Intervention de Adrien Taquet

Réunion du mercredi 30 juin 2021 à 9h30
Commission des affaires sociales

Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles :

Avant tout, je veux m'excuser pour les délais assez courts dans lesquels vous avez dû travailler. Mais vous voudrez bien me donner acte de ma volonté d'avoir souhaité au maximum associer les parlementaires à l'élaboration du projet de loi. Nous avons ainsi eu l'occasion de nous rencontrer à de nombreuses reprises. J'ai consulté les présidents des différents groupes politiques, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, pour échanger sur les grandes lignes du texte, ainsi que les différents groupes d'études qui travaillent sur ces questions. C'est donc un esprit de concertation sereine qui a présidé à l'élaboration du projet de loi, qui perdurera sans doute lors de nos discussions.

Je tiens d'ailleurs à vous remercier pour les premiers apports qui apparaissent dans les amendements déposés. Tous ne pourront pas faire l'objet d'un avis favorable du Gouvernement, mais nous avons veillé à le faire pour le plus possible d'amendements enrichissant le projet de loi, qu'ils proviennent de la majorité ou de l'opposition.

La concertation a également eu lieu avec les associations, rencontrées régulièrement depuis trois ans et plus encore à l'occasion de la rédaction du projet de loi. Vous les avez également auditionnées, et certains amendements reprennent des propositions qu'elles défendent.

Les instances de protection de l'enfance ont été consultées. C'est le cas du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), dont je salue le travail, et du Haut Conseil de de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA). Outre ces consultations à caractère obligatoire, j'ai également tenu à saisir le Conseil national consultatif des personnes handicapées, car l'aide sociale à l'enfance protège des enfants qui, pour nombre d'entre eux, sont en situation de handicap reconnu par les maisons départementales des personnes handicapées. La question du handicap a donc été prise en considération, même si elle n'est pas encore suffisamment abordée dans ce projet de loi ; j'attends bien du débat parlementaire qu'elle le soit davantage.

La concertation a été la méthode qui a permis d'élaborer la stratégie de prévention et de protection de l'enfance, dont nous examinons le volet législatif.

J'en viens au deuxième point de mon intervention liminaire, qui consiste à replacer ce projet de loi dans la perspective plus large de la dynamique lancée lors de la création de ce secrétariat d'État, à la protection de l'enfance à l'époque, et qui est désormais un secrétariat d'État à l'enfance et aux familles. Dès ma nomination, j'avais parlé d'un pacte pour l'enfance reposant sur trois grands piliers.

Le premier pilier concerne la prévention pure. J'ai toujours lié la prévention et la protection, et je pense qu'en cette matière comme dans d'autres nous devons bien plus investir. Ce pilier prend essentiellement forme par le projet des 1 000 premiers jours de l'enfant. Juste avant de vous rejoindre, j'étais à Clamart, au service de néonatologie de l'hôpital Antoine-Béclère, pour rencontrer des parents de nouveau-nés, les pères allant figurer parmi les premiers bénéficiaires du doublement du congé paternité qui entrera en vigueur à partir de demain.

Le deuxième pilier de ce pacte pour l'enfance, c'est la lutte contre les violences faites aux enfants. Cela a toujours été un axe fort de la politique que j'ai menée, sous la forme d'un plan de lutte contre les violences faites aux enfants présenté le 20 novembre 2019, à l'occasion du trentième anniversaire de la convention internationale des droits de l'enfant. Comprenant vingt-deux mesures pour lutter contre les violences de toute nature faites aux enfants, ce plan a depuis lors été complété par un durcissement de la loi pénale, avec l'adoption définitive de la proposition de loi du Sénat visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste.

Ce plan va être complété, car le Président de la République a demandé que soit instauré un repérage systématique des violences qu'auraient pu subir les enfants à l'école primaire puis au collège. Des annonces seront prochainement faites à ce sujet, pour une mise en œuvre dès la rentrée prochaine.

Le Président de la République a également souhaité une prise en charge systématique en soins psychologiques des enfants victimes de violences sexuelles. Nous y travaillons et aboutirons très prochainement.

Enfin pour être complet sur cet aspect, je recevrai très bientôt le rapport que j'ai demandé sur la prostitution infantile, fléau en forte progression – il concernerait 10 000 enfants – contre lequel nous devons agir le plus précocement possible.

Le troisième pilier de ce pacte pour l'enfance, c'est ce qui nous occupe aujourd'hui : l'amélioration du système institutionnel de protection des enfants, l'aide sociale à l'enfance (ASE). Dès mars 2019, deux mois après ma nomination, j'ai lancé une grande concertation avec l'ensemble des acteurs pour réfléchir à l'amélioration de ce que j'ai toujours considéré comme une compétence, non pas décentralisée, mais partagée entre les départements et l'État. Les départements demeurent chefs de file, bien entendu, mais la vie d'un enfant ne se déroule pas en fonction de l'organisation administrative. Il ne se dit pas en se levant le matin, dans un foyer de l'enfance, qu'il dépend du conseil départemental puis, quand il va à l'école, du ministre de l'éducation nationale, et de votre serviteur lorsqu'il se rend chez le médecin. C'est donc véritablement une compétence partagée, et ce d'autant plus que l'on sait que la santé des enfants relevant de l'ASE est moins bonne que celle de ceux de leur classe d'âge, ou encore que près de deux tiers d'entre eux ont déjà un an de retard scolaire quand ils arrivent en sixième.

Il y a donc un enjeu de réinvestissement de cette politique par l'État, non pas pour remettre sous tutelle ou reprendre des compétences qui ne seraient pas les siennes, mais au contraire pour être au rendez-vous de ses propres compétences et responsabilités. Les défaillances constatées dans l'ASE sont parfois le fait des départements, mais aussi beaucoup celui de l'État. Ce discours de vérité peut être entendu et accepté par tous.

Nous avons engagé la concertation en avril 2019, avec les sept ministères concernés, les départements et l'Assemblée des départements de France (ADF), au travers de six groupes de travail, qui étaient tous coprésidés par un président de conseil départemental. Les associations, de protection de l'enfance et d'anciens enfants protégés, ont été consultées. Cela a représenté plusieurs mois de travail et a permis l'élaboration en commun d'une stratégie de prévention et de protection de l'enfance, qui a été présenté en septembre 2019. De manière schématique, elle s'est déployée depuis deux ans autour de deux axes principaux.

Elle se matérialise tout d'abord au travers d'une méthode de contractualisation entre l'État et les départements, sur le modèle retenu pour la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté, en trois temps – trente départements prioritaires, puis quarante, puis les trente derniers. Cette stratégie de contractualisation représente pour l'État un investissement de 600 millions d'euros en trois ans, dont 100 millions au titre de la protection maternelle et infantile (PMI). Le rapport de Michèle Peyron, parlementaire en mission sur ce sujet, avait permis de constater que les crédits de la PMI avaient baissé de 100 millions d'euros au cours des dix dernières années ; nous avons décidé de consacrer 100 millions en trois ans à cette noble et utile institution, qui est au cœur de la stratégie des 1 000 jours que j'évoquais précédemment – nous essayons de faire les choses de manière cohérente.

Des projets pouvaient être soumis par les départements dans le cadre de la contractualisation avec l'État, sachant qu'il était impératif de réinvestir dans la PMI, d'une part, et de proposer la création de dispositifs innovants pour les enfants en situation de handicap, d'autre part.

Le deuxième axe de cette stratégie comprend l'accompagnement à l'autonomie et à la sortie de l'ASE. Nous allons en débattre et je ne peux pas laisser dire que rien n'a été fait.

Nous avions déjà eu l'occasion d'en discuter il y a maintenant deux ans, à l'occasion de la proposition de loi visant à renforcer l'accompagnement des jeunes majeurs vulnérables vers l'autonomie, déposée par Brigitte Bourguignon. Depuis, nous avons mis en œuvre un certain nombre de mesures très concrètes. Dès la stratégie de lutte et de prévention contre la pauvreté, des moyens ont été alloués au financement d'un accompagnement après la majorité, avec le maintien d'un lien pour les enfants de l'ASE. Nous avons, par ailleurs, rendu automatique l'accès aux bourses universitaires, à l'échelon le plus élevé, pour les enfants de l'ASE qui font des études supérieures, de même qu'un accès privilégié aux logements étudiants. Si seulement 6 % d'entre eux suivent de telles études, ce qui est trop peu, du moins ont‑ils automatiquement accès à l'échelon de bourse le plus élevé, soit 680 euros par mois. Ce sont 2 000 enfants de l'ASE faisant des études supérieures qui ont pu bénéficier de ce dispositif lors de la rentrée scolaire précédente.

Nous avons passé un accord avec l'Union nationale des missions locales et avec la Convention nationale des associations de protection de l'enfant (CNAPE) pour que les missions locales se dotent d'un référent chargé de la protection de l'enfance et accompagnent vers les dispositifs de droit commun d'insertion professionnelle les jeunes sortant de l'aide sociale à l'enfance qui ne sont ni dans un parcours d'insertion professionnelle, ni dans un parcours universitaire. Depuis février dernier, ces jeunes ont un accès automatique à la garantie jeunes, c'est-à-dire un accompagnement professionnel et social renforcé et une allocation de 500 euros par mois.

Nous aurons l'occasion d'y revenir et je vous fournirai quelques chiffres actualisés, notamment sur ce qui a été mis en place dans le cadre de la stratégie de lutte contre la pauvreté ; mais je voulais d'ores et déjà en faire état.

J'aborde une question qui n'a pas trait à la seule aide sociale à l'enfance, mais concerne plus largement tous les enfants : la pédopsychiatrie. Cette spécialité est en grande souffrance et, depuis 2018, beaucoup d'investissements ont été réalisés par l'État pour essayer de la remettre à flot, en répondant à l'urgence et en préparant l'avenir – en agissant notamment au niveau des formations et en créant des postes d'assistant chef de clinique. C'est un point au sujet duquel nous sommes souvent interpellés à raison par les associations et les départements.

Le projet de loi s'inscrit donc dans cette dynamique engagée depuis deux ans et demi, et il constitue l'étape et l'étage législatifs de la stratégie de prévention et de protection de l'enfance.

Il comprend un certain nombre de dispositions qui sont issues de travaux lancés il y a plus d'un an. Celles concernant les assistants familiaux sont le fruit de concertations organisées avec les syndicats, les associations d'assistants familiaux et les employeurs, qu'ils soient publics ou privés. Un certain nombre de leurs points d'accord relèvent du domaine législatif, d'autres du domaine réglementaire, mais je vous ferai part des mesures prévues par voie réglementaire lors des débats, en commission et en séance. Comme vous pouvez l'imaginer, l'article 13, qui réorganise la gouvernance de la protection de l'enfance au travers d'un groupement d'intérêt public (GIP), est l'aboutissement d'un long travail avec les parties prenantes, pour trouver l'organisation la plus efficace possible pour la protection de l'enfance.

Certaines dispositions du projet de loi trouvent également leur source dans les nombreux rapports publiés ces dernières années par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et la Cour des comptes, ou réalisés par des parlementaires – je pense notamment au rapport de la mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance, présidée par Alain Ramadier et dont Perrine Goulet était la rapporteure. L'ensemble de ces travaux a nourri la réflexion et ils ont trouvé leur traduction dans ce projet de loi.

Celui-ci comprend schématiquement cinq volets.

Le premier volet fait de la sécurité physique des enfants une priorité absolue, avec une mesure phare à l'article 3 : le principe d'interdiction des enfants seuls à l'hôtel. Un rapport de l'IGAS que j'avais commandé évalue entre 7 000 et 10 000 le nombre d'enfants vivant dans cette situation, qui n'est pas acceptable et à laquelle nous devons mettre un terme, sans dogmatisme. Par ailleurs, nous allons renforcer la sécurité des enfants dans les foyers ou dans les familles d'accueil. Pour les foyers, cela suppose que les associations intègrent des plans de lutte contre la maltraitance dans leur projet d'établissement. Le projet initial fixait dans la loi un certain nombre de normes, puisqu'à l'heure actuelle il n'en existe pas. Le Conseil d'État ayant estimé que cela relevait du domaine réglementaire, celles-ci ne figurent plus dans le texte. J'ai cru comprendre que certains ici avaient l'intention de proposer que certaines normes soient bien définies par la loi ; à titre personnel je n'y suis pas opposé, mais les amendements sur ce point n'ont, semble-t-il, pas été jugés recevables. Nous aurons l'occasion d'en reparler lors des débats, que j'aborde de manière très ouverte.

Nous allons créer une base nationale des agréments pour les assistants familiaux. Il a pu arriver, et il peut encore arriver, qu'une assistante familiale dont l'agrément a été retiré en raison d'actes de maltraitance puisse en obtenir un nouveau dans un autre département. Ces situations ne sont plus acceptables, et le renforcement de la sécurité physique des enfants passe aussi par un meilleur contrôle des antécédents judiciaires des assistants familiaux.

Le deuxième volet du plan porte sur la sécurité affective des enfants et leur quotidien.

L'article 1er impose aux services éducatifs d'étudier systématiquement, avant la décision de placement par le juge, l'option de l'accueil de l'enfant par un membre de sa famille ou d'un tiers de confiance. C'est probablement la mesure ayant le plus fort potentiel de transformation du système de protection de l'enfance.

Deuxième disposition importante pour le quotidien de ces enfants, qui attendent de nous d'être traités autant que possible comme les autres : la clarification des règles de délégation de l'autorité parentale, avec la question des actes usuels et non usuels.

Tous les départements rencontrent des difficultés pour recruter des assistantes familiales, alors que la moitié des enfants sont accueillis au sein de familles d'accueil. C'est un beau métier, difficile, dont les assistantes familiales nous disent qu'il a changé parce que les enfants ont changé. C'est un métier qui mérite d'être revalorisé, financièrement mais aussi symboliquement. Ce projet de loi comprend un certain nombre de choses à cet égard, notamment l'instauration d'une garantie de salaire minimum, fixée au niveau du SMIC.

Le quatrième volet est consacré à la réforme de la gouvernance nationale, dans la lignée de différents rapports, dont celui de Perrine Goulet à l'issue de la mission d'information de l'Assemblée nationale présidée par Alain Ramadier, ainsi que ceux de la Cour des comptes ou de l'IGAS. Le projet de loi ne contient que le volet national de cette réforme de la gouvernance, mais nous sommes tous convaincus que la gouvernance territoriale a également un rôle majeur à jouer pour améliorer le fonctionnement de la politique de protection de l'enfance. J'attends beaucoup de nos débats sur l'article 13, à l'Assemblée mais aussi au Sénat.

Enfin, le dernier volet du projet de loi porte sur les mineurs non accompagnés (MNA) et comprend deux dispositions. La première est relative à la clé de répartition, qui se veut plus équitable pour les territoires ; la seconde concerne le fichier d'appui à l'évaluation à la minorité (AEM), que nous souhaitons généraliser.

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