussi de redéfinir l'exercice infirmier en pratique avancée. Ce dernier constitue une innovation majeure pour notre système de santé : il ouvre des possibilités accrues de coopération entre personnels médicaux et paramédicaux, offre de nouvelles perspectives de carrière et, comme le montrent les exemples étrangers, peut constituer un véritable atout pour la prise en charge des patients. La réforme aboutissant à la création du statut d'IPA a pourtant été relativement mal menée. En particulier, elle a conduit à opposer les spécialités classiques et la pratique avancée en créant des différences symboliques de statut, très mal vécues par certains corps comme les infirmiers spécialisés. Pour répondre à ces difficultés, nous proposons d'appliquer en France le modèle de pratique avancée retenu par le Conseil international des infirmières et en vigueur dans de nombreux États, qui repose sur deux catégories de pratique infirmière avancée : les infirmiers praticiens d'une part, généralistes et pouvant intervenir en premier recours auprès des patients, et les infirmiers cliniciens spécialisés, d'autre part, dont l'expertise est centrée sur un champ ou domaine d'intervention spécialisé. Nous proposons ainsi de déployer ces deux nouvelles catégories au sein du code de la santé publique. Cette nouvelle organisation permettrait d'intégrer les IADE dans un premier temps, puis les IBODE et les puériculteurs, lorsque la réingénierie de leur formation en deux ans sera achevée. Ce modèle permettrait de remettre sur un pied d'égalité les actuels IPA et spécialités infirmières, dont le rôle indispensable doit être reconnu au même titre.

Nous recommandons, par ailleurs, d'étendre la pratique avancée à trois nouveaux domaines : la santé scolaire, la santé au travail et la gériatrie-soins palliatifs. Le développement de la pratique avancée pourrait en effet permettre de répondre aux besoins croissants d'accompagnement des personnes âgées et en fin de vie et de suivi médical des élèves et salariés. Cette proposition avait par exemple été évoquée pour les infirmiers en santé au travail à l'occasion de la proposition pour renforcer la prévention en santé au travail de notre collègue Charlotte Parmentier‑Lecocq. Il est par ailleurs nécessaire de s'interroger sur l'opportunité d'ouvrir la pratique avancée, qui ne concerne aujourd'hui que la profession infirmière, à d'autres métiers, à l'instar des opticiens‑lunetiers ou des manipulateurs en électroradiologie. Il est essentiel d'évaluer, en concertation avec les professions, les métiers et domaines pour lesquels cet exercice en pratique avancée pourrait être opportun. Avant d'entamer ces concertations, il sera nécessaire de réaliser un bilan de la formation actuelle au diplôme d'infirmier en pratique avancée et l'intégration professionnelle des IPA.

Mes chers collègues, les professionnels de santé, que nous avons tous applaudis tous les soirs au cœur de la crise sanitaire, attendent urgemment que nous revalorisions leur profession et leur permettions d'exercer dans les meilleures conditions, et surtout dans leur cœur de métier. Ce rapport comme d'autres avant lui, notamment le rapport de 2011 du professeur Berland, qui conduisait exactement aux mêmes préconisations, propose des mesures concrètes pour atteindre ces objectifs. À nous de nous en saisir !

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