Intervention de élisabeth Borne

Réunion du mardi 21 septembre 2021 à 21h20
Commission des affaires sociales

élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion :

L'inscription du présent projet de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale montre la détermination du Gouvernement à renforcer les droits et à améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes, en permettant un débat avec la représentation nationale. Le texte, que je présente conjointement avec le ministre délégué chargé des transports, Jean-Baptiste Djebbari, doit nous permettre de poser une brique supplémentaire pour la construction d'un dialogue social entre les plateformes et les travailleurs qui y recourent. C'est par un tel dialogue que les acteurs seront à même de renforcer, de manière concertée, le socle des droits des travailleurs des plateformes. Je remercie en particulier la rapporteure Carole Grandjean, qui a travaillé dans des délais contraints, ainsi que les députés investis sur le présent projet de loi.

Le fort développement des plateformes numériques, en France comme dans le monde, peut constituer une opportunité économique, créatrice d'emplois. Les plateformes offrent de nouvelles possibilités professionnelles à de nombreux travailleurs, comme voie d'accès rapide à la vie active ou comme choix de vie, pour celles et ceux qui veulent échapper aux contraintes du salariat, avec ses horaires fixes et sa hiérarchie. On ne doit pas combattre leur développement par principe.

L'émergence de ces nouvelles formes d'emploi met pourtant en question notre modèle social, en exposant ces femmes et ces hommes à un statut parfois précaire. Trop souvent encore, les relations entre travailleurs indépendants et plateformes sont déséquilibrées. Les travailleurs ne sont alors pas en situation de faire valoir leurs droits.

La loi d'orientation des mobilités (LOM) avait déjà permis d'instaurer de nouvelles garanties pour les travailleurs des plateformes de mobilité. Avant chaque proposition de prestation, les plateformes doivent communiquer la distance couverte et le prix minimal garanti de la course. Les travailleurs peuvent choisir librement leurs plages d'activité, y compris de déconnexion et d'inactivité. Ils peuvent désormais refuser une proposition de prestation sans que cela n'occasionne une quelconque pénalité. Enfin, les plateformes de mobilité devront publier chaque année des indicateurs sur la durée et le revenu d'activité de leurs travailleurs.

Nous voulons aller plus loin que ce premier cadre, tout en préservant la liberté d'organisation des acteurs du secteur et des travailleurs. Le présent projet de loi vise ainsi à mieux protéger les droits des travailleurs, sans préjuger de leur statut. La structuration d'un véritable dialogue social entre les plateformes et les travailleurs doit permettre de renforcer les droits de ces derniers, et de sécuriser les relations de travail. Par la négociation collective, nous souhaitons permettre aux travailleurs concernés de définir les solutions les plus adaptées à un univers de travail très spécifique, et encore en pleine mutation.

Tel est le sens de la mission confiée à Jean-Yves Frouin en janvier 2020, pour formuler des propositions sur la construction de ce dialogue social. Sur le fondement des propositions de la mission, nous avons ensuite confié à Bruno Mettling, du fait de sa fine connaissance du secteur, la mission d'élaborer un projet de structuration du dialogue social pour les travailleurs des plateformes de voitures de transport avec chauffeur (VTC) et de livraison, en concertation avec les acteurs concernés.

La première brique de ce dialogue a été posée par l'ordonnance du 21 avril 2021, qu'il vous est proposé de ratifier. L'ordonnance permet aux travailleurs des plateformes d'avoir accès à une représentation : pour chacun des deux secteurs d'activité concernés, une élection nationale à tour unique et par vote électronique sera organisée au début de l'année 2022. Elle permettra aux travailleurs indépendants, chauffeurs de VTC ou livreurs à vélo, d'élire les organisations qui les représenteront. Lors du premier scrutin, pourront être reconnues représentatives les organisations qui recueilleront au moins 5 % des suffrages exprimés. Les représentants désignés par les organisations représentatives bénéficieront de garanties particulières, afin de les protéger contre tout risque de discrimination, du fait de leur mandat.

Il s'agit d'un premier pas inédit vers une meilleure régulation sociale des plateformes. En particulier, la rupture du contrat liant l'un de ses représentants à une plateforme sera soumise à autorisation administrative préalable. Ces représentants bénéficieront par ailleurs d'une indemnisation pour le temps consacré à leur mandat et d'un droit à la formation et au dialogue social, afin de se doter des outils et des connaissances nécessaires à l'exercice d'un mandat syndical. En parallèle, l'ordonnance du 21 avril 2021 prévoit la création de l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (ARPE), établissement public dédié à la régulation des relations sociales entre plateformes et travailleurs indépendants qui y recourent.

Les premiers décrets d'application de l'ordonnance seront publiés dans les prochaines semaines. Une mission de préfiguration, présidée par Bruno Mettling, travaille d'ores et déjà à la création de l'ARPE et à l'organisation des élections.

Le texte rend possible un premier pas inédit vers une meilleure régulation sociale des plateformes. Il importe que les droits des travailleurs se construisent dans le dialogue social, ce que les auteurs de certains amendements ne partagent pas ou contestent. Le dialogue social semble pourtant la meilleure façon d'obtenir des avancées dans les domaines relatifs aux travailleurs des plateformes.

Le dispositif législatif, amorcé par l'ordonnance du 21 avril 2021, doit être complété pour finaliser le cadre permettant l'organisation d'un véritable dialogue social. C'est l'objet de l'article 2, qui prévoit une demande d'habilitation pour permettre au Gouvernement d'approfondir par ordonnance la structuration du dialogue social des travailleurs des plateformes. Il s'agit de définir des modalités de représentation des plateformes de mobilité à l'échelle du secteur, et de structurer un dialogue social en leur sein. L'objectif de l'article est également de déterminer dans la loi toutes les règles permettant l'organisation des négociations, notamment les conditions de validité des accords, la définition de leur contenu, de leur forme et de leur durée. Elles seront définies concernant le dialogue social tant au niveau du secteur d'activité qu'au sein des plateformes elles-mêmes. Demain, les travailleurs indépendants et les plateformes pourront conclure des accords, par exemple sur une rémunération minimale, la formation professionnelle ou la santé au travail. Nous proposons également de compléter les missions de l'ARPE, en lui confiant la responsabilité non seulement d'arrêter la liste des organisations représentatives des plateformes, mais aussi de jouer un rôle de médiation en cas de différend entre les plateformes et leurs travailleurs.

Enfin, une habilitation est prévue pour permettre au Gouvernement de renforcer les obligations applicables aux plateformes, afin de préserver l'autonomie des travailleurs indépendants. Le Gouvernement souhaite garantir à ces derniers que l'exercice de leur activité se déroule dans les conditions du travail indépendant, en leur assurant une meilleure information lorsqu'ils reçoivent des propositions de prestations, et en préservant leur liberté de choisir et d'organiser leur activité. La plateforme sera encore plus fortement contrainte de respecter les conditions d'exercice de l'activité attachée au travail indépendant.

Le recours à des ordonnances se justifie par la nécessité de finaliser le cadre du dialogue social avant le début de l'année 2022, date à laquelle les premières élections des représentants des travailleurs des plateformes seront organisées. Le temps de la concertation avec les parties prenantes sera néanmoins respecté. L'ensemble des ordonnances qui seront prises sur la base de ces nouvelles habilitations donneront lieu à une concertation avec les plateformes et les travailleurs, comme avec les organisations syndicales et patronales. Les nouvelles habilitations parachèvent l'ordonnance du 21 avril 2021, issue du compromis trouvé dans la concertation entre les plateformes, les partenaires sociaux et les collectifs de travailleurs indépendants.

En parallèle, le Gouvernement prendra pleinement part aux travaux engagés à l'échelon européen pour renforcer les droits des travailleurs des plateformes. Mme la rapporteure l'a en tête, puisqu'elle a consacré un rapport au cadre européen des travailleurs de plateformes. Le renforcement de leurs droits fera partie des sujets que défendra la France lorsqu'elle présidera l'Union européenne, à partir du 1er janvier 2022.

Enfin, le Gouvernement souhaite avancer sur le renforcement de la protection sociale des travailleurs des plateformes, notamment quant aux accidents du travail et maladies professionnelles ou à la complémentaire santé. Une mission, présidée par Jean-Louis Rey, est en cours. Elle pourra donner lieu à des mesures législatives dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Le projet de loi traduit l'état d'esprit du Gouvernement : renforcer la protection des travailleurs des plateformes sans chercher leur requalification automatique en salariés, ce qu'ils sont nombreux à ne pas souhaiter. Pour construire une protection sociale adaptée à ce secteur en mouvement, nous souhaitons qu'elle procède des travailleurs eux-mêmes, dans le dialogue social et la concertation. C'est pourquoi nous voulons aller au bout de la démarche que nous avons entamée, pour bâtir un cadre social à ces nouvelles formes d'emploi. Le projet de loi permet de définir les contours d'un modèle français de l'économie des plateformes, qui contribue à développer des activités créatrices d'emplois sans transiger sur les droits sociaux des travailleurs.

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