Intervention de Annie Chapelier

Réunion du mardi 29 juin 2021 à 17h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnie Chapelier, rapporteure :

Je voudrais en préambule rappeler que le périmètre de mon travail concernait treize professions. Les préparateurs en pharmacie par exemple, qui ont été évoqués par M. Perrut, n'en font partie, puisqu'ils ne font pas partie des titres Ier à VII du livre III de la quatrième partie du code de la santé publique, mais se situent dans un autre registre. C'est pourquoi il n'était par exemple pas question dans mon rapport. Les problématiques que rencontrent les autres professions – aides-soignants, auxiliaires de puériculture, ambulanciers, préparateurs en pharmacie, etc. – sont toutefois presque similaires, même si un certain nombre d'entre elles, par exemple les ambulanciers et les aides-soignants, ne sont pas concernées par l'universitarisation. Ces treize professions représentent quand même un peu plus d'un million d'actifs, ce qui est donc loin d'être négligeable. Surtout, elles sont très mal connues par la population générale et sollicitent constamment cette réingénierie, comme depuis vingt ans maintenant cette universitarisation. Même pour les infirmiers, elle est encore incomplète. Le sentiment général est également que des avancées ne sont obtenues que par les revendications et les manifestations. Or, cette nécessité de descendre dans la rue pour faire valoir des demandes légitimes est épuisant et démobilisant pour les professionnels.

Madame Rist, vous me questionnez sur l'universitarisation. Je souhaiterais en rappeler les enjeux majeurs, qui sont réellement essentiels. Son objectif n'est pas seulement de fournir des perspectives aux professionnels, ni d'harmoniser les formations au niveau national et de permettre entre elles des passerelles. Il s'agit également de fournir un diplôme reconnu au niveau international, et d'ouvrir ainsi ces étudiants à l'ensemble de l'Europe. La moitié des kinésithérapeutes qui s'installent actuellement en France ont par exemple été formés dans des pays de l'Union européenne. Universitariser le cursus français de formation à la kinésithérapie, qui est très complexe, est donc essentiel pour permettre aux étudiants qui l'ont suivi d'être à égalité avec les autres.

Vous m'interrogez également sur la place qui pourrait être faite pour de nouvelles formations à de nouveaux métiers. Je propose en fin du rapport un focus sur la pratique avancée, métier nouveau qui n'est apparu que depuis quelques années en France, alors qu'il est très ancien dans de nombreux pays – il existe depuis près de soixante ans aux États-Unis –, où des formations universitaires ont été mises en place pour y accéder. L'universitarisation des formations existantes constitue le préalable indispensable à la mise en place de tous ces métiers et donc de ces nouvelles formations. Il n'est pas concevable de créer de nouvelles formations tant que cette harmonisation et cette approche des professions qui leur permettra d'être en situation d'égalité n'auront pas été mises en œuvre. Au regard des besoins des populations et de l'offre de soin, de nouvelles professions devront évidemment être créées ensuite, mais seulement en fonction des besoins de la population. Mon rapport ne portait cependant pas sur cet enjeu. Celui de mon collègue Cyrille Isaac‑Sibille sera beaucoup plus centré sur ces points, et pourra beaucoup mieux y répondre.

J'insiste vraiment toutefois sur ce préalable indispensable de l'universitarisation associée à une réingénierie et une simplification, des financements comme des offres de formation. Les techniciens de laboratoire, par exemple, qui étaient encore dans la rue récemment, présentent une demande forte de simplification de leur parcours de formation, qui comprend plus de treize formations, incluant un institut de formation, différents BTS, des BTSA – dépendant du ministère de l'agriculture – et des licences disparates, les unes sur deux ans, les autres sur trois ans, etc. Il est impératif de prévoir une seule formation pour une seule profession. Les infirmiers, qui sont les plus nombreux parmi les professionnels paramédicaux, ne disposent que d'un seul modèle de formation : celui de la maquette de l'institut de formation en soins infirmiers, alors que leur champ d'activité est très large et peut amener les professionnels à travailler dans des milieux très divers. L'argument selon lequel multiplier les types de formations permettrait d'ouvrir au maximum l'accès de la population estudiantine à une profession ne tient donc pas. Cette multiplication ne présente au contraire aucun intérêt. Elle nuit seulement à la lisibilité des parcours de formation, dont tous les professionnels réclament la clarification. Parcoursup, notamment, conduit de nombreuses personnes vers des formations de second choix, faute précisément de savoir en quoi elles consistent. Si, de manière très lisible et simple, une formation était associée à une profession, l'attractivité de certaines des professions qui en manquent serait beaucoup plus grande.

Madame Valentin, vous avez évoqué les aides-soignants, qui ne font pas non plus partie du périmètre de mon rapport. Vous avez souligné que les formations étaient parfois inadéquates. En effet, les référentiels de certaines professions datent de plus de cinquante ans. Les orthésistes-prothésistes, par exemple, travaillent encore sur des modèles en cire au cours de leurs études, alors qu'ils fabriqueront ensuite des appareillages avec des imprimantes 3D : le décalage est donc total. Ils sont donc en attente d'une réingénierie qui est en cours depuis plus de dix ans.

Vous promouvez les passerelles entre les professions. L'objectif de l'universitarisation est aussi de permettre ces passerelles. Le modèle que je préconise à cet égard est le conventionnement entre les instituts de formation – lorsqu'ils existent déjà, ce qui n'est pas le cas dans toutes les professions, certaines n'étant accessibles que par des BTS et des lycées – et l'université. Il ne s'agit surtout pas de créer des chaires universitaires propres à chacune de ces professions. Ce serait trop complexe et trop long. Mieux vaut réellement travailler avec l'existant. C'est là aussi une demande très forte, et surtout très réaliste, des professionnels.

Je partage totalement vos arguments en faveur de la pluridisciplinarité et de l'horizontalité.

Monsieur Isaac-Sibille, comme vous le soulignez à raison, l'histoire nous rappelle que nous sommes en constante évolution, que jamais rien n'est acquis, dans les métiers comme dans la science, et que nous devons continuellement progresser. Or, l'universitarisation, décidée il y a déjà vingt ans en Europe, s'inscrit dans cette marche de l'histoire et le temps est venu de la réaliser.

Comment faire pour intégrer les autres professions spécialisées ? Pour les professions spécialisées d'infirmier, du moins, j'ai proposé un modèle calqué sur celui du congrès international des infirmiers, qui permet de définir la pratique avancée. Le modèle français est un modèle hybride créé pour répondre à une certaine demande, mais qui a rencontré très rapidement certaines limites, en raison de sa trop grande rigidité. Elle est notamment manifeste dans le cas de la pratique avancée urgentiste, pour laquelle le modèle français est à ce titre très difficilement acceptable. La proposition que j'ai présentée a été discutée avec de nombreux professionnels spécialisés. La pratique avancée pourrait servir de cadre dans lequel les professions spécialisées s'inscriraient progressivement, en y distinguant les praticiens jouant un rôle de premier recours et les infirmiers cliniciens spécialisés, auxquels pourraient s'intégrer les infirmiers anesthésistes.

Surtout, vous posez une question fondamentale : quel serait le coût de cette universitarisation ? J'ai posé cette question au ministère de l'enseignement supérieur, à la direction générale de l'offre de soins (DGOS), etc. : je l'ai posée à tout le monde. Personne n'a été en mesure d'y répondre. Chaque fois que la question de l'universitarisation est soulevée, son coût est invoqué. Pourtant, personne n'est capable de l'estimer. Je doute pour ma part que ce coût serait réellement prohibitif. Les études existantes en elles-mêmes ont en effet déjà un coût, et la multiplicité des acteurs représente pour elles un surcoût. L'existence par exemple de deux filières pour les diététiciens ou les manipulateurs radio multiplie leurs coûts, parce qu'elle multiplie les acteurs qui y interviennent, etc. Il coûtera donc moins cher de tout ramener au seul modèle des instituts de formation ou des universités, comme dans le cas des orthophonistes. La simplification entraîne nécessairement des économies. Faute d'estimation existante du coût de l'universitarisation, je ne peux cependant parler que d'une manière générale et au conditionnel.

Monsieur Potterie, vous m'interrogez sur les effets de la pratique avancée. Je viens de rappeler ma proposition à cet égard. La différence entre les infirmiers diplômes d'État et IPA est extrêmement bien définie dans le code de la santé publique. Les IPA suivent une formation de deux ans supplémentaires à l'université, qui leur accorde le grade de master. Ils sont donc parfaitement universitarisés et, depuis plusieurs années, les infirmiers sont également universitarisés, au niveau licence.

Tous les autres pays disposent de pratiques avancées pour les infirmiers. En revanche, je ne connais pas d'autres pays qui en disposent pour d'autres professions, et avoir ouvert ce champ de la pratique avancée à l'ensemble des professions paramédicales constitue une spécificité française. Il faut garder à l'esprit que les professions telles que nous les connaissons en France ne sont pas universelles : elles sont seulement françaises. Les infirmiers anesthésistes par exemple n'existent pas dans de nombreux pays : au Canada, seuls existent des inhalothérapeutes, dont le champ d'action beaucoup plus restreint les apparente davantage à des kinésithérapeutes, d'ailleurs appelés « physiothérapeutes », comme en Suisse ou en Belgique. Le métier de psychomotricien n'existe pas dans certains autres pays. Les orthophonistes sont appelés « logopèdes » en Belgique et « logopédistes » en Suisse, et ainsi de suite. Si j'encourage une évolution de ces professions vers la pratique avancée, il faut donc comprendre qu'elle se limitera à un champ français, et qu'elle devra rester acceptable pour la population. Cela signifie qu'elle devra rester compréhensible, et que les nouveaux professionnels devront rester identifiables. Sur le terrain, les IPA sont précisément aujourd'hui confrontés à cette difficulté de ne pas être identifiés. Une communication est nécessaire à cet égard. Chaque fois qu'on imagine un nouveau métier, il est indispensable de le promouvoir et de s'assurer qu'il répond à une réelle demande de la population. Les professionnels le rappellent en permanence. Ce qu'ils souhaitent, c'est travailler au cœur de leur métier et nulle part ailleurs.

Madame Wonner, vous posez la question fondamentale de l'importance que nous accordons à nos soignants. Je ne pourrai pas y répondre moi-même, mais je pense que nous y apportons une réponse chaque fois que nous leur apportons une forme de reconnaissance. L'évolution de leur formation constitue une telle reconnaissance, qui est très importante et très attendue de leur part. Il faut demander à chacun ce qu'il souhaite, et non pas imaginer ce qu'il souhaiterait. Si les professionnels de santé sont à ce point demandeurs à ce sujet, c'est qu'il est réellement important pour eux. Cela doit finir par nous interroger, et nous devons accélérer ce processus. À cet égard, il faut quand même reconnaître que la DGOS a vraiment accéléré le travail de réingénierie de très nombreuses professions, représentant près des deux tiers des professions paramédicales. Un tiers d'entre elles sont cependant encore laissées « sur le bas de la route ». Le calendrier est très serré. Ce problème n'ayant pas été traité durant près de vingt ans, la charge de travail est très importante et rattraper le retard accumulé prendra du temps. Cette accélération est néanmoins indispensable.

Vous parlez également de valoriser l'humain. Tous les professionnels ont ainsi rappelé qu'ils souhaitaient travailler dans leur cœur de métier, qui consiste à s'occuper des autres. Il n'est donc pas possible de valoriser leurs professions si l'on ne comprend pas qu'il s'agit de métiers du soin, dont les professionnels ne souhaitent pas qu'ils s'intellectualisent. Ils veulent que leurs professions soient universitarisées pour qu'elles aient accès à la recherche paramédicale, ce qui est indispensable pour les améliorer, mais ils veulent quand même rester centrés sur leurs métiers en tant que tels, et non devenir des intellectuels, mais rester des techniciens, qui sachent réaliser les gestes, les actes cliniques, et poser des diagnostics.

M. Dharréville a posé la question des salaires. L'universitarisation et la promotion des professions paramédicales seraient nécessairement suivies d'une revalorisation des salaires. Les plus inégalement traités à cet égard étaient peut-être les masseurs kinésithérapeutes en milieu hospitalier qui, après cinq ans d'études, ne relevaient que d'une grille indiciaire à bac + 3. De telles inégalités considérables sont en train d'être supprimées, mais elles ont persisté durant de nombreuses années. Les salaires en milieu hospitalier sont vraiment revus à la hausse par le ministère de la santé, mais il a besoin de continuer à progresser et peut-être de changer de méthode, car certaines professions sont encore oubliées : vous avez parlé des préparateurs en pharmacie, mais d'autres professions, et parfois même certains infirmiers, sont oubliés également, parce qu'ils ne relèvent pas des périmètres concernés.

M. Michels a posé de nombreuses questions sur la démographie et l'évolution des professions, comme sur les passerelles existantes entre aides-soignants et infirmiers. Je ne dispose pas de chiffres à ce sujet. Plusieurs articles publiés dans des revues spécialisées ont montré que la « légende urbaine » selon laquelle de nombreux infirmiers quittaient leur profession ne pouvait s'appuyer sur aucun chiffre existant. Il s'agit donc davantage d'un ressenti que d'un fait objectif. Il est néanmoins certain qu'un véritable mal‑être existe dans l'ensemble des professions, et chez les infirmiers en particulier, qui, suite à la crise sanitaire, sont nombreux à dire envisager de changer de métier, pour quitter l'hôpital notamment, car les conditions de travail y sont devenues trop pénibles pour eux. Le manque de reconnaissance est également très mis en avant, ce qui montre l'importance de s'orienter vers une universitarisation.

M. Michels a aussi évoqué la question du grand âge. Si ce rapport met en avant la nécessité de faire évoluer la formation, c'est aussi parce que le monde du soin et de l'aide aux personnes est bien l'un des secteurs où les besoins en recrutement seront les plus importants dans les années à venir. Les effectifs manquent déjà beaucoup dans certains secteurs et dans certaines professions, et nous en manquerons encore plus à l'avenir. Une augmentation en nombre des effectifs de toutes les professions est indiquée dans un tableau du rapport, mais elle reste très insuffisante au regard des besoins de la société. Ces besoins en recrutement nécessitent de rendre le secteur aussi attractif que possible en accordant une reconnaissance aux professionnels.

M. Perrut a parlé d'un « défi » : c'en est un, auquel nous sommes confrontés depuis longtemps. Promouvoir l'interprofessionnalité constitue une demande très forte de la part des professionnels, et surtout des étudiants, qui entrent dans leur vie professionnelle en se rendant compte qu'ils ne connaissent rien aux autres professions. Ils ont émis de nombreuses propositions pour y remédier, et des actions ont été mises en place en ce sens, mais qui restent largement insuffisantes. Des enseignements communs avec les autres professions peuvent parfois être mis en place lorsque les professions sont universitarisées, mais des moments d'échanges, et des échanges de rôle ou des exercices communs de simulations sont très demandés. Ils existent déjà dans certains centres hospitaliers universitaires, mais représentent un coût et ne sont pas suffisamment développés. Créer des colloques interprofessionnels fait également partie des propositions. Une multitude de petits gestes et d'enseignements sont ainsi à mettre en place systématiquement dans l'ensemble des professions, de l'aide-soignant au médecin, pour permettre de mieux comprendre quel est le rôle de chacun dans l'architecture de santé.

Comment simplifier les procédures d'admission ? Depuis maintenant deux ans, Parcoursup est devenu la règle, ce qui a déjà considérablement simplifié l'admission pour l'ensemble des professions. Les études infirmières constituent ainsi la formation la plus demandée à Parcoursup. Tout n'est cependant pas simple. La réforme des études médicales, avec la mise en place du parcours accès santé spécifique (PASS) et des licences avec option accès santé (LAS), a beaucoup complexifié leur lisibilité. Les kinésithérapeutes par exemple ont le choix entre quatre filières – PASS, LAS, sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) ou première année de licence de biologie – pour suivre leur première année. Certes, les étudiants ne savent pas toujours exactement ce qu'ils souhaitent faire après le bac, mais l'essentiel est alors de prévoir des passerelles. Il n'est pas possible de laisser certains étudiants, dans des zones d'indécision, accumuler durant plusieurs années des connaissances générales qui ne soient pas spécifiques à un métier et ne les spécialise pas réellement dans une profession. Pour devenir ergothérapeute, il faut s'y consacrer durant trois ans, et non passer deux années en cursus universitaire généraliste avant d'intégrer le parcours d'ergothérapeute. Les étudiants savent quand ils veulent s'engager dans de tels métiers, et il faut pouvoir les y aider.

Les psychomotriciens sont également les seuls à ne pas avoir affaire à Parcoursup.

Monsieur Belhaddad, vous parlez du manque de professionnels. Combien de places sont ouvertes dans nos territoires ? Ce sont actuellement les régions qui décident de ce nombre de places. L'universitarisation n'impliquera pas nécessairement de changement à cet égard. Il sera possible de laisser les régions décider du nombre de places qu'elles peuvent créer. Augmenter le nombre de ces places constitue cette fois un coût certain à intégrer au niveau des régions, l'État dispensant seulement les trames d'enseignement et les maquettes de formation. La première conséquence de l'universitarisation sera le développement du nombre de places en formation, ce qui est indispensable dans un secteur où les recrutements seront considérables. Penser que le reste de l'Europe pourra venir répondre aux besoins constitue un non‑sens, car ces besoins sont absolument universels, et chaque pays a besoin de ses propres professionnels. Il n'est donc pas possible de penser qu'ils nous enverront leurs professionnels, d'autant plus que leur formation sera très différente si nos propres professionnels ne sont pas universitarisés. Il faut donc procéder par étapes, commencer par l'universitarisation, ensuite ouvrir des places supplémentaires, puis créer des passerelles. Le monde est à nous : à nous de nous en saisir.

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