Je suis très heureuse que nous évoquions ce sujet cher à de nombreux membres de la commission, la protection de l'enfance. Je tiens tout d'abord à vous remercier, monsieur le secrétaire d'État, du dépôt de ce projet de loi, extrêmement attendu par les parlementaires. Si le Gouvernement s'est régulièrement emparé du sujet au cours des dernières années, c'est aussi le cas du Parlement. Ainsi, j'étais membre de la très riche mission d'information rapportée par Perrine Goulet et présidée par Alain Ramadier, qui a rendu ses conclusions il y a deux ans.
Le projet de loi est donc l'aboutissement de nombreux travaux préparatoires auxquels ont participé les acteurs de terrain ainsi que les parlementaires. Je vous remercie de m'y avoir associée. Il est évidemment l'un des volets importants – mais pas le seul – de la stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance, à l'œuvre depuis 2019.
Plus de cinq ans après l'entrée en vigueur de la dernière grande loi sur le sujet, celle du 14 mars 2016, il apparaît en effet nécessaire de consolider l'édifice législatif de la protection de l'enfance, et d'aller plus loin. Ce nouvel élan législatif s'inscrira, non pas dans la rupture, mais dans la continuité de la loi de 2016, qui avait explicitement consacré l'intérêt supérieur de l'enfant, en rupture avec des normes et pratiques antérieures.
C'est aussi un exercice qui tire toutes les conclusions de l'insuffisante application des lois de 2016 et de 2007 : la loi n'est appliquée que lorsqu'elle est pensée en termes d'efficacité sur le terrain. C'est pourquoi les dispositions proposées sont placées sous le sceau d'un grand pragmatisme. Il faut inciter, créer, parfois obliger lorsque nous sommes sûrs que cela améliorera concrètement la situation, sans céder à la tentation de la surenchère législative.
Il faut aussi légiférer chaque fois que c'est nécessaire pour déverrouiller une situation bloquée, ouvrir de nouvelles facultés d'agir aux acteurs et rappeler les principes qui doivent guider l'action de terrain. C'est cet objectif équilibré que poursuit le projet de loi, et c'est aussi dans cet esprit que j'ai rédigé mes amendements et préparé mes avis sur les amendements de mes collègues.
L'intérêt supérieur de l'enfant doit être notre boussole, et c'est celle qui a présidé à la définition de la stratégie du Gouvernement. C'est à l'intérêt supérieur des plus de 340 000 enfants pris en charge par les services départementaux de l'ASE que nous devons penser.
Les titres Ier et II favorisent l'approche pragmatique que j'évoquais pour la vie quotidienne des enfants. En évaluant systématiquement la possibilité de confier l'enfant à un membre de sa famille ou à un tiers de confiance avant que le juge envisage un placement, l'article 1er rappelle une évidence : un enfant se sentira toujours plus en sécurité, et rassuré, dans un environnement familier. Il faut que les services explorent cette solution au préalable, afin d'éclairer le juge. Notre attention a été appelée sur la nécessité d'accompagner le membre de famille ou le tiers de confiance dans certaines situations : y seriez‑vous favorable sur le principe ?
L'article 2 autorise de manière plus claire la délégation ponctuelle de l'autorité parentale au gardien de l'enfant, lorsque ses parents sont dans une démarche d'obstruction ou tout simplement absents. Cela ne remplacera pas les solutions plus pérennes créées en 2016 en cas de délaissement parental, mais répondra à des difficultés réelles sur le terrain et permettra aux enfants de l'ASE de vivre au quotidien comme les autres enfants.
L'article 3 interdit le recours pérenne à des structures d'hébergement non autorisées pour accueillir des mineurs protégés. Le principe sera beaucoup plus clairement affirmé qu'aujourd'hui même si, par réalisme, il aménage une dérogation dans des conditions définies par décret. Pouvez-vous nous rappeler ce que seront ces conditions ? Seriez-vous favorable à ce que le législateur les définisse de manière plus précise ?
L'article 4 a pour objet un meilleur contrôle des professionnels du secteur social et médico-social, plus particulièrement dans le domaine de la protection de l'enfance. Outre la possibilité de vérifier les antécédents judiciaires à tout moment, il s'agit de disposer de moyens humains et techniques permettant de faciliter et de systématiser la consultation du casier judiciaire et du fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes. Quels moyens l'État entend-il déployer pour cette mission, indispensable afin de prévenir les violences ?
L'article 5 entend mieux structurer les politiques de prévention de la maltraitance dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux, à la fois à l'échelon ultralocal, avec un nouveau volet dédié au sein du projet d'établissement ou de service, et à l'échelon départemental. Pourrait‑on envisager un référent extérieur pour les mineurs ?
L'article 6 encadre l'évaluation des informations préoccupantes par un référentiel national, attendu depuis longtemps. Ce sera celui de la Haute Autorité de santé (HAS), avec tout le sérieux qui s'attache à ce travail de nature scientifique. Quels moyens seront alloués à la formation des professionnels à ce référentiel ? Pouvez-vous nous assurer qu'il évoluera régulièrement pour prendre en compte le dernier état des connaissances ?
Le projet de loi vise également à améliorer le suivi des mineurs par la justice, en faisant progresser ses pratiques comme ses modalités d'information. L'article 7 ménage la possibilité pour le juge des enfants, à l'instar de ce que peut déjà faire le juge aux affaires familiales, de recourir à une formation collégiale si l'affaire qui lui est soumise est particulièrement complexe. L'article 8 renforce les obligations d'information du juge au moment où le service envisage de modifier le lieu de placement du mineur.
Beaucoup de collègues – j'en fais partie – souhaitaient mieux protéger les mineurs en les dotant d'un avocat nommé d'office, mais nos amendements ont été déclarés irrecevables. J'ai compris des auditions qu'il s'agit d'une demande unanime des associations de magistrats, comme des enfants placés, et j'y suis très sensible. Seriez-vous favorable à l'extension de cette protection aux mineurs, si celle-ci est proportionnée et laissée à la main du juge des enfants, dans la seule perspective de l'intérêt supérieur de l'enfant ?
Le titre IV est consacré à la modernisation du métier d'assistant familial, dont les dispositions législatives qui le régissent n'ont pas évolué depuis 2005. En fait d'assistant familial, je pourrais parler d'assistantes familiales, puisqu'il s'agit à plus de 90 % de femmes. Prendre soin de ces assistantes familiales, reconnaître l'importance, mais aussi la difficulté, de ce qu'elles font au quotidien, vingt‑quatre heures sur vingt‑quatre, c'est aussi prendre soin des enfants. L'article 9 est fondamental, car il sécurise leur métier en le rendant financièrement moins précaire, grâce notamment à l'instauration d'une garantie de salaire minimum, fixée au niveau du SMIC mensuel pour l'accueil d'un seul enfant. Il rend également leur rémunération moins aléatoire, en fixant l'indemnité au niveau de leur salaire en cas de suspension de l'agrément, et en créant une nouvelle indemnité en cas d'accueil d'un nombre d'enfants inférieur à celui prévu par le contrat de travail.
La concertation avec les assistants familiaux a permis de faire émerger d'autres sujets, au premier rang desquels les nécessaires évolutions de leur formation. Quelles sont les mesures envisagées qui ne relèvent pas du projet de loi ?
Le titre VI porte sur les mineurs non accompagnés, et vise à aider les départements dans leur évaluation et leur prise en charge par les services de protection de l'enfance. L'article 14 permettra d'introduire de nouveaux critères pour la répartition de ces mineurs sur le territoire, comme les spécificités socio-économiques des départements et la valorisation de ceux qui accompagnent les MNA à leur majorité. L'article 15 simplifiera les démarches de détermination de la minorité en généralisant l'utilisation du fichier AEM. Certains acteurs, dont France Terre d'Asile, plaident pour que les départements ne puissent plus réexaminer un mineur déjà déclaré mineur dans un autre département et réorienté par le juge. Plusieurs amendements vont dans le même sens. Quelle est votre position sur ce sujet important ?
Pour conclure, je souhaite que le projet de loi soit aussi l'occasion d'une nouvelle étape : si elle veut atteindre les ambitieux objectifs qu'elle s'est fixés, la protection de l'enfance doit certes faire évoluer son cadre légal et réglementaire, mais aussi sa culture et ses pratiques. Ce texte, après celui de 2016, trace un chemin dont il nous appartiendra collectivement – État, parlementaires, départements, professionnels – de nous assurer qu'il est suivi.