Je vais vous présenter les deux salles de Strasbourg et de Paris, que nous avons eu l'occasion de visiter. Nous avons également eu l'opportunité d'échanger avec des usagers de ces deux salles. Ces dernières ont ouvert à la fin de l'année 2016. Depuis, d'autres projets ont émergé mais n'ont pas encore vu le jour pour différentes raisons, notamment à Bordeaux, Lille, Montpellier ou Marseille.
Les deux salles de Paris et de Strasbourg respectent le cahier des charges. Elles sont ouvertes toute la journée et sept jours sur sept, avec un espace de repos pour les usagers. Dans les deux cas, le choix a été fait d'implanter la salle dans l'enceinte d'un hôpital, alors que ce n'est pas une spécification du cahier des charges. Le profil des usagers accueillis est également similaire : dans les deux salles, 60 % sont sans domicile ou dans un hébergement précaire.
La situation des deux salles est aujourd'hui très différente. Cela tient à la fois à la fréquentation de chacune des salles, aux projets qui y sont développés et à l'acceptabilité sociale de chaque salle, évidemment directement liée à son implantation.
Les types de consommation dans les deux salles divergent : alors que la salle de Paris accueille très peu d'injecteurs d'héroïne (1,5 % des passages environ), et surtout des usagers de crack et de Skénan (sulfate de morphine), la salle de Strasbourg accueille une majorité d'injecteurs, notamment de cocaïne.
Toutefois, c'est surtout le niveau de fréquentation de la salle qui est très différent. La salle de Paris compte aujourd'hui une file active de 900 usagers environ (chiffres de 2019 car la crise sanitaire a eu un fort impact en 2020) et environ 300 passages par jour, dont une cinquantaine uniquement pour se reposer. La salle de Strasbourg, quant à elle, comptait 662 usagers en 2019, mais seulement entre 50 et 80 passages par jour au total. La salle de Paris compte donc une « file active salle » d'un tiers d'usagers en plus mais environ cinq fois plus de passages quotidiens. Ces chiffres ont un impact sur le quotidien des travailleurs sociaux. La salle de Paris a d'ailleurs atteint plus de 450 passages par jour en janvier 2020, et a dû fermer le matin pendant un temps pour préserver les équipes. La salle de repos, notamment, pouvait alors compter jusqu'à trente personnes dormant à même le sol dès l'ouverture.
En raison du nombre bien plus faible de consommateurs à la salle de Strasbourg, des locaux plus grands mais aussi de la dimension plus sociale et moins sanitaire du projet strasbourgeois, ce dernier est un modèle très différent de la salle parisienne.
Certes, les deux salles proposent un socle de services similaires, à la fois sanitaires (dépistages notamment du VIH et de l'hépatite C, mais également pansements, délivrance de traitement et vaccinations) et sociaux (ouverture de droits, permanence de l'assurance maladie à la salle de Paris, accompagnements vers l'extérieur et un lien vers l'hébergement via des associations partenaires). Toutefois, la salle de Strasbourg développe bien plus de projets avec les usagers : ateliers de travaux manuels, randonnées, activités culturelles ou encore jardinage, mais aussi davantage d'accompagnement.
Surtout, dans le cadre d'un projet « article 51 », la salle de Strasbourg développe aujourd'hui un projet d'hébergement temporaire de vingt places, pour de courtes durées, avec un accès direct à la salle en dehors de ses horaires d'ouverture traditionnels pour les personnes hébergées. Cet hébergement permet par exemple à des usagers de disposer d'un toit le temps d'un traitement contre l'hépatite C, voire de développer des projets d'hébergement et de soins à plus long terme. Cet espace de répit est très important pour entrer dans un parcours de soins.
Au-delà de la question de la fréquentation des salles et des services proposés aux usagers, vous n'êtes pas sans savoir que les deux salles ne cristallisent pas du tout les mêmes enjeux en matière d'acceptabilité sociale.
En effet, l'implantation de la salle de Strasbourg est très différente de celle de Paris. Elle n'est pas située sur une ancienne scène ouverte de consommation de drogue. Le Nord-est parisien connaît des difficultés majeures en termes de consommation de drogue dans l'espace public depuis bien avant la création de la salle. Plus globalement, la consommation de drogue à Strasbourg est plus diffuse dans l'espace urbain qu'à Paris. La salle de Strasbourg est centrale et proche des lieux de trafic et de consommation mais isolée car elle se trouve dans l'enceinte de l'ancien hôpital civil, sur un quai et n'a donc pour voisinage direct que celui de l'hôpital, contrairement à la salle parisienne. La direction départementale de la sécurité publique du Bas-Rhin nous a d'ailleurs indiqué que la salle strasbourgeoise ne pose aucun sujet d'ordre public.
La salle de Paris pose davantage question, et les inquiétudes légitimes des riverains sont souvent relayées par les médias. Cet aspect doit être pris très au sérieux, car les SCMR ont bien deux objectifs : la sécurité sanitaire pour les usagers d'une part et la tranquillité publique d'autre part. Ainsi, nous avons rencontré les riverains de la salle de Paris mais également le procureur de la République de Paris. Nous regrettons que la préfecture de police de Paris ait en revanche refusé d'être auditionnée.
Toutefois, le constat issu de nos auditions permet de rappeler que ce discours médiatique doit être nuancé. Ainsi, plusieurs collectifs de riverains que nous avons rencontrés sont favorables à la salle, estimant que la situation du quartier avant l'existence de la salle était plus difficile et que la présence du personnel de la salle apporte un relais en cas de difficulté. Par exemple, les riverains peuvent appeler la salle pour que les travailleurs sociaux viennent ramasser des seringues ou prendre en charge un toxicomane. Le confinement a d'ailleurs montré que la disponibilité réduite de la salle entraînait une résurgence de la consommation dans l'espace public.
Au-delà des auditions que nous avons menées, des données objectivées par l'Inserm permettent de confirmer cette approche nuancée. Les données publiées montrent notamment que le nombre de seringues retrouvées dans le quartier a été divisé par trois, dont une baisse de 55 % attribuable directement à la SCMR.
Les entretiens réalisés par l'Inserm avec les professionnels de propreté et de sécurité du quartier montrent également une amélioration dans les rues et dans les sanisettes situées à proximité, et plus particulièrement depuis l'ouverture de la salle le matin. Si ce constat est moins probant pour les agents travaillant dans les parkings, les jardins ou au sein de la gare du Nord, force est de constater une amélioration globale, qui s'explique en grande partie par les maraudes effectuées par les travailleurs sociaux de la salle, pour aller à la rencontre des usagers mais également ramasser les seringues.
Les injections dans l'espace public autour de la salle persistent malheureusement mais semblent concerner un nombre plus restreint d'usagers, avec des problématiques psychiatriques pour la plupart.